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Le texte intégral de Jérôme de Lalande, Astronomie des dames, est reproduit dans son édition de 1817 dans la collection « Réminiscences » des Presses de l’Université Laval avec une présentation et des commentaires par Jean-René Roy. Jérôme de Lalande publie ce texte pour la première fois en 1786. Son ouvrage expose les connaissances en astronomie de la fin du xviiie siècle d’une façon particulièrement pédagogique. Dans ce texte, il fait l’éloge des femmes astronomes de l’époque et les encourage à s’intéresser à l’astronomie.
Dans l’avant-propos, Jean-René Roy esquisse la vie passionnante de Jérôme de Lalande (1732-1807), un grand représentant de la science française de la fin du Siècle des Lumières, parmi de très nombreux autres scientifiques comme Lavoisier, Laplace, d’Alembert, Lagrange et Delambre. Dès l’âge de 6 ans, il est passionné d’astronomie et observe le ciel depuis sa maison natale, à Bourg-en-Bresse.
Jérôme de Lalande fait des études de droit à Paris, où il rencontre l’astronome Joseph-Nicolas Delisle, qui dispose d’un observatoire dans cette ville. Il suit aussi les cours de physique et de mathématiques de Delisle et de Pierre Charles Lemonnier au Collège Royal. Son droit terminé, il est embauché par Lemonnier pour mesurer les parallaxes de la lune et de Mars afin de déterminer leur distance à la Terre. Il obtient la meilleure détermination de la distance à la lune, en collaboration avec Nicolas-Louis de La Caille qui fait ses mesures depuis Berlin.
Il séjourne dans cette dernière ville, où il rencontre les grands mathématiciens Pierre-Louis Maupertuis et Leonhard Euler; il aura avec ce dernier une correspondance pendant toute sa vie. Il est reçu à l’Académie des sciences de Berlin et à celle de Paris à son retour en 1753. C’est à Berlin qu’il reçoit une initiation maçonnique; il fonde ensuite la « loge des Neuf Soeurs ».
Esprit brillant, de Lalande est d’une franchise parfois brutale. Sa petite taille (1 m 50) et un physique ingrat ne l’empêchent pas d’imposer ses travaux. Lorsqu’il devient directeur du Collège de France, il autorise les femmes à s’inscrire comme étudiantes dans toutes les disciplines. Astronomie des dames sera dédiée à Louise-Elisabeth du Pierry, un temps amante et collaboratrice toute sa vie, créant d’ailleurs quelques jalousies de la part de Nicole-Reine Lépaute ou de Marie-Anne Couilly, mathématiciennes, astronomes et collaboratrices de Jérôme de Lalande.
En 1795, il est nommé directeur de l’Observatoire de Paris après avoir été responsable de la publication de la Connaissance des temps, almanach astronomique. Pendant 47 ans, il a également été professeur d’astronomie au Collège Royal. Son travail scientifique le plus important a été la réalisation de grands catalogues d’étoiles qui ont servi de références pour positionner la lune et les planètes. Il a été aidé par Marie-Jeanne Amélie de Lalande, soupçonnée parfois d’être sa fille, et qui avait épousé le petit cousin de Jérôme de Lalande. Tous deux ont été des collaborateurs très actifs de ce dernier.
Suivant l’avant-propos de Jean-René Roy, l’ouvrage de Jérôme de Lalande est reproduit intégralement. Dans sa préface historique du livre Astronomie des dames, de Lalande précise la méthode qu’il va utiliser pour intéresser tout le monde et mentionne tout particulièrement les dames, qui dit-il, s’intéressent au spectacle du ciel. Il s’efforce de ne pas introduire de notions mathématiques qui pourraient être effrayantes pour des non-initiés désirant seulement assouvir leur curiosité. Il présente un panorama des grands phénomènes astronomiques connus à l’époque. Il en profite pour critiquer Dialogue sur la pluralité des mondes de Fontenelle, publié en 1686 et qui s’adresse aux gens du monde, aux savants et aussi aux dames.
À la fin de sa préface historique, de Lalande mentionne succinctement des femmes astronomes connues depuis l’Antiquité jusqu’à ses propres collaboratrices au xviiie siècle. Il est particulièrement pertinent dans son analyse du manque de femmes dans les sciences : « Il ne manque aux femmes que les occasions de s’instruire et de prendre de l’émulation; on en voit assez qui se distinguent, malgré les obstacles de l’éducation et des préjugés, pour croire qu’elles ont autant d’esprit que la plupart des hommes qui acquièrent de la célébrité dans les sciences ». Il termine la préface en montrant l’intérêt de l’astronomie pour les États eux-mêmes depuis l’Antiquité en citant les principales découvertes à partir des Égyptiens et des Grecs, jusqu’au système de Copernic, aux lois de Kepler, à Newton avec la loi de l’attraction universelle, à la création de l’Académie des sciences de Paris et de la Société royale de Londres.
Dans le chapitre suivant, Jean-René Roy précise les biographies de chacune des femmes astronomes ou mathématiciennes évoquées par Jérôme de Lalande. Il complète en évoquant des femmes astronomes du xxe siècle qui ont marqué l’astronomie et l’astrophysique. Il note que, jusqu’au xixe siècle, les femmes férues d’astronomie ou de sciences étaient issues de la bourgeoisie et soutenues par leurs pères, frères ou compagnons pour qui elles n’étaient souvent que des assistantes. Émilie du Châtelet est peut-être la plus connue; admirée par Voltaire, elle traduisit, entre autres travaux, les Principia de Newton. Les autres femmes n’en sont pas moins méritantes et leurs biographies sont particulièrement intéressantes. On peut souligner le rôle de Catherine Herschel – avec son frère astronome, William – dans l’établissement de catalogues de nébuleuses. La nature de ces dernières sera débattue au début du xxe siècle et ouvrira la porte à l’astronomie extragalactique. Jean-René Roy mentionne aussi le rôle de quelques femmes ayant mis leur fortune au service de la construction de télescopes. Mary Parsons apporte une contribution financière importante à la réalisation d’un télescope appelé Léviathan, au château de Birr, en Irlande. Son miroir métallique de 1 m 82 a été le plus grand du monde jusqu’au début du xxe siècle. Ce télescope permettra au lord Rosse de dessiner des nébuleuses spirales ensuite identifiées comme étant des galaxies.
À la fin de ce chapitre sur les portraits des femmes astronomes du passé, Jean-René Roy revient sur les obstacles que les femmes avaient à surmonter pour avoir accès à la connaissance en astronomie : « 1) l’opposition des hommes à l’entrée des femmes dans un champ d’études considéré comme foncièrement masculin; 2) l’idée, chez les hommes et les femmes, que la place des femmes est au foyer, et 3) la reproduction séculaire des stéréotypes sexuels aboutissant dramatiquement à ce que les femmes elles-mêmes, à l’instar de la société en général, trouvent dérangeantes ces aventurières dont les passions sont le cosmos et les logarithmes ». Il me semble d’ailleurs que l’on peut généraliser ces remarques à de nombreux domaines scientifiques longtemps interdits aux femmes.
Dans le chapitre suivant, « Quelques notes à propos d’Astronomie des dames », Jean-René Roy donne des précisions sur les dix-sept chapitres qui contiennent l’ensemble des connaissances en astronomie de la fin du xixe siècle de façon très claire et accessible pour des lecteurs et des lectrices ayant peu de formation en mathématiques ou pas du tout. Les propriétés et le mouvement des planètes sont abordés, ainsi que les calendriers, la révolution héliocentrique, la théorie de Newton, la pluralité des mondes, les marées, l’histoire des constellations et l’origine des noms d’étoiles parmi d’autres sujets.
Le dernier chapitre du livre, écrit par Jean-René Roy, rappelle les conditions qui vont favoriser la participation des femmes à l’astronomie : la création d’observatoires et la construction de télescopes. Ces nouveaux instruments vont nécessiter la participation des femmes pour analyser les plaques photographiques obtenues encore par des hommes au début du xxe siècle. Ce n’est que dans les années 50 que les femmes commenceront à avoir accès aux grands télescopes et pourront entreprendre leurs propres programmes de recherche. Jean-René Roy présente le portrait et les contributions majeures de sept femmes du xxe siècle.
Henrietta Swan Leavitt (1868-1921) est l’une d’elles. Elle découvrira la relation entre la période et la luminosité d’étoiles variables, les céphéides, qui permet de mesurer la distance de galaxies proches. C’est aussi grâce à cette relation qu’Edwin Hubble montrera ultérieurement que certaines nébuleuses sont bien de nature extragalactique.
Adelaide Ames (1900-1932) réalisera un catalogue de galaxies dans deux amas proches repérés à partir de plaques photographiques obtenues au Harvard College Observatory. Le catalogue connu sous le nom de Shapley Ames Catalogue of Bright Galaxies sera publié en 1932, année de la disparition prématurée de son auteure.
Cecilia Payne-Gaposchkin (1900-1979) analysera le spectre des étoiles et montrera que l’hydrogène est l’élément le plus abondant dans les étoiles, contrairement à ce qui était attendu.
Creola Katherine Johnson (1918-2020) va bénéficier d’un décret qui bannit la discrimination raciale dans l’industrie et la défense, et participera aux calculs de trajectoires des vols habités de la NASA.
Enfin, deux astronomes que j’ai rencontrées dans des colloques, Eleanor Margaret Burbidge (1919-2020) et Vera Florence Rubin (1918-2016), joueront un rôle majeur dans l’astrophysique extragalactique, la seconde ayant collaboré avec la première à ses débuts. Grâce à la spectroscopie, Margaret Burbidge va établir la composition chimique des étoiles et les processus physiques pour la fabrication des éléments dans celles-ci. Elle engagera ensuite une collaboration dans le domaine extragalactique avec son mari, Geoffrey Burbidge (1925-2010). À partir de spectres de galaxies, le couple déterminera la masse et la distribution de celles-ci en fonction de la distance au centre des galaxies. Margaret Burbidge sera très active dans la défense des femmes afin que celles-ci obtiennent des postes en astronomie. Elles n’étaient pas admises dans les lieux d’hébergement des grands télescopes comme au mont Palomar, ainsi que le rappelle Jean-René Roy. Il est vrai que j’ai pu expérimenter les salles de bains communes entre deux chambres voisines sans pouvoir fermer la porte communiquant avec l’autre chambre, même si, dans les années 80, les femmes étaient acceptées dans la résidence Le Monastère, au mont Palomar.
Vera Rubin accumulera de nombreuses mesures de spectres de galaxies et obtiendra des courbes de rotation. Contre toute attente, elle mettra en évidence que les courbes de rotation sont plates à la périphérie des galaxies, alors qu’elles devraient décroître selon la loi de Kepler. Elle présumera alors de la présence d’une masse cachée qui pourrait être responsable de ce plateau. Dans les années 30, ce défaut de masse avait déjà été évoqué à plus grande échelle par Fritz Zwicky (1898-1974) dans les amas de galaxies. La nature de cette matière noire n’est toujours pas connue et reste un domaine de recherche très actif, car elle est nécessaire pour expliquer la stabilité des galaxies et des amas ou les phénomènes de lentilles gravitationnelles.
Nancy Grace Roman (1925-2018) jouera un rôle fondamental à la NASA parmi les instances dirigeantes. Elle oeuvrera en particulier à la réalisation du télescope Hubble et à de nombreux autres projets spatiaux.
Cette liste n’est pas exhaustive, et la différence de considération entre hommes et femmes scientifiques s’est amoindrie au cours du xxe siècle, mais le pourcentage de femmes n’est toujours que de l’ordre de 20 %. Ce pourcentage est variable dans chaque pays et chaque discipline. L’empreinte de l’éducation est certainement une des causes de l’exclusion des femmes des carrières scientifiques.
Ce livre contient non seulement l’édition de 1817 d’Astronomie des dames de Jérôme de Lalande, mais aussi de nombreux compléments par Jean-René Roy, qui souligne le succès remporté par ce remarquable ouvrage de vulgarisation accessible à de multiples lecteurs et lectrices. Le rôle des femmes dans la recherche en astronomie depuis l’Antiquité est mis en évidence et complété par quelques portraits de femmes astronomes du xxe siècle. Cette lecture est passionnante grâce au souci de vulgarisation de Jean-René Roy et à l’hommage que Jérôme de Lalande rend aux femmes astronomes.