Comptes rendus

Céline LabrossePour une langue française non sexiste. Montréal, Les Éditions des Intouchables, 2002, 174 p.[Notice]

  • Diane Vincent

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  • Diane Vincent
    CIRAL
    Université Laval

La première question soulevée par la lecture de l’ouvrage est celle du public cible : qui l’auteure veut-elle atteindre, qui veut-elle convaincre ? D’un côté, les fondements théoriques et les principes analytiques exprimés sont trop succincts, voire trop simplistes, pour s’adresser à des spécialistes du langage. D’un autre côté, l’auteure fait référence à des faits linguistiques complexes qui risquent d’être acceptés sans condition, alors qu’ils mériteraient d’être nuancés ou remis en perspective. Cependant, dès les premières lignes de l’introduction, on trouve une réponse (partielle) à cette question : les préoccupations de l’auteure ne se situent pas sur le plan de la description scientifique puisqu’elle présente la question du sexisme dans la langue comme « une cause ». L’ouvrage de Céline Labrosse doit donc être pris pour ce qu’il est : un écrit polémique qui, à partir de nombreux exemples, veut montrer que la langue véhicule (accentue, perpétue, etc.) les divisions sociales fondées sur le sexe des individus. Comme c’est le cas pour toute démonstration, la thèse peut être généralement admise sans pour autant que les exemples qui l’appuient soient pertinents ou convaincants. Ainsi, personne parmi les linguistes ou sociolinguistes ne saurait nier que la langue maintient en même temps qu’elle reflète les divisions sociales, y compris celles qui sont fondées sur le sexe des individus. La thèse générale de l’auteure est donc admise par les spécialistes et la plupart des faits présentés sont des classiques du genre. Cependant, la manière de concevoir le rapport entre la langue et les usages sexistes peut donner lieu à des discussions. Pour ma part, j’aimerais soulever certains aspects de la démonstration de Céline Labrosse qui me semblent discutables et qui pourraient donner aux non-spécialistes une image fausse et surtout simpliste de la réalité linguistique. Sur le plan théorique, l’auteure présente l’hypothèse Whorf-Sapir dans sa version originale (les découpages linguistiques imposent un découpage de la réalité) pour appuyer son propos. Or, cette thèse a été vivement critiquée par la suite, et les linguistes en limitent aujourd’hui la validité à des champs sémantiques restreints, ce qui exclut les phénomènes morphologiques et syntaxiques (je reviendrai sur ce point). Par ailleurs, il est faux de prétendre que les langues tendent systématiquement vers la simplification : on observe simultanément des mouvements vers la simplification et d’autres vers la complexification. Le titre de l’ouvrage est aussi trompeur sur plusieurs plans. D’abord, une langue n’est pas sexiste, pas plus qu’elle n’est raciste, syndicaliste ou opportuniste. Ce sont là des propriétés qui qualifient des individus ou des groupes humains, mais non des objets symboliques comme la langue. En outre, exprimé comme tel, Pour une langue française non sexiste laisse croire en une formule magique : « il suffit de changer la langue pour que les divisions sociales changent » et son corollaire « si la langue ne change pas, les mentalités ne changent pas ». Dans les deux cas, l’induction est trop facile, le rapport entre langue et société ne peut pas se résumer à une équation aussi simple. Finalement, la formulation en Pour annonce la prédominance d’un plan d’action ; or, les mesures mises en avant par l’auteure pour « désexiser » la langue sont moins nombreuses que les faits qui illustrent les inégalités fondées sur le genre et l’auteure ne se prononce pas sur l’efficacité de telles interventions. De façon plus précise, l’ensemble de l’ouvrage présente une suite de faits qui illustrent la thèse de l’auteure. Ces faits se situent sur deux plans distincts, que l’auteure ne décrit pas comme tels, mais qui ont des incidences différentes sur un éventuel plan d’action : les marques linguistiques de la représentation des …