Le ventre des femmes est une enclave de récits cachés. S’il est une réalité corporelle encore taboue aujourd’hui, ce sont bien les marques de grossesse. La liberté qu’offre le cyberespace a permis que toute réalité soit mise à nu sur la place publique, de l’affaissement de la fesse vieillissante à la béance du sein amputé. Au palmarès de la provocation médiatique, figurent des calendriers où s’effeuillent mois après mois les corps intimidés de la classe laborieuse, offerts au pâturage de l’industrie de la charité. À l’ère du déballage universel, les lendemains du ventre engrossé, étiré puis déchiré demeurent au fond des oubliettes. Les nombrils féminins se sont joyeusement exhibés, mais à condition seulement d’être jeunes, plats et exempts de tout stigmate. Conçu en 1991, le Belly Project levait le voile sur l’ombilic des femmes occidentales bien avant l’heure. Cette exposition consiste en une série de 18 photographies de ventres témoignant chacun d’une histoire de reproduction différente. Le projet est féministe dans la mesure où il entend transformer les préoccupations individuelles des femmes en préoccupations de groupe. L’idée germa dans l’esprit de Lisa Kushner, sexologue et mère de deux enfants. Durant une nuit d’insomnie, l’artiste réalisa à quel point les conséquences des décisions entourant la grossesse sont plus souvent qu’autrement gardées secrètes. Dès lors, Kushner entreprit de faire connaître comment l’expérience reproductive d’une femme peut la transformer physiquement, émotionnellement et spirituellement. Son but était de célébrer la variété des expériences de reproduction, incluant celle de ne pas avoir d’enfant. La photographe Peggy McKenna accepta avec enthousiasme de participer au projet. Kushner et McKenna ont ainsi demandé à des femmes qu’elles connaissaient, d’âges différents et ayant vécu des expériences différentes, de poser pour le projet. Il s’agissait pour ces femmes d’offrir un témoignage visuel vivant de leur histoire reproductive en livrant leur ventre dénudé à la caméra. En exposant ainsi la partie la plus vulnérable de leur être, les participantes souhaitaient éclairer les femmes quant à la diversité des réalités liées à la grossesse et accroître de cette manière leur pouvoir d’agir (empowerment). Les photographies montrent des jeunes ventres fermes côtoyant d’autres ventres altérés par les grossesses, les changements de poids, les césariennes ou l’âge. Chaque image est accompagnée du prénom de la femme photographiée, de son âge, de son histoire reproductive et du nombre de naissances, de fausses-couches et d’avortements. Certaines photographies s’éloignent tellement du ventre idéal que la spectatrice se sent comme une intruse. Les ventres prennent l’allure de champs de bataille. La douleur des femmes est palpable. En défiant les canons de la beauté et de la jeunesse, les images se veulent des symboles de la vie quotidienne des femmes, de leur courage et de leur endurance. Tel un photoreportage, chaque image raconte une histoire de décisions, d’abandons et de transformations. Récits de la naissance, ces photographies évoquent aussi l’idée de la mort. Chose étonnante, en observant les ventres on constate qu’une histoire très chargée peut ne laisser que quelques traces à peine perceptibles, alors que l’expérience la plus banale produit parfois une empreinte indélébile. Tout bien considéré, la grossesse agit de façon impondérable sur le corps des femmes : il est à l’oeil nu impossible de connaître tous les sacrifices auxquels elles ont dû consentir. Il est possible de commander et exposer les 18 photographies du “ Belly Project ” ou d’obtenir une affiche en contactant Lisa Kushner et Peggy McKenna à l’adresse suivante: RR1 Box 2273, Morrill, Maine, USA 04952 (tél.: 207-342-5703).
Le “ Belly Project ”: une exposition féministe sur l’expérience de la reproduction[Notice]
Ce commentaire est inspiré du dossier de presse du Belly Project qui nous a été gracieusement transmis par Lisa Kushner et Peggy McKenna. Les textes, sans date ni lieu de publication, sont signés par Haines Sprunt Tate (“ Photograph exhibits unveil women’s hidden histories ”, Alan Crichton (“ The Belly Project raises a dizzying array of issues ” et Michael Shaughnessy (“ Herstory : The physical, domestic, cultural, and political experience of women as seen by four photographers. Part One : The Body. ‘The Belly Project’ ”).