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Il est peu usuel de rédiger la biographie de sa propre grand-mère. C’est ce qu’a réussi Geneviève Lefort. Par ce travail minutieux, puisé à de multiples sources, elle relate la vie de son ancêtre. La lecture de ce livre permet de plonger très concrètement dans l’univers d’Olympe Gevin-Cassal et de prendre connaissance de ses actions publiques, de ses opinions politiques, de ses interventions en protection de l’enfance ainsi que de sa vie personnelle et familiale. Les personnes passionnées d’archives, de biographies et d’histoire sociale y trouveront une mine de renseignements sur cette femme indépendante, républicaine et féministe dont la vie a enjambé les XIXe et XXe siècles, colligés à partir de rapports officiels, de souvenirs personnels et des archives personnelles (correspondance, coupures de journaux, manuscrits de livres et d’articles, notes manuscrites, etc.).
Née dans une famille alsacienne de républicains français exilés en Suisse, cette grand-mère, dont Lefort évoque des souvenirs intimes, a eu un parcours courageux : elle a réussi à exercer une profession peu accessible aux femmes de son époque, celle d’inspectrice générale du ministère de l’Intérieur; femme de lettres, elle a côtoyé des hommes politiques républicains et participé à divers cercles politiques progressistes et féministes.
Olympe Gevin-Cassal s’est investie dans l’éducation à l’hygiène pour la petite enfance, d’où le titre du livre; à la fin du XIXe siècle, on pressait en effet les mères des milieux défavorisés d’adopter les nouvelles normes d’hygiène ayant fait l’objet d’un ensemble de dispositions destinées à réduire la mortalité infantile. Plusieurs femmes de classe moyenne s’étaient consacrées, en Europe comme en Amérique, à les diffuser auprès des classes populaires, participant ainsi à un vaste mouvement social pour l’amélioration des conditions de vie de la population française. C’était un domaine où les femmes pouvaient s’investir, ségrégation sexuelle oblige, mais il s’agissait aussi pour elles d’une façon de se solidariser avec d’autres femmes. Les conditions d’hygiène causées par la surpopulation des villes, elle-même entraînée par l’industrialisation, étaient désastreuses. La découverte des mesures d’hygiène a créé un domaine d’investissement féminin et féministe dont on découvre l’architecture à la lecture de cet ouvrage. Olympe Gevin-Cassal s’y est consacrée jusqu’aux années 30, lorsqu’on a constaté la baisse significative de la mortalité infantile. Elle aura ainsi pratiqué pendant de nombreuses années ce que l’on appellera plus tard l’« éducation populaire », une bonne façon, selon elle, de permettre au peuple d’échapper à la misère.
Olympe Gevin-Cassal s’est aussi employée à surveiller les établissements recueillant les enfants en besoin de protection (orphelines et orphelins, confiés à l’assistance publique ou récupérés par la justice). À travers ses écrits, minutieusement colligés dans l’ouvrage de Lefort, elle décrit leurs conditions de vie ainsi que l’encadrement institutionnel auxquels ils étaient soumis. À cet effet, elle encourage la formation professionnelle des femmes. Elle exige la protection des jeunes filles de l’exploitation qu’elles subissent couramment. Précurseure de la protection à l’enfance, Olympe Gevin-Cassal propose des analyses éclairantes sur l’application des premières lois sociales en France et nous fait découvrir une pensée républicaine féministe peu connue au Québec encore aujourd’hui.