Après des années de recherche, Nicole Mosconi offre dans l’ouvrage intitulé Genre et éducation des filles. Des clartés de tout sa synthèse des « raisons du retard pris par les femmes par rapport aux hommes dans leur accès à l’instruction » (p. 181). Pour cela, elle revisite librement neuf textes publiés pendant la période 1990-2013 et restructure ainsi la trame d’une argumentation cohérente livrée dans un langage clair. Le livre contient trois parties, composées de trois chapitres chacun, qui abordent les fondements de l’exclusion des femmes du savoir (première partie), pour ensuite donner du sens à l’« égalité dans la différence » (deuxième partie) et finir par une habile analogie de la devise française : « liberté, égalité, mixité » (troisième partie). Car le livre s’intéresse à l’école française, surtout le primaire et le secondaire où, agrégée de philosophie, Mosconi a enseigné avant de devenir professeure à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense. L’ouvrage de Mosconi ‒ qui décrit « une longue lutte entre un courant très majoritaire, plus ou moins hostile à l’instruction des femmes, qui, en tout cas, soucieux de conserver l’ordre sexué établi, refuse de leur reconnaître un droit aux savoirs égal aux hommes » (p. 182) ‒ enrichit notre compréhension de l’exclusion des femmes du savoir, la culture française et l’Église catholique ayant favorisé le maintien de l’identité francophone au Québec. Pour comprendre la manière dont s’est construite dans le temps l’interdiction de savoir faite aux femmes, Mosconi ouvre la première partie en présentant une analyse de la comédie de Molière (1622-1673), Les femmes savantes, et montre que les « femmes savantes » sont « ridicules » ou « pédantes », un amalgame qui stigmatise encore les femmes et qui favorisera le développement d’une éducation des filles selon un programme féminin. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) renchérit en souhaitant une Sophie à la hauteur d’Émile; il veut faire des filles de futures bonnes ménagères. Mosconi écrit : « l’honnête homme est l’homme cultivé, l’honnête femme est seulement la femme chaste et l’épouse fidèle » (p. 54). Le premier chapitre permet d’établir des parallèles avec l’enseignement ménager au Québec (Thivierge 1983; Fahmy-Eid 1989). À ce discours d’éducation à la soumission et à la dépendance des femmes, Mosconi oppose, dans le deuxième chapitre, l’écrit de Mary Wollstonecraft, A Vindication of the Rights of Woman, « ouvrage de philosophie morale et politique » (p. 59) publié en 1792, qui défait point par point l’argumentation de Rousseau : Étant donné que seule la vie intérieure, celle du foyer, peut convenir aux êtres « faibles » que sont les femmes, le troisième chapitre s’intéresse à Georges Cabanis (1757-1808) qui publie, en 1802, l’ouvrage titré Rapports du physique et du moral de l’homme. Médecin, physiologiste, philosophe et député français, il a fortement contribué à sceller le sexisme dans le corps des femmes en étudiant « l’influence du sexe sur le caractère des idées et des affections morales » (p. 71). En systématisant l’exclusion des femmes du savoir et leur omission par faiblesse de « nature », il dissimule « la domination masculine » (p. 75) et instaure les dichotomies homme/femme, toujours d’actualité, telles que force/faiblesse, activité/passivité, puissance/impuissance, savant/pédante (p. 79) pour ne citer que celles-là. D’où la croyance à la différence des sexes (Mosconi 2016), car les liens créés entre femmes et biologie donnent lieu à l’irréversibilité du statut d’infériorité sociale et intellectuelle, et légitime cette croyance tant chez les hommes que chez les femmes. Cette perspective explique, à mon avis, pourquoi la recherche n’a longtemps été que le fait des hommes et que les savoirs se sont …
Parties annexes
Références
- CHABAUD-RYCHTER, Danielle, et autres, 2010 Sous les sciences sociales, le genre : relectures critiques, de Max Weber à Bruno Latour. Paris, La Découverte.
- FAHMY-EID, Nadia, 1989 « Le sexe du savoir. Perspectives historiques sur l’éducation des filles au Québec (19e-20e siècles) », A/encrages féministes, Cahiers de recherche du Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche féministes : 51-67.
- HARARI, Yuval Noah, 2015 Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Paris, Albin Michel.
- MOSCONI, Nicole, 2016 De la croyance à la différence des sexes. Paris, L’Harmattan/Éditions Pepper.
- SOLAR, Claudie, 2013 « Les femmes et l’université : une conquête inachevée », dans Pierre Chénard et autres (dir.), L’accessibilité aux études postsecondaires : un projet inachevé. Québec, Presses universitaires du Québec : 227-243.
- SPENDER, Dale, 1981 « Education : The Patriarchal Paradigm and the Response to Feminism », dans Dale Spender (dir.), Men’s Studies Modified. Oxford/New York, Pergamon Press : 155-173.
- THIVIERGE, Nicole, 1983 « L’enseignement ménager, 1880-1970 », dans Nadia Fahmy-Eid et Micheline Dumont (dir.), Maîtresses de maison, maîtresses d’école. Montréal, Boréal Express : 119-142.
- YAGUELLO, Marina, 1978 Les mots et les femmes. Paris, Petite Bibliothèque Payot.