Comptes rendus

Andrea Dworkin, Les femmes de droite, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, décembre 2012, 263 p. (Titre original : Right-Wing Women, traduit par Martin Dufresne et Michèle Briand, New York, A Perigee Book, 1983).[Notice]

  • Johanne Jutras

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  • Johanne Jutras
    Université Laval

Quel est l’intérêt de traduire un ouvrage paru il y a 30 ans? Martin Dufresne, cotraducteur, m’a répondu qu’il s’agissait de la quintessence des analyses d’Andrea Dworkin, la féministe la plus cohérente et convaincante avec sa déconstruction du pouvoir patriarcal. Right-Wing Women est en effet une synthèse de plusieurs articles documentés et écrits pour des revues comme Ms pendant la période 1978 et 1983. Cette féministe ne parle pas que des femmes de droite. En effet, Dworkin démonte la mécanique patriarcale qui, par l’entremise de la misogynie et de tout ce dont on prive les fillettes et les femmes, détourne systématiquement celles-ci de la reconnaissance de leurs talents, de l’égalité économique et de leurs propres projets. Martin Dufresne ajoute que l’analyse des modèles du bordel et de la ferme demeure éminemment moderne, surtout lorsqu’on voit les tentatives contemporaines de banaliser la prostitution et de ramener les femmes à la domesticité dans le mariage. Préfacé par Christine Delphy, qui présente une analyse matérialiste du patriarcat et de la sexualité, l’ouvrage traduit en français comprend six chapitres dans lesquels Andrea Dworkin analyse les rapports sociaux de sexe étatsuniens où la classe des hommes est dominante. Elle expose les stratégies et les modèles adoptés par les « femmes de droite » et les féministes, afin de contrer la violence masculine : viol, pornographie, prostitution, violence conjugale, inceste et antiféminisme. Une postface de Frédérick Gagnon, qui aborde le féminisme et l’antiféminisme après l’élection historique de Barack Obama en 2008, conclut cet ouvrage qui remet en question la valeur des femmes aux États-Unis. La préface de Christine Delphy signale que les oeuvres d’Andrea Dworkin ont été peu traduites en français parce qu’il s’agit d’une féministe radicale et que la sexualité entre dominants et dominées est encore un sujet tabou. Le message d’Andrea Dworkin serait difficile à entendre parce que cette dernière partage le pessimisme radical des « femmes de droite » : Christine Delphy estime que la tentative féministe de redéfinir la sexualité a échoué et que, depuis une trentaine d’années, nous assistons à un ressac (backlash) en matière de sexualité. Cette situation ne serait pas prise en considération par les études féministes en France alors qu’elle l’est au Québec lorsqu’on parle des phénomènes d’hypersexualisation. Delphy s’en prend à l’idéologie sadomasochiste qui se répand dans les milieux féministes sous l’influence de la théorie fondée sur la diversité sexuelle (queer) propagée par Judith Butler et Éric Fassin : Dans le chapitre 1, « La promesse de l’extrême droite », Andrea Dworkin dépeint la conscience des femmes qui vivent dans un milieu dangereux puisqu’elles ne sont pas à l’abri du viol, de la violence conjugale et de l’exploitation économique et sexuelle sur le marché du travail. Les femmes cherchent donc à survivre et elles décident d’obéir aux règles des hommes estimant qu’elles seront ainsi protégées contre la violence masculine. La promesse de protection de la droite amène les femmes à être conservatrices. Pour Andrea Dworkin, il s’agit d’un suicide puisque « les hommes respectent rarement leur part du marché, soit la protéger contre la violence masculine » (p. 24). Andrea Dworkin aborde l’intelligence sexuelle au chapitre 2 : « La politique de l’intelligence ». À son avis l’intelligence sexuelle « est une aptitude humaine à discerner, manifester et bâtir l’intégrité sexuelle » (p. 60). Selon elle, l’intelligence est refusée aux femmes par la classe des hommes. Les deux tiers des analphabètes de la planète sont des femmes. Pourtant, les femmes sont intelligentes, mais l’intelligence créatrice qui influence le monde est avant tout celle des hommes. Elle compare aussi le moralisme des femmes de …