Comptes rendus

Andrée Lévesque, Les filles de Jeanne. Histoires de vies anonymes, 1658-1915, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2024, 248 p.

  • Christine Eddie

…plus d’informations

  • Christine Eddie
    Auteure et lectrice

L’accès à cet article est réservé aux abonnés. Seuls les 600 premiers mots du texte seront affichés.

Options d’accès :

  • via un accès institutionnel. Si vous êtes membre de l’une des 1200 bibliothèques abonnées ou partenaires d’Érudit (bibliothèques universitaires et collégiales, bibliothèques publiques, centres de recherche, etc.), vous pouvez vous connecter au portail de ressources numériques de votre bibliothèque. Si votre institution n’est pas abonnée, vous pouvez lui faire part de votre intérêt pour Érudit et cette revue en cliquant sur le bouton “Options d’accès”.

  • via un accès individuel. Certaines revues proposent un abonnement individuel numérique. Connectez-vous si vous possédez déjà un abonnement, ou cliquez sur le bouton “Options d’accès” pour obtenir plus d’informations sur l’abonnement individuel.

Dans le cadre de l’engagement d’Érudit en faveur du libre accès, seuls les derniers numéros de cette revue sont sous restriction. L’ensemble des numéros antérieurs est consultable librement sur la plateforme.

Options d’accès
Couverture de Corps des femmes, violences intimes ou sexuelles, Volume 37, numéro 2, 2024, p. 1-278, Recherches féministes

Écrite par les hommes, l’Histoire est presque toujours racontée au masculin. Celle de la Nouvelle-France, du Bas-Canada et du Québec n’échappe pas à la règle. Construite autour des « exploits » de curés, de soldats et de politiciens, elle s’intéresse rarement aux femmes, qui, d’ailleurs, ont longtemps été exclues d’emblée de la vie publique. Des historiennes, heureusement, veillent au grain et s’efforcent, en dépit des obstacles, de ranimer nos aïeules. Andrée Lévesque est de celles-là. Cette professeure émérite de l’Université McGill a consacré sa carrière aux personnes laissées pour compte de l’histoire du Québec, notamment les femmes. Elle est l’auteure, entre autres, de deux biographies encensées, publiées aux éditions du remue-ménage : l’une sur la syndicaliste et militante communiste Jeanne Corbin, et l’autre sur la journaliste, bibliothécaire et libre-penseuse Éva Circé-Côté (Lévesque 1999 et 2010). En 2024, Andrée Lévesque publiait, également aux éditions du remue-ménage, Les filles de Jeanne. Histoires de vies anonymes, 1658-1915. Il s’agit cette fois de l’histoire de neuf femmes nées entre 1649 et 1886, toutes descendantes de Jeanne Perrin, une protestante de La Rochelle qui a pris le bateau avec ses enfants pour s’installer en Nouvelle-France en avril 1658. Dès les premières pages, l’étonnement est au rendez-vous. Une protestante, alors que le cardinal Richelieu interdit aux huguenots de s’installer en Nouvelle-France? Une femme de 43 ans, donc plus âgée que les autres? Mariée avec enfants? Qui voyage sans son mari? Voilà une aïeule atypique, ce que démontre bien Andrée Lévesque, même si les éclaircissements seront plus qu’ardus à découvrir. En effet, reconstituer une lignée de femmes et leur vie comporte son lot de difficultés. Ainsi, s’il est relativement simple de retrouver le premier ancêtre d’une famille Tremblay, Gagnon ou Roy, par exemple, la lignée matrilinéaire s’avère beaucoup moins fluide en raison, justement, du patronyme : la plupart des cultures, dont la nôtre, imposent aux femmes de porter le nom de leur père ou, il n’y a pas si longtemps encore, celui de leur mari. Suivre leurs traces, c’est donc s’engager dans une forêt d’arbres généalogiques : les neuf descendantes de Jeanne Perrin dont il est question ici se nommeront Duteau, Leblanc, Arsenault, Turcot, Tousignant, Héroux, Lefebvre, Lapointe, Mélançon et Brisson. Leurs prénoms – Madeleine, Marie-Magdeleine, Agathe, Agathe, Agathe, Agathe, Émilie, Marie et Maria − se perdent dans la forêt, bien que la répétition des Agathe, des Madeleine et des Marie, d’une génération à la suivante, donne à croire qu’elles ont voulu laisser une preuve durable de leur passage. Un deuxième obstacle – et il est de taille − tient à l’invisibilité des femmes dans les archives. Comme elles ne font pas partie de la sphère publique, surtout si elles sont pauvres et laïques, les quelques traces qu’il reste d’elles se trouvent dans les actes officiels : naissance, baptême, mariage, décès. Parfois un héritage, une vente ou un déménagement. Rarement plus. Il faut donc broder un peu, et supposer souvent. Planter le décor. Décrire la région qu’elles habitent. Raconter l’époque, les guerres et les crises qui influencent forcément le quotidien. Documenter les tâches domestiques, le travail à la ferme ou en usine. Il faut, comme Andrée Lévesque, très bien connaître le Québec et son histoire. Enfin, si les filles de Jeanne avaient su écrire, il aurait peut-être été possible de puiser dans leur correspondance ou leur journal, le cas échéant, pour glaner de précieuses informations. Mais, bien que Jeanne Perrin ait su signer le contrat d’engagée qui l’a conduite en Nouvelle-France et que sa fille Madeleine ait sans doute possédé quelques rudiments de lecture et d’écriture, il faudra attendre deux siècles pour que la lignée sorte …

Parties annexes