Florence-Agathe Dubé-Moreau, historienne de l’art, signe Hors jeu. Chronique culturelle et féministe sur l’industrie du sport professionnel, essai portant sur les ligues sportives professionnelles américaines. « Ni férue de sports ni spécialiste de théories féministes » (p. 27), l’autrice a toutefois un point de vue singulier sur cet univers qu’elle a côtoyé en tant que conjointe d’un joueur de la National Football League (NFL), Laurent Duvernay-Tardif, repêché en 2014 par les Chiefs de Kansas City. Avec son oeil affûté par l’analyse de productions visuelles artistiques et sa curiosité intellectuelle, Dubé-Moreau fait le pari de livrer une réflexion féministe et critique des dynamiques de genre dans le milieu du sport professionnel où les femmes sont bien souvent invisibilisées. Ces dernières sont nombreuses à y évoluer, mais dans des rôles de soin (care) ou de mise en valeur de leur partenaire. Le parallèle entre les univers artistiques et sportifs de haut acabit est rapidement posé pour mettre la table et situer le lectorat sur la crédibilité de l’autrice à retracer un sujet apparemment sans lien avec sa formation universitaire. « Des scènes de lutte pour la victoire, d’efforts extrêmes, des sauts suspendus dans les airs, des visages déformés par la douleur ou la joie… Les qualités séductrices et la puissance des émotions de ces scènes spectaculaires n’ont rien à envier aux effets recherchés dans certaines grandes oeuvres » (p. 27). Arts et sports sont révélateurs de la culture dans lesquels ils s’inscrivent, et il faut en connaître les codes pour en apprécier les composantes. Dans un style tantôt personnel, tantôt didactique, l’essayiste guide les lectrices et les lecteurs à travers trois thèmes traversant le livre : 1) les conjointes et les compagnes (wives and girlfriends ou WAGS); 2) les cheerleaders; et 3) les arbitres, les entraîneures et les dirigeantes. Les WAGS occupent la première partie du livre, où les informations factuelles se mélangent à une autoethnographie intimiste de ces solidaires femmes de l’ombre. Dans cet essai, les femmes de joueurs sont visibilisées, humanisées au-delà des stéréotypes de richesse opulente et de beauté hypersexualisée qu’on leur accole si aisément, notamment à cause des séries télé somptueuses (glamour) comme WAGS Miami ou les opus des chanteurs à la Kanye West (p. 52). Elles traversent des défis certains, alors que leurs carrières sont pour la plupart stoppées pour se mettre au service de leur conjoint-athlète qui se doit d’être bien soigné afin de limiter les risques de blessures inhérentes à une pratique sportive exigeante. Ces dernières vivent des relations à distance et des déménagements au rythme des échanges et des signatures de contrat ainsi que des déracinements de leurs réseaux de soutien à travers les aléas de la maternité. L’isolement est net malgré les privilèges. Mince consolation, la présence des autres WAGS semble permettre des solidarités. Dubé-Moreau présente son étonnement à de nombreuses reprises : sa fibre féministe ne se reconnaît pas toujours dans les moeurs de ses consoeurs, comme lorsqu’elle refuse de porter le jersey de Mme Duvernay-Tardif comme le font fièrement les autres femmes, leur retirant symboliquement leur identité propre (p. 78). Toutefois, « sans nier le caractère problématique de cette posture d’abnégation que les femmes ont appris à adopter, il importe de reconnaître son potentiel rassembleur », dira Camille Toffoli, dans son essai Filles corsaires (2021 : 65), qui traite des anonymes « p’tites madames » auquel réfère aussi Dubé-Moreau. La deuxième partie du livre est consacrée aux cheerleaders dont les talents athlétiques sont mis en avant par Dubé-Moreau : cependant, elle fait aussi valoir les contradictions de la pratique d’animation de foule. En …
Parties annexes
Références
- DELVAUX, Martine, 2018 Les filles en série. Des Barbies aux Pussy Riots. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- TOFFOLI, Camille, 2021 Filles corsaires. Écrits sur l’amour, les luttes sociales et le karaoké. Montréal, Les éditions du remue-ménage.