Comptes rendus

Linda Kay, Elles étaient seize. Les premières femmes journalistes au Canada, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2015, 273 p. [1re éd. : The Sweet Sixteen. The Journey That inspired the Canadian Women’s Press Club, McGill-Queen’s University Press, 2012] [Notice]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont
    Université de Sherbrooke

Le titre en anglais de cet ouvrage paru en 2012 est plus explicite pour en décrire le contenu qui éclaire le lectorat sur le journalisme féminin au début du xxe siècle, au Canada. Il faut savoir que le pays ne compte en 1904 que sept provinces et cinq millions de personnes y habitent. Les chemins de fer et les journaux constituent alors deux instruments privilégiés pour attirer la population à l’ouest de Winnipeg. C’est dans ce contexte que se situe cet épisode mémorable. En 1904, un groupe de femmes journalistes se fait subventionner par le Canadian Pacific pour une visite de l’Exposition universelle de Saint-Louis (Missouri). Deux wagons sont alors mis à leur disposition pour aller de Montréal à Saint-Louis, à la condition qu’elles écrivent des articles sur leur voyage dans leurs journaux respectifs. À la faveur de cet événement haut en couleur, le Canadian Women’s Press Club a été mis sur pied, attestant l’ambition professionnelle des quelques femmes qui pratiquaient le journalisme au Canada, au début du xxe siècle. Linda Kay, professeure au Département de journalisme de l’Université Concordia, propose ici une reconstitution captivante de ce voyage. Margaret Graham, célèbre journaliste du Halifax Herald, consciente de la discrimination certaine que vivent les femmes journalistes au début du xxe siècle (confinement dans les pages féminines, octroi d’un salaire médiocre, parfois même absence de salaire, mise à l’écart des événements publics), prend rendez-vous avec Georges Ham, responsable des relations publiques au Canadian Pacific à Montréal. Cette entreprise de transport par train invite régulièrement des journalistes masculins à des voyages gratuits, pour promouvoir le développement de l’Ouest canadien. Graham fait valoir que des femmes pourraient être envoyées à l’Exposition universelle de Saint-Louis pour servir la même cause : « Trouvez-moi douze femmes pouvant obtenir une affectation officielle de leur journal et je les amènerai à Saint-Louis », lui propose Ham. Graham demande alors l’aide de Robertine Barry, une des plus célèbres journalistes de son époque, et finalement c’est un groupe de seize journalistes, huit francophones et huit anglophones, qui sont conviées à cette expédition. La plus vieille est née en 1854 et la plus jeune, en 1881. L’ouvrage décrit dans le détail, en quatorze chapitres, les péripéties du voyage, chaque chapitre relatant un épisode de ce voyage : le départ, les contacts entre les deux groupes de femmes, la traversée de la frontière à Détroit, l’arrivée à Saint-Louis, les principales visites : prouesses technologiques, réalisations éducatives (Antoinette Gérin-Lajoie y trouvera sa future vocation à l’École ménagère provinciale), reconstitutions gigantesques, y compris le célèbre combat de Baardeberg de la guerre des Boers en 1900 pour lequel on réunit plus de 5 000 personnes. Kay utilise, pour ces récits, les articles que les journalistes ont publiés dans leurs journaux respectifs. Elle tient à présenter les opinions et les idées de toutes ces femmes averties et révèle que plusieurs d’entre elles étaient opposées au suffrage féminin. Ce qui permet de comprendre aujourd’hui à quel point cette revendication semblait « extrémiste » pour les femmes à cette époque. On peut supposer que la position de ces femmes était aussi « stratégique », afin de se faire accepter par les responsables des quotidiens de l’époque. Les idées avancées de Robertine Barry n’en ressortent que plus vivement. Durant le voyage de retour, les seize journalistes ont même pu assister à la convention républicaine à Chicago et visiter la Hull House, d’où malheureusement Jane Adams était absente. La visite de cette institution marque profondément Marie Beaupré, journaliste à La Presse, qui ose traiter, dans ses articles, des conditions de travail des ouvrières à Montréal …