Comptes rendus

France Théoret, Écrits au noir, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2009, 168 p.[Notice]

  • Valérie Lebrun

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  • Valérie Lebrun
    Université du Québec à Montréal

Dès les premières lignes de ses Écrits au noir, « suite de réflexions passionnées » publiée en 2009 chez l’importante maison des éditions du remue-ménage, France Théoret semble d’emblée prendre le risque de la rétrospective : « Au moment où j’ai commencé, j’avais le projet d’une esthétique et d’un art à la recherche du délire littéraire qui invente quelque chose du féminin » (p. 9). Or, on comprend rapidement que l’usage à l’imparfait, et à la chaîne, de formules telles que « [j]e récusais », « je pensais », « [i]l me fallait » ou encore « je tenais » n’imposera pas à la lecture le poids nostalgique du bilan. En fait, si Théoret choisit aujourd’hui encore d’écrire des textes « pour défendre le mouvement [féministe] dit extrémiste, en d’autres mots, pur et dur » (p. 53), la présence du passé ne tient pas lieu d’idéal. Conjugué au présent à travers le geste d’écrire, le passé se veut plutôt garant d’une force des commencements. Se trament alors tout au long des essais que présente en quatre temps l’auteure, non seulement l’expérience singulière d’une parole publique, mais aussi celle d’un engagement politique constant : d’une expérience, donc, qui même après avoir traversé plus de trois décennies, continue de s’inscrire toujours aussi fermement, et sans prétention, dans cette « lutte sans cesse recommencée et renouvelée avec la langue » (p. 16) qu’appellent le féminisme et la littérature. L’idée maîtresse qui lie l’un à l’autre chacun des chapitres des Écrits au noir est celle d’une « narration [qui] établit des liens ». C’est-à-dire que, si le choix des mots et des expressions dans l’ensemble de l’oeuvre de Théoret tend effectivement à « cultive[r] des attitudes contraires, antagonistes », il y a bel et bien dans le présent ouvrage une volonté pour l’écrivaine de traduire cette posture solitaire et solidaire assumée depuis ses premières publications. Or, Théoret est tout à fait consciente à la fois des pièges et des ouvertures que représente pour le féminisme et la littérature un tel dédoublement de la voix. L’écrivaine profite d’ailleurs de l’espace privilégié de l’essai pour se confronter elle-même (p. 23) : « comment une femme ose-t-elle être seule, comment ne pas se poser devant la collectivité? […] Comment affirmer que le personnage solitaire ne s’isole pas? » Bien qu’elle ne prétende pas détenir une réponse unique à ce débat que relance constamment le féminisme, Théoret ne cesse d’écrire l’alliance entre sa propre voix et celles de ses narratrices – elles-mêmes construites, comme l’auteure le précise, dans le montage de diverses voix – afin de « marquer des relais entre la pensée, l’action et la présence aux autres » (p. 23). En ce sens, si un tel parti pris de la solitude connaît la marge, il ne mène pas à l’exclusion. La solitude pour Théoret porte au contraire l’idée d’une distance que doit maintenir le sujet engagé : une distance in(dé)finie qui serait toujours appelée à être repensée, décentrée, pour que l’occupation de la marge n’aille jamais de pair avec l’idée fausse d’un refuge, d’un repos. À ce sujet, la position de Théoret est ferme : « Peu importe ce que j’ai à écrire : le chaos, la folie, l’angoisse, le noir, l’abjection, la honte, la violence incessante, les conflits insolubles, il m’apparaît nécessaire d’écrire avec précision et avec rigueur de façon à rendre au langage sa priorité » (p. 16). La lucidité dont témoigne Théoret se voit pourtant accrue quand, au bout d’un élan, elle avoue ceci : « Malgré tout, il reste un sentiment de perte » (p. 16). Cette façon de dire l’inachèvement, …