Recension

Massé, Raymond. La tolérance pervertie. Paris, Les Belles Lettres, 2022, 233 p., ISBN 9782251452913[Notice]

  • Fabrizio Vecoli

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  • Fabrizio Vecoli
    Institut d’études religieuses, Université de Montréal

Raymond Massé est anthropologue et professeur titulaire retraité de l’Université Laval. Après avoir publié un ouvrage plus technique portant sur l’anthropologie de la morale et de l’éthique, il complète par le présent essai le cheminement de sa réflexion sur la question de la tolérance. Ce texte se présente, tout à la fois, comme une analyse des enjeux soulevés par ce concept et un appel à une certaine opérationnalisation et application de celui-ci dans le contexte de nos sociétés occidentales actuelles. Le titre de ce livre explicite la problématique de départ, qui a motivé la rédaction de ces quelque deux cents pages. Depuis désormais plusieurs années, la tolérance s’avère être, en effet, trop souvent pervertie et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les acteurs de cette perversion ne sont pas les intolérants, qui ne se soucient guère de cette vertu sociale, mais bel et bien les tolérants eux-mêmes, qui l’instrumentalisent et la radicalisent de maintes façons. L’auteur tente alors de recadrer cette notion en adoptant une perspective plus attentive aux questions concrètes qu’à leurs implications plus proprement philosophiques. Bien qu’il ne s’agisse pas, dans ce cas, d’une monographie d’anthropologie au sens strict, on devine toutefois, dans cet ouvrage, le regard particulier que ce chercheur de terrain porte sur cette matière aux multiples facettes. Le but de ses propos est effectivement de fournir les balises d’une politique « raisonnable », les justifications d’une posture de dialogue certes « engagé », mais « critique », les repères d’une attitude de « doute » qui se veut méthodique. Le premier chapitre pose le diagnostic de la maladie dont souffre la tolérance aujourd’hui : la rectitude politique, la culture du bannissement (cancel culture), la sacralisation de la diversité en elle-même, la recherche obsessionnelle de l’« espace de confort » (safe space, p. 34) sont les symptômes d’un détournement de la tolérance qui, idéalement, devrait plutôt être entendue comme un dialogue se caractérisant par la réciprocité entre les acteurs impliqués. Le chapitre suivant porte sur la question complexe du relativisme et de sa relation avec la tolérance. Il va de soi qu’un certain relativisme doit être considéré comme un prérequis de la tolérance, mais que celui-ci ne peut être absolu (sans tomber – paradoxalement – dans ce même ethnocentrisme qu’il entend purger); on passera donc d’une épistémologie postmoderne radicale – qui risque d’aboutir à une déresponsabilisation face à la vérité objective des injustices de ce monde – à un « nouveau réalisme » (selon l’acception que lui donne Maurizio Ferraris). On pourrait considérer ce dernier comme étant la synthèse idéale entre la thèse de l’universalisme rationalisant des Lumières et l’antithèse de la déconstruction poststructuraliste. De là on passe, avec le troisième chapitre, au problème incontournable des valeurs universelles. En vue d’une affirmation de la tolérance, elles s’avèrent tout aussi nécessaires que le relativisme, ce qui débouche sur une sorte d’impasse logique que l’auteur tente de résoudre en affirmant que ces valeurs universelles ne sauraient être établies scientifiquement (c’est-à-dire empiriquement), mais seulement par un dialogue ouvert entre les acteurs en jeu. Le quatrième chapitre consiste en une analyse critique du multiculturalisme, entendu aussi bien en tant que théorie des relations entre des cultures différentes que comme une politique mise en application par plusieurs gouvernements occidentaux. La principale faiblesse de l’option multiculturaliste réside dans son absolutisme, car l’on passe, selon les propres termes de l’auteur, « du respect de la différence à la promotion de la différenciation » (p. 96). La diversité devient un bien en soi et finit dès lors par favoriser un communautarisme et une ethnicisation qui ignorent (et rejettent) la …

Parties annexes