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Les textes de ce recueil sont issus du 4e Congrès international des recherches féministes dans la francophonie plurielle (t. 2), qui s’est tenu à l’Université d’Ottawa en juillet 2005. L’appel de textes de ce congrès s’intitulait « Femmes et famille entre science et droit ». Comme la référence au droit a été largement privilégiée par les participantes, Marie-Blanche Tahon a choisi de donner un titre plus général à son recueil : Famille et rapports de sexe.
L’introduction de Tahon est plus qu’une présentation de l’ouvrage. Intitulée « La présomption de maternité », elle est largement axée sur la loi québécoise sur l’union civile (loi 84), adoptée en 2002. Outre qu’elle est ouverte, comme le pacte civil de solidarité (PACS) français, aux couples hétérosexuels et homosexuels, cette loi se prononce en matière de filiation : les couples homosexuels, comme hétérosexuels, peuvent recourir à l’adoption et à l’assistance à la procréation. Or, précise Tahon, sur ce dernier point, les couples homosexuels d’hommes et de femmes n’ont pas les mêmes privilèges. Dans le cas de couples de lesbiennes ayant contracté une union civile, « l’assistance à la procréation aboutit à ce que, sur l’acte de naissance de l’enfant ainsi conçu, il soit inscrit qu’il est le fils ou la fille de deux mères […] il existe donc une « présomption de maternité », à l’instar de la « présomption de paternité » dans un couple hétérosexuel marié » (p. 20-21). S’il en est autrement des couples homosexuels masculins, c’est que, en matière d’assistance à la procréation, ils ne peuvent recourir à la mère porteuse, pratique interdite par le Code civil du Québec. Il y a donc « deux poids, deux mesures » et le projet de loi no 84 crée ainsi de l’inégalité. Cependant, plus largement, et Tahon reprend ici les mots d’une juriste, cette loi « constitue un tremplin vers une redéfinition du lien parent-enfant » (p. 22).
La loi sur l’union civile a suscité des débats au Québec. Tahon formule plusieurs questions, notamment en ce qui a trait au concept nouveau d’homoparentalité. N’y a-t-il pas confusion entre parenté et parentalité? Le législateur québécois ne s’est-il pas émancipé de toute « fiction anthropologique » en faisant qu’une femme soit considérée comme co-mère? « La revendication de la procréation « pour tous » est-elle compatible avec le déni des corps procréateurs [p. 28]? » La présomption de maternité à la québécoise ne repose-t-elle pas sur le seul « projet parental », le législateur privilégiant ainsi une filiation fondée sur la « volonté » au détriment du « corps » ? Le « droit à l’enfant » n’est-il pas en passe de devenir un « droit du citoyen »? Autant de questions qui, selon Tahon, devraient davantage interpeller la réflexion féministe.
Les articles qui suivent portent sur l’encadrement juridique et religieux de la vie conjugale. Dans la France contemporaine, les choix d’union – mariage, PACS et cohabitation – apparaissent fluctuants mais sans être aléatoires pour autant. Ainsi, Catherine Pugeault-Cicchelli s’appuie sur une enquête qui montre que, « si le choix du conjoint reste ordonné socialement, le choix du mode de vie conjugal n’est pas plus le fruit du hasard : il se définit au fil d’un processus de conjugalisation révélateur des motivations et des valeurs des enquêtées, mais aussi des contraintes humaines et matérielles auxquelles les femmes se heurtent dans leur vie quotidienne » (p. 38). En s’intéressant aux remariages en France sous l’Ancien Régime, l’historienne Sylvie Perrier montre que, contrairement aux préjugés souvent entretenus par nos contemporains sur les sociétés traditionnelles du passé, « le législateur ne peut pas imposer à lui seul une conception de la famille par le biais des lois nationales » (p. 67).
En Grèce, le mariage civil est récent, encore plus qu’au Québec : mis en place en 1982, il a donné lieu à des réactions en faveur du mariage religieux et de l’Église orthodoxe qui, dans ce pays, a le statut d’Église « officielle ». Pour des raisons liées aux circonstances sociopolitiques de l’implantation de ce nouveau mode d’union et à cause de ce que Nikoletta Chardalia nomme une « résurgence de la religion en tant qu’identité culturelle » (p. 81), le mariage civil ne rallie toujours qu’un dixième des mariages en Grèce. Le couplage entre religion et vie matrimoniale s’observe aussi au Sénégal, où c’est la religion musulmane qui domine. Fatou Binetou Dial a mené, à Dakar, une recherche auprès de femmes divorcées. Elle fait état des pressions sociales et de la « contrainte maritale » (p. 89) qui rendent la situation des femmes divorcées quasi intenable et qui font en sorte que « divorce et remariage sont inséparables au Sénégal » (p. 89).
Les trois articles qui suivent concernent les pratiques et les lois liées à la reproduction. Ainsi, Lucila Scavone nous rappelle que, au Brésil, l’avortement n’est pas libre et que les taux de stérilisation sont très élevés. De leur côté, Éliane Perrin et autres constatent qu’en Suisse les luttes sociales autour de la contraception et de l’avortement sont toujours à recommencer « autour d’arguments religieux, moraux, philosophiques, médicaux et de genre » (p. 113). Et ce, bien que la Suisse ait le taux d’avortement le plus bas d’Europe. L’article suivant nous ramène au Brésil où Carmen Susana Tornquist fait état d’un programme d’intervention féministe auprès des sages-femmes traditionnelles, soit un programme de capacitation : on aura reconnu ici l’autonomisation (empowerment). Cette auteure rapporte avec « surprise » que les récits d’accouchement sont devenus, au cours de leur travail, « un lieu privilégié » de contact entre féministes et sages-femmes (p. 38).
Deux articles portent sur les pères en France et au Brésil. Pour sa part, Hélène Trellu examine le cas de pères français bénéficiant de l’allocation parentale d’éducation. De nos jours, 2 % des pères en sont bénéficiaires. Qui sont ces « pionniers »? Quelles négociations dans le couple amènent une telle décision? Comment se résout l’organisation de la vie domestique? Cette légère avancée de la participation des pères en France, bien qu’elle soit timide, contraste avec la résistance et l’irresponsabilité des hommes au Brésil en ce qui a trait à la reconnaissance des enfants. Ana Liesi Thurier aborde à cet égard un sujet difficile, à la fois parce qu’il est mal identifié dans les statistiques officielles (elle estime qu’environ 30 % des actes de naissance sont sans reconnaissance paternelle) et parce qu’il est l’objet d’une tolérance excessive de la part de la société et des femmes elles-mêmes. La matrifocalité observée en Amérique latine n’est-elle pas un élément de compréhension du phénomène?
Les autres articles du recueil portent sur la France. Françoise Le Borgne-Uguen jette un regard juridique sur un thème connu, celui de l’inégalité hommes–femmes dans le cas des représentantes ou des représentants familiaux d’un parent « majeur protégé ». Isabelle Puech, quant à elle, présente un article, moins lié de près au thème de la famille mais fort intéressant, qui porte sur le travail à temps partiel et la dérégulation du travail en France chez des femmes non qualifiées (et, forcément, récemment immigrées).
Enfin, l’article d’Irène Jonas porte sur l’un des aspects qui m’a le plus frappée dans cet ouvrage. J’ai relevé, à plusieurs reprises, l’utilisation des notions de « contrainte » et de « pression sociale ». Or, depuis les années 90, surtout dans la littérature sociologique, il est devenu tout à fait suranné d’y avoir recours. Selon ces courants de pensée, n’étions-nous pas parvenus à une nouvelle ère, celle de l’« individu » (Beck) et de la « réflexivité » (Giddens), qui présentait le sujet postmoderne comme se libérant des institutions et s’appropriant les connaissances lui permettant de contrôler sa vie? Or les adeptes des théories de l’« individu » n’ont pas toujours vu le redéploiement des instances de régulation du social qui, de façon autre, continuaient d’exercer contrainte et pression sociale sur les individus. Et, en particulier, quand cette régulation concernait les femmes.
Bien que la plupart des articles de cet ouvrage soutiennent la démonstration de cette réflexion, le texte d’Irène Jonas en est une illustration éloquente. Intitulé « Psy, coach et travail d’amour dans l’entreprise-couple : les femmes en première ligne », cet article fait une analyse de publications récentes sur le développement personnel pour couples en difficulté. Jonas souligne « l’analogie entre le management en entreprise et les pratiques de développement de soi appliquées au couple » (p. 152) et montre que ces ouvrages sont destinés d’abord aux femmes que l’on en vient à convaincre, par la connaissance de soi et par un nouveau « savoir-être » (qui, en fait, remplace le « rôle »), qu’elles sont les seules à pouvoir « sauver [leur] couple ». Ainsi, la réussite de l’« entreprise couple » se réalisera « non en contraignant les femmes institutionnellement comme c’était le cas pour les liens du mariage, mais en suscitant chez elles une dépendance psychique » (p. 155). S’il devient plus difficile ici de parler d’exploitation ou de domination, le mode de régulation ainsi redéployé est à qualifier, tout simplement, d’« aliénation » (p. 154). Davantage insidieux, ces modes de régulation de la modernité avancée n’en sont pas moins réels.
Ce recueil rejoindra les chercheuses qui s’intéressent à la famille, qu’elles soient juristes, sociologues, anthropologues, psychologues, infirmières ou historiennes. En outre, la perspective comparative que permet cet ouvrage se révèle souvent heuristique.