Nous sommes à une époque où les autrices et auteurs parlent souvent d’histoire en évoquant leur vie. Michelle Perrot, première historienne à enseigner l’histoire des femmes en France, ne fait pas exception, pour notre plus grand plaisir. Ce livre aurait pu s’intituler « Du présent au passé », car Michelle Perrot raconte sa vie intellectuelle en y présentant ses travaux de recherche, tous consacrés à des thèmes choisis en fonction d’événements qu’elle a vécus et qui l’ont marquée, comme les guerres : la Première Guerre mondiale (14-18), vécue par son père, qui a dû combattre dans les tranchées; la Deuxième (39-45), qu’elle a connue elle-même, période très difficile, surtout sous l’occupation, la « fin de [son] enfance enchantée » (p. 10); et la guerre d’Algérie (54-62). Elle a aussi été témoin de Mai 1968 ainsi que du procès de Bobigny, où Gisèle Halimi s’est illustrée et qui a fortement contribué à la loi Veil de 1973 sur l’interruption volontaire de grossesse. Le début du livre est consacré à l’enfance de Michelle Perrot, en particulier à ses étés à la campagne, le « bonheur total » (p. 8), période de sa vie qui lui a permis d’être « immergée dans cette France d’autrefois » (p. 9) et qui a « façonné [sa] mémoire d’historienne » (p. 10). Elle explique ensuite qu’adolescente, elle a ressenti intensément, comme sa famille, le poids de la guerre; éprouvant une mélancolie profonde, se sentant coupable d’être « malgré tout préservé[e] », elle a souffert d’une dépression anorexique suivie d’une importante scoliose. C’est peut-être à ce moment qu’est né son « désir d’histoire » (p. 13). Immobilisée sur une planche et encouragée par son père, qui lui prêtait ses livres, elle a beaucoup lu pendant cette période. À la lecture du roman Ann Vickers, de Sinclair Lewis, elle a notamment été marquée par un personnage de médecin, une femme émancipée et capable de rompre avec l’homme qui l’aimait, collègue qui lui demandait à la fois de l’épouser et de renoncer à son métier (p. 16). Étonnamment, le père de Michelle Perrot redoutait pour elle le piège du mariage, et ses parents la poussaient à poursuivre des études et à travailler, ce qui n’était pas la norme! La découverte des manuscrits de la mer Morte, en 1948, est un autre événement, archéologique celui-là, qui a contribué à son choix de faire des études d’histoire pour l’aider, comme elle le dit, à « comprendre des choses que l’on avait vécues » (p. 16) et aussi, faut-il ajouter, à réfléchir aux questions sociales. Ses études d’histoire, à la Sorbonne, se sont révélées « un moment heureux marqué par un sentiment de grande liberté […; elle accédait à un] monde mixte, laïque et libre » (p. 17), où les filles constituaient le tiers des effectifs. Avec le professeur de relations internationales Pierre Renouvin, elle a abordé le problème des nationalités « comme si [elle avait revécu] ce que les populations avaient connu avec intensité au xixe siècle » (p. 18). Les cours du professeur Camille-Ernest Labrousse lui ont permis de connaître l’histoire économique et sociale, tout d’abord celle de la statistique, de la quantification et des séries, une « exigence sérielle [qui l’]a poussée (plus tard) à travailler sur les grèves ouvrières » (p. 19). Malgré l’académisme ambiant, le professeur Labrousse incitait ses élèves à aborder des objets historiques encore inexplorés, ce qui a mené Michelle Perrault à s’intéresser à « d’autres rivages sociaux » (p. 19). Elle est nommée professeure au lycée de jeunes filles de Caen en 1951, après l’agrégation. C’est l’époque de la reconstruction en France, …
Michelle Perrot, S’engager en historienne, Paris, CNRS Éditions, coll. « Les Grandes Voix de la recherche », 2024, 75 p.[Notice]
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Michel Pigeon
Université LavalMarie-José des Rivières
Université Laval