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Jeanne Lapointe a été l’une des premières professeures à l’Université Laval. Critique littéraire à Radio-Canada, membre du comité de direction de la revue Cité libre et particulièrement connue pour sa participation à deux commissions d’enquête décisives pour le Québec, Jeanne Lapointe a été partie prenante des débats de société qui ont conduit à la Révolution tranquille.
Par son enseignement, au Département des littératures de 1944 à 1987, Jeanne Lapointe a su transmettre sa conviction profonde que la littérature est une discipline universitaire majeure : nécessaire à la pensée et à la prise de conscience personnelle et collective aussi bien qu’à la qualité des débats intellectuels, au coeur des enjeux idéologiques, culturels, sociaux et politiques d’une société.
Jeanne Lapointe a été membre de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (commission Parent, de 1961 à 1966), dont le rapport, paru en 1964, recommandait notamment le droit pour les filles à une éducation identique à celle des garçons, des classes mixtes et la gratuité scolaire. Il n’était donc pas surprenant de la retrouver un peu plus tard contribuant aux travaux de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (commission Bird, de 1967 à 1970). Notons que Simone de Beauvoir a salué le travail et le rapport de la commission Bird.
La carrière universitaire exemplaire de Jeanne Lapointe s’est doublée d’une réelle préoccupation pour les conditions de vie des femmes d’ici et d’ailleurs. La recherche-action féministe, les liens directs entre l’université, la société et les femmes de tous les milieux et de toutes les conditions étaient essentiels à ses yeux. Son engagement féministe s’est reflété dans ses cours de littérature, ses communications et articles scientifiques, sa participation à des comités, à des commissions, à des groupes de recherche et d’action, mais aussi dans son travail de « mentore » auprès d’écrivaines québécoises aujourd’hui réputées, dans son souci de susciter différentes formes de collaboration, de créer des réseaux internationaux entre écrivaines, théoriciennes, cinéastes, journalistes, politologues, etc.
Au début des années 80, sous l’égide du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), Jeanne Lapointe a mené avec Margrit Eichler une étude et une enquête destinées à introduire la variable « sexe » dans toute recherche. La brochure Le traitement objectif des sexes dans la recherche, publiée en 1985 par le CRSH, venait spécifier que la qualité scientifique d’un projet de recherche requiert, entre autres, une absence de préjugés quant à la représentation des situations et des activités sociales et culturelles des femmes et des hommes.
En 1986, le prix GREMF/Elsie-MacGill a été décerné à Jeanne Lapointe pour son engagement féministe et multidisciplinaire. Avec générosité, elle a transféré le montant de son prix dans un fonds destiné aux étudiantes, en vue de récompenser les meilleurs travaux de recherche faits dans une perspective susceptible de favoriser l’évolution des mentalités au sujet des femmes. Depuis 1988, le prix d’excellence GREMF/Elsie-MacGill est remis tous les deux ans.
Jeanne Lapointe s’est éteinte à Québec le 7 janvier 2006. Elle avait tenu à une messe toute simple, privée, sans « honneurs » particuliers. Selon son souhait, une diacre a pu officier; son sermon, poétique et philosophique, portait sur l’Épiphanie.
Un fonds d’archives Jeanne-Lapointe sera officiellement créé à l’Université Laval à l’automne 2006.