Dix ans après la parution de Nickel and Dimed : On (Not) Getting Byin America de Barbara Ehrenreich, le phénomène de la pauvreté en emploi se présente désormais comme une réalité structurelle et multidimensionnelle qui interroge les mécanismes traditionnels de régulation des rapports sociaux dans le capitalisme avancé. Il doit être saisi sur le plan analytique à la fois dans ses liens et dans ses interactions avec les mutations du marché du travail et des statuts d’emploi, les transformations des politiques publiques – y compris les politiques migratoires et les mécanismes traditionnels de la protection sociale – ainsi qu’avec la division sexuelle du travail et les stratégies d’entreprises. Qui sont les travailleurs et travailleuses pauvres dans un capitalisme du 21e siècle qui concourt à la centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail et à la prolifération de la pauvreté en emploi? De manière concomitante à la précarisation, identifie-t-on une tendance à l’informalisation, non seulement dans les marchés périphériques du travail, mais aussi au coeur du système productif, suscitée notamment, mais pas uniquement, par des interventions des États sur les flux migratoires? Quelles sont les conditions de vie de ces personnes oubliées de la « croissance »? Quels sont les liens entre l’évolution de la pauvreté en emploi et celle des politiques publiques, qu’elles soient « sociales » ou « économiques »? En quoi les différentes formes de pauvreté en emploi et leur évolution sont-elles révélatrices de l’évolution des rapports sociaux, notamment les rapports de genre, de classe et de « race »? Quel éclairage une définition extensive du travail (dont le travail informel, non libre, non rémunéré, domestique et de soins aux personnes) apporte-t-elle à l’analyse des dynamiques structurelles qui sous-tendent la pauvreté en emploi? Comment le mouvement syndical structure-t-il sa réponse aux revendications portées par des travailleurs et des travailleuses pauvres? Enfin, dans quelle mesure l’inscription – et le positionnement – des économies nationales dans un capitalisme globalisé affecte-t-elle ces reconfigurations? Telles sont les questions qui ont inspiré ce numéro thématique de la Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST) et auxquelles les sept articles que nous présentons ci-dessous cherchent à répondre. Le texte qui ouvre le numéro, rédigé par Annie Lamanthe, explore les problématiques nord-européennes en ce qui a trait à « l’emploi peu qualifié et à bas salaire ». L’auteure cherche à y analyser la croissance du travail à bas salaire – ainsi que le déclin des conditions d’emploi et de travail qui affectent ses travailleurs et travailleuses – comme une conséquence des réformes néolibérales mises en place dans certains pays européens. Elle s’intéresse aux questionnements qui surgissent lorsque cette problématique commence à préoccuper les gouvernements des pays développés, en particulier les États-Unis, où la comparaison avec l’Europe mettait en relief, au début de ce siècle, des différences statistiques significatives signalant l’importance de la précarité en emploi. Elle observe surtout que les constats pour expliquer de telles différences, ainsi que les différences intra-européennes, renvoient d’abord aux dimensions institutionnelles propres à chaque pays eu égard à la régulation du marché du travail, même si, par ailleurs, les pays étudiés sont sujets à des pressions concurrentielles semblables les incitant à adopter des mesures visant la flexibilisation du travail. Les capacités de régulation des institutions nationales sont comparées en s’appuyant sur une recherche, menée en 2005 et 2006 et portant sur les salariés et les emplois peu qualifiés et à bas salaires dans cinq pays d’Europe du Nord (Allemagne, Danemark, France, Pays-Bas et Royaume-Uni). L’objet de cette recherche était d’étudier l’ampleur, les caractéristiques et les tendances que ces emplois connaissent dans le contexte …
Parties annexes
Bibliographie
- EHRENREICH, B. 2004 [2001]. L’Amérique pauvre. Comment ne pas survivre en travaillant, Paris, Grasset.
- NOISEUX, Y. (printemps 2011). Le travail atypique au Québec : les femmes au coeur de la dynamique de centrifugation de l’emploi. Revue Labour / Le Travail, no 67, p. 95-120.
- NOISEUX, Y. (été 2012). Le travail atypique au Québec : les jeunes au coeur de la dynamique de centrifugation de l’emploi. Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, vol. 7, no 1, p. 28-54.