Dans cet ouvrage, Yolande Cohen entend participer au renouvellement de l’historiographie sur l’engagement social féminin amorcé depuis plusieurs années déjà. Par l’étude de trois associations montréalaises – une catholique, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB), une protestante, la Young Women’s Christian Association (YWCA), et une juive, le National Council of Jewish Women (NCJW) –, elle cherche à mettre en relief la contribution des groupes de femmes à l’élaboration des politiques sociales du Canada dans la première moitié du XXe siècle. Cohen montre que, en dépit d’un statut qui les maintient encore largement en marge du monde politique, les femmes mettent en oeuvre des formes d’action publique qui contribueront à orienter le débat politique et qui inspireront éventuellement la législation, la création de certaines institutions ou leur profond renouvellement, pavant ainsi la voie à l’État-providence. Le livre se divise en cinq chapitres. Le premier établit le cadre théorique de l’étude autour du concept de philanthropie analysé au regard du genre, de la religion et de la politique. Puisant principalement à l’historiographie américaine, britannique et française (notamment Skar et Aghulon sur la philanthropie, Koven et Michel sur le maternalisme, Marshall sur la citoyenneté et Bellah sur le concept de religion civile), Cohen présente les idées phares de la réflexion développée dans les chapitres subséquents. La philanthropie est considérée à la fois comme un puissant révélateur des changements sociaux, comme porteuse de justice sociale et comme vecteur de socialisation politique. Dans un contexte sociopolitique marqué par un État endémique, elle joue un rôle supplétif déterminant. La philanthropie féminine qu’animent et façonnent quelques figures marquantes de la bourgeoisie urbaine est fondée autour d’une éthique du soin (care) : prévenance, responsabilité, attention éducative, compassion, attention aux besoins des autres. La philanthropie élabore tout un discours qui légitime, auprès de l’État comme auprès des Églises, l’intervention sociale des femmes sur la base de leurs compétences et de leurs expertises en tant que mères et en fait la promotion. L’action de ces philanthropes débouche sur une transformation de l’État et de la citoyenneté, qui repose non plus sur les droits politiques mais sur les droits sociaux. Elle s’inscrit par ailleurs dans un espace interconfessionnel traversé par des rapports de pouvoir changeants entre les sexes, les classes et les communautés. Après cette entrée en matière, le deuxième chapitre, plus descriptif, présente les trois associations placées au coeur de l’étude en mettant en relief leur transformation au cours des trois grandes périodes qui divisent, selon l’auteure, la première moitié du XXe siècle, soit de 1880 à 1914, de 1914 à 1930 – période clé dans l’essor du maternalisme – et de 1930 à 1945. La plus ancienne des trois, la YWCA, est créée en 1874. Son action vise les jeunes femmes immigrantes et réfugiées, les travailleuses, les enfants des milieux défavorisés et les pauvres malades à travers toute une gamme de services et d’interventions qui se diversifient au fil des années. D’abord établie à Toronto en 1897, la NCJW voit le jour à Montréal en 1918. Dans une perspective réformatrice marquée par les conceptions maternalistes, elle cherche à rejoindre tout particulièrement les jeunes femmes, les nouvelles mères, les immigrantes, les malades et les personnes délinquantes. Au cours des années 1930, elle élargit son champ d’activité en s’adressant non plus uniquement à la population juive, mais plutôt aux gens dans le besoin, quelle que soit leur affiliation religieuse. Enfin, la FNSJB, créée en 1907, est le fruit d’une scission entre anglophones et francophones au sein du Montreal Local Council of Women. Les deux groupes continuent néanmoins de collaborer en menant une lutte commune contre la mortalité infantile …
Yolande Cohen, Femmes philanthropes. Catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives au Québec (1880-1945). Montréal, Les Presses de l’université de Montréal, 2010, 253 p.[Notice]
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Christine Hudon
Université de Sherbrooke