Présentation

Présentation : Esthétique et politiques du corps[Notice]

  • Amélie Keyser-Verreault et
  • Élisabeth Mercier

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« Notre corps nous appartient », « Mon corps, mon choix », « Nous ne sommes pas des poupées » : ces slogans phares de ce qu’il est convenu d’appeler le féminisme de la deuxième vague montrent bien l’importance du corps dans les combats, les revendications et les réflexions féministes. En effet, qu’il soit question de droit à la contraception et à l’avortement, d’image corporelle ou de sexualité, le corps des femmes est au coeur des stratégies d’historicisation et de conscientisation des mouvements féministes qui, dès les années 60, se sont employés à montrer que le « personnel est politique » (Dorlin 2008 : 9). Ainsi, les féministes sont depuis longtemps engagées dans diverses stratégies de réappropriation de leurs corps – corps dont les femmes sont historiquement dépossédées dans le système patriarcal et sur lesquels les États n’hésitent pas à légiférer – et de politisation de la vie privée en tant que lieu privilégié de la domination masculine (Federici 2020). Malgré les avancées, les droits des femmes de disposer de leur propre corps ne sont jamais un acquis, comme ne cesse de nous le rappeler l’actualité. Outre les menaces au droit à l’avortement, les violences sexuelles ou encore la moralisation de la sexualité des femmes, d’autres atteintes à l’autonomie corporelle ont gagné en visibilité au cours des dernières années, dont le manque de reconnaissance et d’inclusion des réalités entourant les corps trans. Le thème du présent numéro se réfère ainsi aux enjeux esthétiques et politiques de tous les corps produits par le genre en tant que système de catégorisation binaire hiérarchisé (Bereni et autres 2012). Plus précisément, il est ici question des corps qui subissent différents effets d’oppression et d’exclusion sur la base du genre, au croisement d’autres rapports sociaux inégalitaires (âgisme, capacitisme, classisme, racisme, cisgenrisme). À travers la mise en lumière et l’analyse d’enjeux et de pratiques habituellement perçues comme relevant du domaine privé, les articles du numéro rendent compte des tensions qui caractérisent les corps genrés dans leurs rapports différenciés à la beauté et à l’alimentation, aux modifications corporelles par la chirurgie esthétique ou par l’utilisation de prothèses esthétisées de même qu’aux représentations et aux normes sociales. Les articles se penchent également sur les possibilités de transformation et de subversion des normes corporelles, dont celles qui sont offertes par les parentalités trans ou encore la fiction et la pratique artistique. Par son thème, le numéro s’inscrit plus largement dans le domaine des études féministes et de genre où les questions liées au corps des femmes, en particulier à l’apparence physique et à la sexualité, font l’objet de débats et de divisions depuis longtemps. Un exemple récent est celui des questions de procréation médicalement assistée (PMA) et de grossesse pour autrui (GPA) qui soulèvent de vives controverses en France et ailleurs. D’un côté, on trouve les tenantes du « libre choix » et celles qui se portent à la défense des technologies comme outils d’autonomisation permettant à toutes les personnes qui ne sont pas dans une relation de couple cishétérosexuel de procréer (Bréhaux 2018). De l’autre côté, on entend les critiques du « marché de la procréation » qui pratiquerait une forme d’« eugénisme libéral » venant transformer la biopolitique traditionnelle, où l’on passe du contrôle étatique aux choix des consommatrices et des consommateurs en matière de reproduction, et renforcer les imaginaires esthétiques et (post)coloniaux de la blanchité (Schurr 2020). La production théorique dans le champ des études féministes en particulier témoigne donc bien souvent d’une opposition dichotomique « oppression ou libération » lorsqu’il est question de l’esthétique et des politiques du corps. Entre les analyses du corps comme …

Parties annexes