L’ouvrage de Margot Beal paru en 2019 est issu de sa thèse de doctorat et cherche à démontrer que la domesticité est au coeur de rapports de pouvoir genrés. Il est centré sur deux départements, le Rhône et la Loire, départements polarisés par les villes de Lyon et de Saint-Étienne, mais qui comprennent aussi une vaste zone rurale avec ses espaces de culture et de vigne. Cette étendue géographique socialement et économiquement très variée compte une domesticité urbaine et rurale, de même qu’un patronat industriel et agricole, de petites propriétés et de grands domaines. Comme les ouvrages historiques sur la domesticité française portent tous presque entièrement sur les femmes et sur les villes, la thèse de Beal tire donc en partie son originalité du fait qu’elle a pour sujet les femmes, mais aussi les hommes, et les villes, mais également les campagnes. Elle représente une incontestable contribution aux études et aux recherches féministes. Beal résume ainsi son but : « Il s’agit donc d’examiner ici comment cette catégorie sociale de la domesticité est travaillée par des rapports de pouvoir variés, comment ils interagissent, et comment les domestiques eux-mêmes ou elles-mêmes se positionnent au sein de ces relations de pouvoir » (p. 12). L’ouvrage aborde autant l’évolution quantitative de la domesticité que les conditions de travail des domestiques, leurs relations avec le patronat, avec les collègues, leurs revendications, sans oublier les attentes des maîtres et les structures étatiques établissant les lois et règles de l’emploi à domicile. Les types de domestiques étudiés sont variés allant des domestiques « à la personne » (cochers, femmes de chambre, cuisinières, nourrices et « bonnes à tout faire ») aux domestiques « à l’exploitation » (valets et bonnes de ferme travaillant pour des agriculteurs et des agricultrices), le passage d’une catégorie à l’autre étant fréquent en cette période d’urbanisation. La période à l’étude s’avère suffisamment longue pour analyser l’évolution du statut et des conditions de travail des domestiques dans un contexte socioéconomique lui-même en transformation. L’auteure s’inspire des travaux récents d’histoire sociale et du renouvellement théorique apporté par l’histoire du genre et celle des relations raciales ou postcoloniales. La bibliographie abondante inclut un grand nombre de titres publiés en langue anglaise souvent utilisés aux fins de comparaison avec la situation qui règne dans d’autres pays. L’utilisation de ces références anglophones est à souligner, car elle n’est pas encore courante dans les pratiques universitaires des historiens et des historiennes en France. Les sources mises à contribution se révèlent diverses : archives administratives (recensements, surveillance des bureaux de placement), quelques archives privées, et surtout des archives judiciaires, soit des dossiers de juges de paix et de tribunaux de justice correctionnelle et surtout de cours d’assises (750 dossiers) pendant la période 1848-1936. La division de l’ouvrage en onze chapitres à la fois chronologiques et thématiques mériterait d’être revue. Le premier chapitre, qui englobe toute la période de 1848 à 1940, cherche à circonscrire la catégorie professionnelle étudiée, en explorant ses effectifs et le cadre de l’emploi. Les deuxième et troisième chapitres, intitulés « La fabrique d’un corps social », examinent successivement le rôle de l’État et celui du patronat. Les quatrième et cinquième chapitres, qui portent le même intitulé, soit « Travailler chez autrui : la domiciliation au risque de l’exploitation », auraient fort bien pu être fusionnés. Les sixième et septième chapitres ont pour sujet la « crise de la domesticité » ou de la surveillance domestique. Ici encore une fusion des deux chapitres aurait pu être envisagée. Il en est de même des huitième et neuvième chapitres qui traitent des compétences domestiques physiques, relationnelles, spatiales, économiques …
Margot Beal, Des champs aux cuisines. Histoire de la domesticité en Rhône et Loire (1848-1940), Lyon, ENS Éditions, 2019, 232 p.[Notice]
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Christine Piette
Université Laval