Comptes rendus

Patrizia Romito, Un silence de mortes. La violence masculine occultée. Collection « Nouvelles Questions féministes », Paris, Éditions Syllepse, 2006, 298 p.[Notice]

  • Diane Lamoureux

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  • Diane Lamoureux
    Université Laval

Patrizia Romito, professeure de psychologie sociale à l’Université de Trieste, a produit en 2006 un ouvrage fondamental sur la violence à l’encontre des femmes et des enfants, ouvrage qui est revenu dans l’actualité intellectuelle avec le colloque sur le XXe anniversaire du massacre de l’École Polytechnique, colloque où elle était d’ailleurs une des invitées étrangères. Toujours d’actualité, cet ouvrage aborde le problème de la violence masculine à travers la dialectique silence/bruit, en tenant compte du brouillage qui entoure ce phénomène social fondamental, à savoir une violence masculine qui s’exerce largement à l’encontre de « proches ». Cet ouvrage a le mérite de nous rappeler un fait fondamental : « [de] 70 à 80 % des violeurs sont des hommes ou des garçons que la femme, la jeune fille ou l’enfant connaissent bien » (p. 34). Cependant, il est difficile d’avoir un portrait chiffré de cette violence puisque peu de pays tiennent des statistiques vraiment fiables dans le domaine et que les données sont difficilement comparables d’un pays à l’autre, car les catégories retenues sont rarement les mêmes. Romito préfère une analyse qualitative et politique du phénomène de la violence masculine à l’encontre des femmes et des enfants et prend en compte les violences sexuelles, les violences contre les petites filles et les violences dites domestiques. Son analyse est politique en ce qu’elle relie ces diverses formes de violence aux discriminations à l’encontre des femmes qui persistent partout au monde, mais aussi à la capacité d’action des femmes et à leurs résistances devant ces violences. À ce titre, Romito récuse toute explication psychologisante pour plutôt montrer que la violence masculine fait partie d’un système social de domination, le patriarcat, dans lequel « [l]a violence est utilisée quand tous les autres moyens de conditionnement et de coercition s’avèrent insuffisants » (p. 50) et imprègne les rapports sociaux de sexe. Loin de penser que nous vivons dans un monde postféministe, où le féminisme serait caduc du fait des avancées des femmes dans divers domaines de la vie économique, politique et sociale, Romito montre d’abord en introduction que le sexisme est bel et bien présent dans toutes les sociétés et que la violence masculine s’avère un bon indicateur de sa prégnance. Ce que le féminisme a permis, c’est de nommer et de comprendre cette violence. L’ouvrage est ensuite divisé en deux grandes sections, soit les tactiques, « ces formes institutionnalisées [qui] orientent et parfois conditionnent nos façons de percevoir la réalité » (p. 79), et les stratégies, cet « ensemble de manoeuvres élaborées et complexes, de méthodes globales destinées à occulter les violences masculines et à perpétuer le statu quo, les privilèges et la domination des hommes » (p. 79-80). Romito répertorie ainsi six grandes tactiques et deux moyens stratégiques. La première de ces tactiques est l’euphémisation et se rapporte aux mots pour dire les choses, mots qu’il faut souvent inventer pour énoncer ce qui se dit mal dans nos sociétés et s’entend encore moins (la fameuse dialectique du silence et du bruit). Romito repère ainsi toutes les façons de dire qui omettent de préciser le caractère sexiste d’une telle violence et font en sorte que « les hommes disparaissent de tout ce qui traite de la violence masculine envers les femmes et les enfants » (p. 83). C’est ainsi que l’on parle de « violence domestique », de « conflits conjugaux », de familles « maltraitantes » ou « incestueuses », pour ne donner que quelques exemples. Deuxième tactique, la déshumanisation des victimes, « phase essentielle pour accomplir sans remords des actes de cruauté » (p. 87). Cette déshumanisation se …