L’État du Yucatán se trouve en toile de fond du travail collaboratif entre Arlette Gautier, sociologue, et Marie-France Labrecque, anthropologue, dans cet ouvrage qu’elles cosignent aux Presses de l’Université Laval. La particularité du propos soutenu par ces dernières au fil de l’ouvrage réside dans l’intérêt pour le vécu des femmes et, à plus forte raison, des femmes autochtones mayas. D’abord présentée par les auteures dans sa forme idéalisée – pyramides, plages, flamands roses et tourisme –, la péninsule du Yucatán, au sud-est du Mexique, est ensuite rapidement dépeinte dans sa réalité historicopolitique plus crue, notamment en traçant le parcours des Igualadas. Ces féministes socialistes yucathèques mettaient en avant une préoccupation pour les intersections entre genre, « race » et classe (p. 1-2). C’est donc au nord de ce territoire, au début des années 80, que se sont déroulés les terrains de recherche respectifs des auteures : Gautier s’intéressait à la santé reproductive, alors que Labrecque se penchait sur l’intégration au marché du travail des femmes autochtones mayas. C’est à travers le prisme d’une approche féministe intersectionnelle qu’au milieu des années 2000 les deux professeures-chercheuses ont décidé de revisiter leurs précédentes recherches sur les populations autochtones de l’État du Yucatán. Dans une écriture serrée, leur propos se déploie en trois parties (pour un total de dix chapitres) qui traitent d’une variété de sujets se rattachant tous aux espoirs politiques principaux des Igualadas mentionnées précédemment, c’est-à-dire l’accès à la planification familiale, l’égalité civile et le droit au divorce ainsi que l’accès au travail productif et à l’égalité de traitement entre hommes et femmes (p. 6). Ainsi, la première partie, « Du mondial au local », présente l’implantation d’un « discours global sur l’égalité de genre et contre la pauvreté » par la communauté internationale jusqu’aux communautés reculées du Mexique (p. 29). Les effets d’un contexte néolibéral mondialisé sur les fondements patriarcaux des régimes locaux de genre sont examinés. En effet, pauvreté et inégalités de genre se voient exacerbées par l’installation d’usines, majoritairement des filiales de firmes étrangères bénéficiant d’exonérations fiscales (maquiladoras), dans des communautés rurales précaires du Yucatán (p. 94-95). En ce sens, l’ouvrage aborde le travail de reproduction des femmes issues de milieux pauvres qui participent à l’économie globalisée par des tâches souvent rébarbatives et mal rémunérées, et ce, dès la colonisation, notamment dans le domaine du tissage et de la confection (p. 62). Gautier met en évidence une continuité entre le travail exigeant des femmes dans les nombreuses maquiladoras de confection contemporaines et le recrutement d’autrefois pour le tissage du coton (p. 63-64). De fait, plusieurs pages sont consacrées aux enchevêtrements historiques autour du travail agricole servile des populations autochtones (femmes, hommes et enfants) dans les exploitations agricoles de grande dimension (haciendas) au profit de l’industrie des fibres d’agave (henequen) à la fin des années 1800 et jusqu’à la révolution de 1910 (p. 64-68). Il émane, de la façon dont les éléments sont présentés par les deux auteures, un intérêt pour les transformations sociales qui ont menées à la réalité contemporaine des femmes autochtones mayas (p. 61) : « En effet comment tendre vers davantage de droits pour les femmes, vers davantage d’égalité et d’équité, si l’on ignore les dynamiques qui ont soit favorisé, soit freiné le cheminement vers ces droits au cours de l’histoire? » De plus, l’emploi de mots dans la langue d’origine ajoute certes un ancrage dans la réalité locale, mais cette façon de faire peut égarer le lecteur ou la lectrice qui ne la connaîtrait que peu ou pas. Bien qu’il puisse se dégager une impression d’éparpillement à la …
Arlette Gautier et Marie-France Labrecque, « Avec une touche d’équité et de genre… » : Les politiques publiques dans les champs de la santé et du développement au Yucatán, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, 359 p.[Notice]
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Anne-Marie Rouillier
Université Laval