Comptes rendus

Annette Hayward (dir.) La rhétorique au féminin. Québec, Éditions Nota bene, 2006, 496 p.[Notice]

  • Élise Guillemette

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  • Élise Guillemette
    Université du Québec à Montréal

Les vingt analyses textuelles qui constituent l’essentiel de ce volume sont encadrées par l’article d’ouverture de Catherine Kerbrat-Orecchioni, qui propose un tour d’horizon complet des études sur le parler féminin et une réflexion sur le défi méthodologique qu’elles représentent, et par la fiction amusante de Lise Gauvin, qui s’intéresse à la rhétorique de la séduction que l’on trouve dans la section « Rencontres » des petites annonces. Si ces deux textes ont le mérite de déplacer la problématique hors du domaine de l’analyse littéraire, on ne peut manquer d’y voir aussi un joli clin d’oeil au métissage des genres et des registres que l’on associe souvent à l’écriture au féminin et dont il est question dans plusieurs articles de ce volume. Les textes étudiés par les auteures de ce collectif sont, à quelques exceptions près, ceux de Françaises ou de Québécoises. Leur disposition chronologique, du XVIe siècle à nos jours, rappelle l’évolution de la notion de rhétorique à travers les âges et l’influence du contexte culturel, politique et économique sur ses trois composantes (à l’écrit), soit l’inventio, la dispositio et l’elocutio, composantes auxquelles chacun des articles accorde une place plus ou moins grande selon l’angle qu’il privilégie. L’acception du terme « rhétorique » retenue dans ce volume permet de rendre compte de la dimension persuasive ou séductrice de plusieurs types de communications écrites. Qu’il s’agisse de contes ou d’épopées, de romans ou de poésie, les genres littéraires sont investis différemment par chacun des sexes « selon le sujet et la perspective rhétorique choisie » (p. 117), comme le souligne Aron Kibédi Varga dans son texte intitulé « Les genres littéraires ont-ils un genre? ». Ces perspectives rhétoriques participent d’une entreprise plus vaste de transformation du réel et du symbolique que Sylvie Bérard, dans son article « Des utopies féministes ambiguës ou comment les sujets féminins s’envoient en l’aire » portant sur Le désert mauve de Nicole Brossard et sur Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg, associe à un « processus de l’altérabilité » (p. 377). Loin de répondre à un effort d’homogénéisation des pratiques scripturales au féminin, ce collectif place les singularités de chacun des textes étudiés au premier plan, sans toutefois masquer leurs entrelacs. En effet, s’il faut désormais parler des rhétoriques au féminin, comme le propose Patricia Smart, la récurrence de plusieurs procédés et figures ne peut être passée sous silence. Ainsi, le « topos de la modestie affectée » (p. 88) ou de l’autodénigrement, frappant chez les écrivaines françaises du XVIe siècle, ainsi que le souligne Diane Desrosiers-Bonin, se remarque aussi chez plusieurs auteures de la Belle Époque dont parle Christine Klein-Lataud, tout comme dans les lettres de Julie Papineau à son mari Louis-Joseph, étudiées par Marilyn Randall. Les indices de la véracité du discours, autrefois disséminés dans les textes des femmes pour légitimer leur prise de parole, favorisent, dans des textes plus récents, par exemple celui de Claire Martin, la convergence du privé et du politique, ou encore, tel est le cas chez Marguerite Duras, le dépassement du cadre de la « généricité » pour rejoindre l’humain vulnérable qu’une écriture « vraie » permet momentanément de mettre à l’abri. Cette stratégie de la transparence n’est pas étrangère à une rhétorique de l’intime que l’on associe souvent à l’écriture féminine. Sylvie Bérard désigne « la large place [accordée] à l’intériorité et à la subjectivité » (p. 377) comme l’un des principaux traits distinctifs de la rhétorique au féminin. La prépondérance des genres intimes, auxquels ce collectif consacre plusieurs articles (lettres de Mme de Sévigné à sa fille, lettres de …

Parties annexes