Comptes rendus

Adrien Rannaud, De l’amour et de l’audace. Femmes et roman au Québec dans les années 1930, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Nouvelles Études québécoises », 13 mars 2018, 334 p.[Notice]

  • David Décarie

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  • David Décarie
    Université de Moncton

Dans son essai, Adrien Rannaud étudie trois romancières des années 30, Jovette-Alice Bernier (1900-1981), Éva Senécal (1905-1988) et Michelle Le Normand (1893-1964), afin de mieux saisir leur place dans l’histoire littéraire du Québec. Il cherche à réévaluer l’importance de ces romancières en étudiant le genre romanesque à l’aune de l’écriture au féminin et de la thématique de l’amour, mais également en intégrant à son étude d’autres formes pratiquées par les autrices (correspondance, journal intime, etc.). Par cette publication, Rannaud comble une lacune importante car, à l’exception de La chair décevante de Jovette Bernier, les autrices et les ouvrages qu’il étudie ont été mis aux oubliettes de l’histoire littéraire. Soulignons que les « classiques » des années 30 (Les demi-civilisés, Trente arpents, Menaud, maître-draveur, etc.), majoritairement écrits par des hommes, sont eux-mêmes peu fréquentés. La « vie littéraire » existe pourtant dans les marges du canon et Rannaud, avec une érudition pointue, en montre la richesse. L’auteur ne prétend pas révéler de chefs-d’oeuvre inconnus, mais il va à la rencontre de textes de qualité tâtonnant vers une modernité encore à faire. Comment parler d’oeuvres mises à l’écart et d’autrices oubliées à un public d’aujourd’hui? Voilà une question épineuse. Après tout, même le public savant auquel l’ouvrage est d’abord destiné (étudiantes et étudiants, chercheuses et chercheurs, professeures et professeurs) n’aura vraisemblablement pas lu le corpus qu’il explore. Les deux parties du titre de l’essai rendent compte d’une certaine ambivalence de Rannaud sur la façon d’y parvenir. Pour bien circonscrire une période donnée, la méthode la plus connue, et dorénavant classique, est celle de la synthèse ou du panorama pratiqué dans les volumes de la Vie littéraireau Québec, où l’étude minutieuse d’un vaste ensemble d’oeuvres, d’acteurs et d’actrices, et de pratiques permet à une équipe de remarquer des phénomènes inédits et de donner une idée de la profondeur et de la vitalité de la vie culturelle d’une époque. Rannaud connaît très bien cette méthode et s’en inspire avec succès. La promesse de la synthèse annoncée dans la seconde partie du titre ne sera cependant que partiellement tenue, car celle-ci se limite pour l’essentiel aux deux premiers chapitres de son essai qui est, comme l’auteur le précise, « [s]tructuré en entonnoir » (p. 27). En introduction, Rannaud aborde, comme il se doit, l’état des recherches sur la période étudiée et montre les enjeux théoriques et méthodologiques multiples des questions qu’il traite (histoire littéraire, sociocritique, théories féministes, etc.), notamment la question du « genre des genres » étudiée par Christine Planté (2015). Dans le premier chapitre (« Romancières au temps de la Crise »), Rannaud rattache les trois romancières de son corpus à la décennie pendant laquelle elles publient en esquissant un portrait des conditions générales des années 30 et en étudiant les transformations de la vie littéraire pour les femmes. Il replace de plus les trois autrices de son corpus au sein d’un groupe de sept romancières appartenant à la même génération – Eugénie Chenel (1898-1977), Lucie Clément (1901-?), Laure Berthiaume-Deneault (1910-1971) et Laetitia Filion (1897-1947) – et dont il examine les trajectoires (origine, formation, profession, etc.) et les pratiques combinées. Il montre, à la fin de son chapitre, que l’omniprésence de la thématique de l’amour dans leurs romans masque une pratique générique variée qui va du roman à thèse jusqu’au roman psychologique. Malgré ses qualités et son intérêt, le premier chapitre prolonge une introduction déjà copieuse. Il faut donc attendre à la page 77 avant d’entrer dans le vif du sujet. L’échantillon de l’auteur me semble problématique du fait qu’il n’ajoute à son trio d’écrivaines que …

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