Comptes rendus

Georges de Peyrebrune (édition critique préparée par Nelly Sanchez), Correspondance de la Société des gens de lettres au jury du prixVie heureuse, Paris, Classiques Garnier, 2016, 176 p.[Notice]

  • Mylène Bédard

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  • Mylène Bédard
    Université Laval

L’édition de la Correspondance de la Société des gens de lettres au jury du prix Vie heureuse préparée par Nelly Sanchez s’inscrit dans la foulée des travaux qui, en France comme au Québec, contribuent à la constitution d’une histoire littéraire des femmes par l’établissement ou la redécouverte de textes féminins, la reconstitution des trajectoires de leurs auteures et la mise en valeur des sociabilités littéraires et intellectuelles qui ont façonné la légitimité des femmes de lettres. Spécialiste de la littérature des femmes des xixe et xxe siècles, Sanchez avait offert en 2010 une édition des Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune (1884-1888) qui trouve un prolongement dans le présent volume. Ce dernier, bien documenté et très soucieux des conditions matérielles de la pratique épistolaire, nous fait pénétrer dans les coulisses des associations et jurys littéraires. En donnant à lire les jeux d’influences, la chercheuse lève le voile sur le rapport particulier – et déséquilibré si on le compare à celui de leurs homologues masculins – que les femmes entretiennent avec les prix, comme l’avaient fait avant elle Charlotte Kerner et Nicole Casanova sur les femmes et le prix Nobel (1992), et Sylvie Ducas sur le prix Femina (2003). Le travail de Sanchez se distingue toutefois en ce qu’il rend compte de la perception qu’avaient les principales concernées de ces instances de consécration. Cette correspondance témoigne en effet des négociations que doivent mener les femmes de lettres au tournant du xxe siècle pour obtenir une reconnaissance symbolique et gagner leur vie ainsi que de l’esprit de communauté qui les incite à défendre leurs intérêts en tant que groupe. Composé de 116 lettres rédigées entre 1881 et 1917, l’ouvrage jette un éclairage inédit sur le réseau littéraire constitué autour de la romancière Georges de Peyrebrune (Mathilde-Marie Georgina Élisabeth de Peyrebrune) et du comité, exclusivement féminin, chargé de décerner annuellement le prix Vie heureuse, fondé en 1905 par des femmes de lettres en réaction au refus – jugé injuste – de l’Académie Goncourt de récompenser l’une des leurs et qui deviendra, en 1919, le prix Femina (Ducas 2003; Irvine 2008). En créant le prix Vie heureuse, elles cherchent à combler les manques du prix Goncourt (Irvine 2008 : 17-18) : Dans l’« Avertissement au lecteur », Sanchez précise qu’il s’agit là d’un échantillon choisi parmi un corpus plus vaste de lettres. Or, à la lecture de cette sélection, on s’interroge parfois sur la portée de certaines des missives retenues, dont la carte postale de Camille Pert qui tient en deux mots : « Souhaits affectueux » (p. 107). Pour indiquer la présence de cette écrivaine parmi les interlocutrices de Georges de Peyrebrune et de la Société des gens de lettres, une mention en introduction aurait été suffisante, voire plus probante. Si cette édition atteint la majorité de ses objectifs de manière convaincante, soit ceux de mettre au jour les relations amicales, professionnelles et littéraires qui unissaient plusieurs femmes de lettres parmi les plus importantes de la Belle Époque en France (dont Juliette Adam, Lucie Delarue-Mardrus, Daniel Lesueur, Rachilde, Anaïs Ségalas, Séverine et Marcelle Tinayre) et d’approfondir la compréhension contemporaine du statut de l’écrivaine de cette période hantée par le spectre du bas-bleu, elle ne pose pas tous les jalons de la carrière de Georges de Peyrebrune, présentée comme une oubliée de l’histoire littéraire malgré la notoriété dont elle jouissait au tournant du xxe siècle. Bien que Sanchez ait fait preuve de prudence en annonçant d’emblée les limites de son enquête – indiquant que la trajectoire serait esquissée en « pointillés » en raison, notamment, du contrôle tatillon …

Parties annexes