Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail
Volume 8, numéro 2, 2013
Sommaire (8 articles)
-
Présentation du numéro
-
L’emploi peu qualifié et à bas salaire : problématiques nord-européennes
Annie Lamanthe
p. 9–34
RésuméFR :
Les emplois peu qualifiés et à bas salaire ne tendent pas à disparaître dans les pays les plus développés. Au contraire, force est de constater que dans plusieurs de ces pays la croissance de l’emploi se fait dans les secteurs où les emplois peu qualifiés se concentrent. Et il faut voir là une des manifestations des dynamiques actuelles du capitalisme. Une recherche comparative entre cinq pays d’Europe du Nord (Allemagne, Danemark, France, Pays-Bas, Royaume-Uni) montre cependant que, si ces pays sont tous concernés par cette tendance générale, la présence de travailleurs à bas salaire n’a pas le même poids partout. Les dimensions institutionnelles propres à chaque pays apparaissent comme un facteur déterminant tant de la proportion de travailleurs à bas salaire que des conditions offertes à ces derniers. Bien qu’elles aient partout connu des modifications à la baisse, la nature et la force des institutions de régulation du marché du travail créent la différence. L’existence ou non d’un salaire minimum légal, le régime des conventions collectives et le taux de couverture des salariés par des accords collectifs, la nature et le degré de la régulation de l’emploi temporaire jouent un rôle primordial.
-
Actrices des mutations ou responsables de leur précarité ? Travailleuses pauvres et politiques publiques au Québec
Carole Yerochewski et Francis Fortier
p. 35–60
RésuméFR :
La construction des statistiques de travailleur pauvre tient pour acquis que les ménages mettent en commun leurs revenus et perpétue une vision du monde du travail reposant sur la norme de l’emploi à temps plein et permanent. Partant du concept de revenu d’activité proposé par S. Ponthieux (2009), cet article met en lumière les impacts du choix d’une définition de travailleur sur la représentation statistique de la pauvreté en emploi : les femmes constituent la majeure partie des travailleurs pauvres et leur pourcentage parmi les ménages de travailleurs pauvres progresse. Leur insertion sur le marché du travail s’avère ainsi très inégale, et cette inégalité est renforcée par des politiques publiques qui s’appuient sur la division genrée et racialisée du travail pour réduire ses coûts de main-d’oeuvre.
-
Renverser la tendance à la pauvreté au travail en instaurant un revenu minimum garanti au Québec ?
Marie-Pierre Boucher
p. 61–83
RésuméFR :
Qu’elle soit nommée « allocation universelle », « impôt négatif », « revenu de citoyenneté » ou « revenu minimum garanti », l’idée d’un revenu de base inconditionnel continue d’alimenter les passions et les réflexions au Québec, en Europe et ailleurs dans le monde. Le revenu minimum garanti est une mesure de soutien du revenu ou de lutte contre la pauvreté intégrée à la fiscalité. Cet article présente l’une des périodes de l’examen de la faisabilité de l’implantation d’un revenu minimum garanti, dans les années 1970 au Canada et au Québec. Cette période est mise en parallèle avec l’instauration de l’aide sociale en 1969, puis avec les réformes néolibérales des systèmes de protection sociale canadien et québécois des dernières décennies. Nous examinerons ces réformes au regard de la gestion de la main-d’oeuvre de la politique sociale, laquelle participe, par l’activation, à la segmentation flexible du système d’emploi.
-
Syndicalisme et travail atypique : l’évolution des prises de position des grandes centrales québécoises
Yanick Noiseux
p. 84–100
RésuméFR :
En parcourant l’historique des revendications, des orientations et des prises de position des grandes centrales québécoises au cours des trente dernières années, force est de constater que celles-ci se sont d’abord cantonnées dans une position défensive visant à contrer la progression du travail atypique. Longtemps à la remorque d’autres organisations de la société civile lorsqu’il s’est agi de défendre aussi les intérêts des travailleurs s’exerçant sur les marchés périphériques du travail, les centrales ont lentement pris acte des transformations fondamentales des marchés du travail et de l’obligation d’agir « malgré et avec » les changements. Au tournant du millénaire, les centrales se sont progressivement tournées vers des stratégies plus variées cherchant à prendre en compte les besoins différenciés des travailleurs atypiques. Plutôt que de simplement combattre la prolifération de l’emploi atypique, les centrales syndicales insistent désormais sur l’amélioration des situations dans lesquelles se retrouvent ces travailleurs. Le principe général d’égalité de traitement affirmant qu’à travail égal il faut un salaire égal sera progressivement reformulé de manière à répondre aux nouvelles formes que prend l’emploi. Des efforts significatifs ont été faits afin de recruter de nouveaux membres parmi les travailleurs atypiques, notamment dans le secteur tertiaire privé où abonde l’emploi à temps partiel ainsi qu’auprès de travailleurs temporaires. Contrairement aux idées reçues, les centrales se sont aussi mobilisées afin d’organiser collectivement de nombreux groupes de travailleurs autonomes. Le fait que les grandes centrales syndicales du Québec se soient finalement prononcées pour l’interdiction totale des clauses de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi constitue également une avancée importante. Cela dit, la persistance de ces clauses « orphelin » a un impact considérable sur la capacité du syndicalisme à affirmer sa raison d’être et apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur, notamment pour les nouvelles générations de travailleurs.
-
Rapport salarial, politiques ciblées de lutte contre la pauvreté et construction d’une protection sociale à visée universelle : le cas brésilien
Fernando José Pires de Sousa
p. 101–124
RésuméFR :
Au Brésil, les dix dernières années ont été marquées par l’administration du Parti des travailleurs (PT), le gouvernement de Dilma Roussef ayant succédé en 2011 au gouvernement du président Lula da Silva (2003-2006 et 2007-2010). Ces gouvernements ont fait de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales leur priorité, un objectif qu’ils ont cherché à poursuivre en tentant de générer de la croissance économique tout en créant des emplois dans le secteur formel, ainsi qu’en impulsant des augmentations réelles du salaire minimum et en mettant en place des politiques de transfert de revenus. La pierre d’assise des gouvernements Lula aura été le programme Bolsa Família (Bourse famille), alors que le programme Brasil sem Miséria (Brésil sans misère) sera le programme phare de sa successeure. Cet article cherche à analyser les enjeux autour de la mise en place de ces programmes et de la construction de la protection sociale, dans le cadre de l’aménagement d’une stratégie de lutte contre la pauvreté au Brésil. L’auteur propose des éléments pour une discussion portant sur la question du rapport salarial (et de son évolution) dans le contexte de la dynamique récente de transformation économique. Il réfléchit également à la capacité du gouvernement brésilien de mettre en place ses politiques économiques et sociales dites prioritaires visant l’amélioration des conditions des travailleurs pauvres.
-
Externalisation de la force de travail au Brésil : une voie sans retour ?
Liana Carleial
p. 125–144
RésuméFR :
L’objectif de cet article est d’analyser le développement récent, dans la société brésilienne, de l´externalisation de la force de travail. Dans la première décennie de ce siècle, la société brésilienne et son économie ont vécu une période spéciale marquée par le retour de la croissance économique, l’augmentation des investissements et des emplois bénéficiant d’un contrat de travail formel. Cependant, cette performance de l’économie brésilienne a encouragé à son tour une augmentation significative de la pratique de l´externalisation de la force de travail qui est en train de se généraliser à tous les secteurs d´activités économiques. Dans un contexte où l’on observe à la fois un certain optimisme vis-à-vis de la croissance économique et du marché du travail au Brésil et une augmentation du recours à l´externalisation de la force de travail, le cadre juridique très fragile paraît tout à fait incapable de réguler cette pratique qui conduit à la précarisation du travail.
-
Les flux du travail migrant temporaire et la précarisation de l’emploi : une nouvelle figure de la division internationale du travail ?
Sid Ahmed Soussi
p. 145–170
RésuméFR :
Cet article expose les résultats d’une étude consacrée aux impacts socioéconomiques locaux des flux du travail migrant temporaire au Canada sur la structure de l’emploi, le rapport salarial et la précarisation du travail. À l’échelle internationale, le phénomène migratoire a laissé progressivement place à celui de la mobilité temporaire, notamment à la faveur de la financiarisation de l’économie et de l’externalisation croissante des activités industrielles et de service des entreprises. S’agit-il d’un infléchissement ou d’un véritable « changement de paradigme dans la gestion des flux migratoires » ? Au Canada, cette transition, accentuée par la mise en place et l’expansion de programmes de travailleurs étrangers temporaires, soulève plusieurs interrogations. Quels liens établir entre cette expansion et la précarisation progressive de l’emploi dans les secteurs d’activité affectés par ces flux ? Dans quelle mesure ces programmes, conçus pour gérer localement les flux du travail migrant temporaire, mais qui s’inscrivent dans une dynamique transnationale, redéfinissent-ils certaines figures de la division internationale du travail ? Les réponses proposées ici sont exposées en quatre parties. La première dresse un portrait de ces programmes et de leur fonction. La deuxième livre une synthèse critique des problématiques du travail migrant temporaire dans l’analyse sociologique en se focalisant sur l’articulation dialectique entre les flux migratoires liés à l’immigration et ceux induits par la mobilité. La troisième partie examine les retombées de ce phénomène en matière de structure de l’emploi, de rapport salarial et de droits sociaux du travail. La dernière partie se focalise sur la dialectique locale/globale induite par ces flux et sur leurs impacts dans la division internationale du travail dont ils tendent à constituer une nouvelle figure. La conclusion revient sur les implications de ce phénomène sur les rapports sociaux du travail en matière d’inégalités sociales (rapports de classe, de genre et rapports ethnoculturels) ainsi que sur les interrogations politiques qu’il soulève concernant l’ambivalence du rôle de l’État dans l’encadrement institutionnel des flux du travail migrant temporaire.