Cet ouvrage de Marie-Joseph Bertini tire son origine d’une réflexion sur les conditions de l’échec de la première candidature d’une femme aux élections présidentielles françaises : « quelque chose de la relation intime, du ressort subtil et secret qui lie les femmes au pouvoir s’est joué dans cette non-élection-là, dans ce renversement de valeurs qui n’a pas eu lieu, qui ne pouvait pas avoir lieu au sens où il n’y avait pas de topos, d’espace anthropologique où se produire » (p. 11). Bertini propose une piste, celle de l’ordre symbolique, pour appréhender la question de la différence des sexes, qui n’est ni naturelle, ni universelle, mais historicisée et culturelle, écrit-elle (p. 168). Par « ordre symbolique », l’auteure entend l’ensemble des lois, règles, normes, interdits et tabous gouvernant et codifiant les stratégies de sociabilité censées exprimer par extension les fondamentaux universels de l’espèce humaine. Ce qu’il faut tenter de comprendre, selon Bertini, c’est le mécanisme de l’ordre symbolique et les objectifs autoritaires qu’il sert (p. 12). La démonstration des mécanismes par lesquels opère cet ordre symbolique amène l’auteure à emprunter des chemins quelque peu tortueux, mais néanmoins fascinants. Bertini décortique les jalons de cet ordre symbolique tels qu’ils ont été énoncés par les écoles françaises d’anthropologie, de philosophie, de psychanalyse et de sociologie, ce qui l’amène à poser un jugement fort critique à l’endroit de la société française, « souffrant d’un retard pénalisant pour les femmes et pour la société entière » (p. 183), qu’elle met en rapport avec l’influence de certaines approches théoriques : « Il faut ici attirer l’attention sur la responsabilité considérable des théories de Lévi-Strauss quant aux difficultés profondes d’évolution de notre société française vers des formes inédites de sociabilité. Nulle part ailleurs dans le monde développé en effet, l’évolution culturelle ne souffrira autant de crispations et de mises en garde comminatoires. Le rôle des psychanalystes d’obédience lacanienne demeure lui aussi considérable » (p. 155), même si l’on peut attribuer à l’ensemble des courants psychanalytiques un discours sur l’ordre symbolique qui présume mais aussi construit la différence et l’inégalité des sexes. Bertini se livre tout au long des cinq chapitres de son ouvrage à une analyse des modes de construction et de déconstruction de la technologie de l’ordre symbolique et de ses enjeux cachés. Dans cette entreprise d’appréhension de l’ordre symbolique, la doxa constitue la matrice des procédés de renaturalisation du culturel, elle est le centre nerveux à partir duquel rayonnent les modes d’organisation de la réalité. Deux modes spécifiques d’expression de la doxa fonctionnent de manière complémentaire : il s’agit de la folie et des rapports sociaux de sexe (p. 55). Le féminin occupe une place comparable à celle de la folie et complémentaire : ce sont les deux faces d’un même principe fondateur de l’ordre social. L’exclusion, qu’elle soit symbolique, rituelle ou pratique, permet l’équilibre des sociétés, ce qui explique que celles-ci dépensent une grande énergie dans des opérations de contention, d’éviction et de marginalisation (p. 60). Le genre se construit également à travers les jeux de reflets dans les médias, alors que se forme ce que Bertini appelle un « sens commun médiatique » où les médias « sont sommés de séparer le vrai du faux, de rétablir les vérités cachées » (p. 65). Des discours critiques de cette orthodoxie de l’ordre symbolique ont émergé à travers certaines approches comme les études de genre et les études sur la diversité sexuelle (queer studies), virage que la France a bien raté (p. 155). Pour Bertini, les études de genre, dont les travaux de Judith Butler sur le genre performatif et la fabrication …
Marie-Joseph Bertini, Ni d’Ève ni d’Adam. Défaire la différence des sexes. Paris, Éditions Max Milo, 2009, 288 p.[Notice]
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Chantal Maillé
Université Concordia