Comptes rendus

Joelle Palmieri, TIC, colonialité, patriarcat : société mondialisée, occidentalisée, excessive, accélérée… quels impacts sur la pensée féministe? Pistes africaines, Mankon, Langaa Research & Publishing CIG, 2016, 293 p.[Notice]

  • Reine Victoire Kamyap

…plus d’informations

  • Reine Victoire Kamyap
    Université Laval

Dans l’ouvrage TIC, colonialité, patriarcat : société mondialisée, occidentalisée, excessive, accélérée… quels impacts sur la pensée féministe? Pistes africaines, Joelle Palmieri part du constat selon lequel les effets politiques des usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les organisations féminines et féministes en Afrique ne peuvent être classifiés sur le plan tant géographique que temporel, et ce, contrairement aux effets politiques des actions de ces organisations. S’appuyant sur le contexte dans lequel ces actions se produisent, elle émet une hypothèse, à savoir que les inégalités de genre sont à l’origine de l’invisibilité politique de ces organisations dans le cyberespace. Pour vérifier son hypothèse, elle a mené une enquête de deux mois, en Afrique du Sud et au Sénégal, auprès de femmes et d’hommes de différentes races, d’âges variés et de divers milieux socioéconomiques. Ils vivaient tous en milieu urbain et travaillaient dans des organisations portées à étudier les questions de discriminations à l’égard des femmes ou bien d’égalité de genre ou de féminisme ou encore de l’usage citoyen, social ou créatif d’Internet. Malgré les nuances et les ressemblances entre les deux pays considérés, Palmieri conclut sa démarche de recherche en affirmant qu’en Afrique les impacts des TIC et les inégalités de genre se conjuguent et aggravent les rapports de domination entre les sexes. Toutefois, et de façon paradoxale, les TIC peuvent créer en même temps des espaces où émergent des savoirs exempts de discrimination sexuée. L’ouvrage de Palmieri est structuré en quatre parties principales, hormis l’introduction qui met en perspective les expériences internationales de l’auteure et qui précise son cadre conceptuel. La première partie, intitulée « À l’origine, il y a », présente le contexte des pays considérés, soit l’Afrique du Sud et le Sénégal, en faisant ressortir les différences et les similitudes concernant la tradition et les vestiges de la colonisation, et leurs effets sur les relations homme-femme. Les deuxième et troisième parties, « “ Colonialité numérique ” : redéfinir la colonialité du pouvoir » et « Le genre, facteur de subalternité », analysent l’expression de l’ère numérique en Afrique et ses incidences sur les rapports de domination homme-femme. Enfin, la quatrième et dernière partie, « Théoriser et transgresser », propose le dépassement de ces rapports de domination par des stratégies inversées et informelles, tout en ouvrant de nouvelles avenues à la théorie féministe. Pour mieux rendre compte de la lecture de cet ouvrage, j’ai choisi de structurer mon évaluation autour des questions suivantes : Que signifie pour Palmieri les concepts de patriarcat et de colonialité? Quels sont les rapports entre ces concepts et les usages des TIC en Afrique et quelles en sont les conséquences sur les inégalités de genre? J’y apporte des réponses, tirées des propos de l’auteure, dans les paragraphes qui suivent. Dans un contexte marqué par le patriarcat et la colonialité, les sociétés africaines développent désormais des relations sociales d’« urgence » réglementées par l’usage des TIC. Citant différentes sources, Palmieri définit le patriarcat comme « un système qui utilise ‒ ouvertement ou de façon subtile ‒ tous les mécanismes institutionnels et idéologiques à sa portée (le droit, la politique, l’économie, la morale, la science, la médecine, la mode, la culture, l’éducation, les médias, etc.) afin de reproduire les rapports de domination entre les hommes et les femmes » (p. 27-28). Le patriarcat institue donc une tradition de domination des hommes sur les femmes que l’auteure appelle « masculinisme ». Celui-ci se reflète dans les politiques publiques et précisément économiques qui, par différents mécanismes, féminisent la pauvreté et encouragent le féminicide ou toute tentative d’élimination des femmes des sphères sociales …