Comptes rendus

Patricia Smart, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, Montréal, Boréal, 2014, 430 p.[Notice]

  • Isabelle Boisclair

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  • Isabelle Boisclair
    Université de Sherbrooke

Passionnant que cet ouvrage de Patricia Smart, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, qui a d’ailleurs obtenu le prix Gabrielle-Roy décerné chaque année par l’Association des littératures canadienne et québécoise (ALCQ) pour un ouvrage de critique littéraire. Cette incursion du côté de l’écriture intime des femmes prolonge les travaux de l’auteure sur la place des femmes dans la culture, après la parution en 1988 de l’ouvrage Écrire dans la maison du père et en 1998 de l’ouvrage Les femmes du Refus global. Dans son récent essai, Smart se propose de scruter les expériences des femmes au Québec et, à travers ces expériences, de détecter les signes de « l’accession à la liberté d’expression individuelle et collective » en écoutant « la voix des protagonistes elles-mêmes » (p. 11). Elle rassemble un corpus hétéroclite, composé de lettres, de journaux intimes, d’autobiographies, de romans autobiographiques et d’autofictions. L’hétéroclisme ici est constitutif du sujet, puisqu’il s’agit non seulement d’explorer l’expression individuelle des femmes, mais aussi l’évolution des modalités de cette expression, par l’entremise des différents canaux qui mènent du privé au public. Entre 1654, moment où la mystique Marie de l’Incarnation rédige son autobiographie spirituelle, et 2011, date de la publication posthume de Burqa de chair de Nelly Arcan, il y a plus de 350 ans : c’est là un large empan, mais Smart ponctue son exploration en restant collée à l’évolution de son sujet. De cet imposant corpus, elle tire l’essentiel en restant focalisée sur les enjeux de la constitution d’un soi féminin. Les titres des quatre parties qui structurent l’ouvrage donnent une idée précise de l’évolution de cette conscience subjective et des modalités qu’elle emprunte. La première est intitulée « Vivre et écrire pour Dieu : l’ère mystique ». Elle comprend deux chapitres, dont un sur Marie de l’Incarnation, qui présentent des récits d’introspection versant dans le mysticisme. La deuxième partie, « Écrire pour l’autre, la correspondance (1748-1862) », porte sur les lettres d’Élisabeth Bégon à son fils et celles de Julie Papineau à différents membres de sa famille. Dans la troisième partie, « Écrire pour soi : le journal intime (1843-1964) », le premier chapitre se penche sur quelques journaux de jeunes filles; le deuxième approche de plus près ceux d’Henriette Dessaulles et de Joséphine Marchand; enfin, le troisième et dernier chapitre concerne les journaux de quelques femmes mariées (nouveauté, puisque auparavant le mariage menait au silence), dont celui de la romancière Michelle Le Normand. Enfin, la quatrième partie, « Écrire pour se mettre au monde : l’âge de l’autobiographique (1965-2012) », la plus intéressante selon ma perspective, compte quatre chapitres : le premier porte sur Claire Martin, auteure du premier roman autobiographique féminin (le diptyque Dans un gant de fer : La joue gauche (1965)/La joue droite (1966)); le deuxième, sur quelques femmes issues de la pauvreté ayant accédé à la parole par l’éducation (Lise Payette, France Théoret, Denise Bombardier, Marcelle Brisson et Adèle Lauzon); le troisième, sur quelques romans autobiographiques mettant l’accent sur le rapport mère-fille (issus d’écrivaines telles Thérèse Renaud, Paule Saint-Onge, Gabrielle Roy, Denise Desautels, Diane-Monique Daviau, France Théoret et Francine Noël); le quatrième et dernier, sur Nelly Arcan. Ainsi, s’adressant d’abord à Dieu, ensuite aux proches intimes, la conscience subjective finit par accéder à la parole publique pour, au final, revenir vers soi dans un mouvement spéculaire – trait constitutif de l’autofiction. Que l’auteure autofictionnelle étudiée ici se soit suicidée jette une sombre conclusion sur la possibilité d’être femme-sujet dans notre monde contemporain. Si cela reste difficile, malgré tout le chemin parcouru, peut-être est-ce …

Parties annexes