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Qui sont, que font et comment se portent les Mélanie, Julie, Stéphanie, Isabelle, Caroline, Marie-Ève et autres jeunes femmes du Québec ? Voilà des questions auxquelles le Conseil du statut de la femme se propose de répondre dans une récente publication leur étant destinée. La chercheuse, l’intervenante ou la citoyenne qui s’intéressent à la condition des Québécoises de 15 à 29 ans salueront certainement l’initiative puisque, la plupart du temps, les données descriptives les concernant sont dispersées à travers des statistiques peu spécifiques relatives à l’ensemble des femmes ou presque exclusivement révélatrices des différents « problèmes » concernant les plus jeunes d’entre elles, à savoir les adolescentes.
Des nouvelles d’elles est essentiellement un portrait statistique. S’adressant d’abord aux jeunes, mais aussi aux parents, aux enseignantes et enseignants de même qu’aux autres personnes-ressources et spécialistes travaillant auprès d’elles, cet outil de référence est d’utilisation simple et conviviale (par exemple, les tableaux et les schémas sont très clairs), outre qu’il arbore une présentation agréable, le visage de plusieurs jeunes Québécoises égayant chacun des chapitres. Au nombre de huit, ces derniers englobent différentes sphères de la vie des jeunes femmes de 15 à 29 ans : aspects démographiques, situation familiale, scolarité, carrière, sources de revenus, santé, loisirs et passe-temps ainsi que valeurs et aspirations.
Les données sont souvent présentées selon trois groupes d’âge (de 15 à 19 ans, de 20 à 24 ans et de 25 à 29 ans), ce qui facilite la mise en relief de plusieurs particularités des conditions de vie des jeunes femmes. De plus, des comparaisons sont effectuées entre diverses populations et différents milieux. Cela permet ainsi de situer les statistiques dans leur contexte. Par exemple, on met en relation les données concernant les jeunes femmes avec celles qui ont trait à leurs pairs masculins ou à des femmes de la génération précédente. Il en va de même des milieux urbain et rural. Les auteures fournissent également quelques statistiques au sujet des jeunes femmes de groupes dits « minoritaires », qu’elles soient autochtones, immigrantes, adoptées, handicapées ou sans-abri, ce qui va en faveur d’une meilleure représentativité de la population étudiée. Enfin, l’obtention rapide d’un portrait global de la situation des jeunes femmes est facilitée par la section « Faits saillants », présente à la fin des chapitres.
Dans le chapitre 1, qui concerne les aspects démographiques, nous apprenons notamment qu’il y a 710 582 femmes de 15 à 29 ans au Québec. De ce nombre, 8 % sont nées à l’étranger et le quart est enfant unique. Dans le chapitre 2, qui porte sur la situation familiale des jeunes femmes, nous constatons qu’un nombre croissant d’entre elles vivent seules ou en colocation, que la majorité choisit l’union libre comme mode de vie en couple et que la naissance de leur premier ou première enfant, lorsqu’elle a lieu, survient en moyenne à 27 ans.
Le chapitre 3 est dédié à l’important dossier de la scolarité des jeunes femmes. Des progrès majeurs ont été accomplis par ces dernières par comparaison avec leurs mères et avec leurs homologues masculins. Elles arrivent premières pour l’obtention des diplômes d’études secondaires et collégiales, des baccalauréats et des maîtrises, seul le doctorat échappant à cette avancée. À titre indicatif, 33 % des jeunes Québécoises obtiennent un baccalauréat, alors que c’est le cas de 22 % des jeunes Québécois. Cependant, tout n’est pas rose ; la diversification des choix d’études et de carrière se fait lente, quoique des améliorations sont observables pour ce qui est des études universitaires.
Bien que l’on puisse croire que cette avancée se traduit par une plus grande « aisance » financière chez les jeunes femmes, force est de constater, aux chapitres 4 et 5, qui traitent de leurs carrières et de leurs revenus, que le capital est encore loin d’être distribué équitablement entre les femmes et les hommes. Ces dernières, comme leurs consoeurs plus âgées d’ailleurs, se retrouvent très souvent dans une précarité matérielle notable. Quelques exemples à l’appui de cette affirmation : malgré un taux d’activité élevé chez les femmes de 25 à 29 ans (80 %), les emplois qu’elles occupent sont plus souvent non syndiqués, à temps partiel et autonomes qu’auparavant. Qui plus est, les revenus d’emplois et de transferts auxquels elles ont accès sont encore inférieurs à ceux des jeunes hommes, et cela, sans compter la maternité qui occasionne des pertes financières importantes, non compensées par les programmes sociaux en vigueur (à peine la moitié des femmes qui accouchent pourraient se prévaloir des prestations d’assurance-emploi qui, rappelons-le, ne couvrent habituellement que 55 % du salaire). Le taux de pauvreté chez les jeunes est en augmentation et est plus souvent le lot des jeunes femmes (ainsi, le salaire annuel moyen des femmes de 20 à 24 ans est de 10 000 $, celui des 25-34 ans, de 21 000 $), particulièrement lorsqu’elles se retrouvent chef de famille monoparentale. Enfin, les jeunes mères qui jouent le rôle de soutien de famille sont deux fois moins nombreuses à être propriétaires que les jeunes hommes dans la même situation. La situation financière des jeunes femmes est donc fort préoccupante.
Le chapitre 6 aborde la santé des jeunes Québécoises. Des questions telles que les troubles alimentaires, le suicide, la consommation d’alcool et autres drogues, certains problèmes liés à la sexualité et la violence conjugale y sont traitées. On découvre notamment que le tiers des jeunes femmes rapportent vivre de la détresse psychologique, que le taux de suicide est en augmentation chez elles, que près de 60 % d’entre elles souhaitent perdre du poids, qu’elles sont deux fois plus nombreuses que les jeunes hommes à avoir été traitées pour une maladie transmise sexuellement (MTS), que le taux de grossesse est en hausse chez les moins de 18 ans et qu’elles représentent 41 % des victimes de violence conjugale. Seule note positive au tableau : le tabagisme a nettement diminué.
En tant que jeune chercheuse féministe dans le domaine de la sexualité des jeunes femmes, nous trouvons difficile de passer sous silence une préoccupation découlant de la lecture d’un passage en particulier du rapport. Il y est fait mention que les jeunes femmes sont « souvent plus vulnérables aux pressions sociales, [qu’elles] sont plus souvent influencées » (p. 63) en matière de sexualité. D’une part, on omet de préciser qui sont les auteurs habituels de ces pressions, des jeunes hommes souvent plus âgés qu’elles, en l’occurrence. D’autre part, ces derniers ne seraient-ils pas autant « influençables » et « vulnérables aux pressions sociales » lorsqu’en bande ils se mettent au défi de faire ceci ou cela ? Bien que cela n’ait certainement pas été l’intention des auteures du rapport, une telle affirmation contribue à occulter les rapports sociaux de sexe, pourtant omniprésents dans la sexualité des jeunes. Enfin, comme c’est souvent le cas des enquêtes de santé, l’accent est mis sur les problèmes plutôt que sur des indicateurs plus généraux de santé, ce qui laisse entrevoir un portrait sombre de la santé des jeunes Québécoises. Néanmoins, cette approche présente l’avantage de mieux cibler les efforts futurs à consentir dans ce domaine.
Le chapitre 7 contribue à alléger ce portrait, puisque les loisirs et les passe-temps sont au menu. On constate que les jeunes femmes font de plus en plus de sport, mais qu’elles ont moins de temps libre que leurs homologues masculins et que ce précieux temps diminue avec l’âge, les obligations professionnelles et familiales prenant de plus en plus de place.
Comme une bouffée d’air frais, le chapitre 8 ouvre sur des perspectives d’avenir en abordant les valeurs et les aspirations des jeunes Québécoises de 15 à 29 ans. On y découvre que les « héritières des luttes féministes » (p. 7) auraient, signe des temps, des ambitions plus individualistes, relevant davantage de la sphère privée : réussite et épanouissement professionnels, doublés d’une indépendance financière ; vie sentimentale harmonieuse avec partage plus égalitaire des tâches. Et la maternité ? Plusieurs jeunes femmes répondent par l’affirmative, mais refusent d’être « juste une mère » (p. 85) et de laisser tomber leurs nombreux projets personnels. Leurs valeurs ne sont pourtant pas purement individuelles, comme le démontrent leurs préoccupations plus collectives envers l’environnement, la lutte contre la pauvreté et l’égalité des droits. Les jeunes femmes se définiraient davantage comme humanistes que comme féministes. Adhérant moins à un féminisme radical et collectif, elles souhaiteraient mettre en avant leurs revendications individuelles en faisant participer les hommes à leurs démarches.
En somme, l’ouvrage Des nouvelles d’elles constitue un outil de référence pratique et fiable, regroupant de manière claire, synthétique et précise un ensemble de données pertinentes sur les conditions de vie des jeunes Québécoises de 15 à 29 ans. La chercheuse ou l’intervenante trouvera certainement en ce rapport un appui intéressant à ses travaux. Cependant, étant donné la gravité de certaines statistiques et les enjeux qu’elles soulèvent pour l’avenir des jeunes femmes, la lectrice ou le lecteur peut rester sur sa faim à la consultation d’une conclusion peu étayée en matière de pistes d’action. Cela nous amène à la portée politique du document. Les auteures mentionnent en introduction qu’il s’adresse aux jeunes femmes et qu’il a pour objet de circonscrire leurs réalités pour les appuyer dans leur cheminement. Remettre le dossier des jeunes femmes à l’ordre du jour, surtout dans un contexte où le sort des garçons et le masculinisme ont bonne presse, est certes un pas important pour l’avancement (voire l’évitement d’un recul) des conditions de vie des femmes. Par exemple, alors que les difficultés scolaires des garçons, toutes réelles qu’elles soient, font fréquemment la une des quotidiens, il en est autrement des difficultés salariales et de la grande précarité qui caractérisent toutes les femmes, jeunes et moins jeunes.
Bien qu’il soit avant tout informatif, ce rapport peut servir de catalyseur à la réflexion sur les changements à apporter et les luttes à poursuivre (notamment l’équité salariale et les programmes sociaux de maternité à bonifier), en faveur de l’amélioration de l’existence de la moitié de la population québécoise. En espérant que les jeunes femmes aient accès à ce document, comme le souhaitent ses auteures !
En terminant, à titre de jeune féministe, nous ne pouvons nous empêcher de souligner nos préoccupations à l’égard de la solidarité intergénérationnelle féminine et de l’avenir du féminisme. Comment conjuguer les efforts et les forces des différentes générations de femmes et de féministes ? Ne serait-il pas à la fois judicieux et agréable de les réunir autour d’une même table pour en discuter ? Car, après tout, c’est de l’avenir de toutes les femmes qu’il est question…