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Introduction[1]

Dans le riche corpus épistolaire de l’aristocrate et homme de lettres gallo-romain Sidoine Apollinaire figure une lettre, probablement datée de l’an 469 et adressée à son ami Eriphius, dans laquelle il livre un portrait saisissant des pratiques culturelles et sociales qui pouvaient entourer une fête de saint dans une grande cité gauloise de l’Antiquité tardive (1970, II, 201-205 [livre V, lettre 17] ; sur cette lettre, Schwitter 2015, 72-77 ; sur Sidoine Apollinaire, Kelly et Waarden 2013 ; 2020, surtout Bailey 2020). Il s’agit plus précisément de la fête de l’évêque lyonnais Just qui est alors célébrée le 2 septembre (au sujet du culte et de la tradition hagiographique de saint Just, voir Isaïa 2012, sur la topographie chrétienne de Lyon, Reynaud 1998).

Après une procession publique et des vigiles, les membres de la bonne société lyonnaise se dissociaient du peuple et se rassemblaient autour de la tombe du sénateur et consul Flavius Afranius Syagrius qui se trouvait aux portes de Lyon, afin d’y passer un moment idyllique de repos et de loisirs. Les rites religieux cédaient ainsi la place au jeu de balle et aux plaisirs de la table (Sidoine Apollinaire 1970, II, 202-203 [livre V, lettre 17, 3-6]). Quand le sénateur Philomathius décidait de se retirer de ces divertissements, il demandait à Sidoine qui l’avait suivi de composer une épigramme pour la serviette qui lui servait à s’essuyer le visage. Dans un échange amical, mais hautement rhétorique, audible de tous, ces deux hommes évoquaient alors, tour à tour, les muses et Apollon (Sidoine Apollinaire 1970, II, 203-204 [livre V, lettre 17, 8-10] ; sur l’épigramme et le jeu poétique Neger 2019). Sidoine témoignait ainsi d’un moment de sociabilité marqué par des pratiques qui, pour les contemporains, s’intégraient parfaitement dans le cadre d’une fête de nature religieuse, plus précisément chrétienne.

Ces pratiques semblent échapper à une simple classification binaire entre religieux et non-religieux, même si l’évêque ne participait pas à l’assemblée aristocratique mais allait plutôt méditer dans sa cathédrale. Sidoine, lui-même évêque de Clermont à partir de 471, a souligné ce retrait voué à la méditation (Sidoine Apollinaire 1970, II, 201-205 [livre V, lettre 17]). Il semble qu’à peine deux générations plus tard, la vision de certains contemporains a changé, même si les pratiques festives demeuraient les mêmes. L’un de nos témoins importants de la pratique pastorale en Gaule durant la première moitié du VIe siècle, Césaire d’Arles, évêque de la cité d’Arles (502-542), a ainsi condamné, dans plusieurs de ses sermons, les jeux et les célébrations excessives auxquels on avait l’habitude de s’adonner lors de fêtes qu’il a qualifiées de « religieuses ». Il s’agissait, en partie, des mêmes pratiques que celles qui, du temps de Sidoine, s’intégraient encore parfaitement au cadre festif chrétien et qui, selon lui et ses contemporains aristocrates et sans doute la majorité des citoyens, ne contrariaient aucunement la solennité d’une fête de saint. De plus, comme en témoigne Sidoine, ces pratiques n’étaient pas limitées aux classes sociales inférieures.

Cette réflexion initiale touche à un problème méthodologique plus large, celui des mutations des identités religieuses entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge et de l’interprétation des efforts discursifs qui les entouraient (Wood 2018). Éric Rebillard s’était penché sur un terrain de choix pour l’étude de ces questions, l’Afrique du Nord entre 200 et 450, donc entre l’époque de Tertullien et celle d’Augustin (2014). Rebillard rappelle le mérite des recherches plus récentes d’avoir montré à quel point l’opposition ferme entre chrétiens et non-chrétiens était le produit d’une construction discursive, comme un élément parmi d’autres du processus de formation d’une identité chrétienne. La focalisation sur les mécanismes de cette construction discursive a cependant relégué à l’arrière-plan la question non-résolue de savoir dans quel sens les sources nous permettent d’accéder à une réalité sociale extratextuelle. On se contente simplement de faire le constat du décalage entre expérience sociale et construction discursive. Face au poids du discours, ceux et celles qui continuent à approcher le religieux en tant que phénomène social, soit évacuent les textes comme base de source, soit font abstraction de la complexité des rapports entre textes et réalités sociales (Rebillard 2014, 11-12).

Pour sortir de cette impasse, Rebillard s’inspire de la sociologie contemporaine. Il a recours plus concrètement au cadre conceptuel posé, entre autres, par Rogers Brubaker dans son livre « Ethnicity without groupes » (2004). Brubaker problématise ce qu’il appelle le groupisme (groupism), c'est-à-dire la tendance de la recherche à considérer les groupes comme des acteurs de base de la vie sociale (2002, 164). Pour ramener cette problématisation méthodologique à notre propre terrain de recherche, il suffit de rappeler que l’essentiel de nos sources d’histoire du haut Moyen Âge est écrit par des clercs – hommes avant tout – qui donnent une vision des chrétiens comme d’un groupe homogène et relèguent tout ce qui se trouve en dehors de ce groupe à la catégorie de l’hérésie ou des individus à convertir (Rebillard 2014, 18-19).

Afin de se détacher des effets du groupisme, Burbaker propose d’analyser plutôt les procédés qui permettent à l’individu de recourir à un ensemble de catégories identitaires pour donner sens au monde social (2002, 170). C’est seulement dans un second temps qu’il analyse ce qu’il appelle la groupalité (groupality), c’est-à-dire des logiques de groupes hautement situationnelles et donc éphémères (ibid., 168). Brubaker s’inspire ici largement d’Eric Hobsbawm, qui postulait que l’étude de phénomènes et de pratiques politiques et sociales doit impérativement intégrer une approche d’analyse par le bas (1990, 10). La religiosité quotidienne qui fait l’objet de cet article illustre bien cette nécessité, car il ne s’agit pas de la saisir sur la base d’une opposition supposée entre les discours de l’élite et les pratiques populaires, mais plutôt de maintenir un équilibre analytique entre l’impact du religieux sur les discours institutionnels (Église, instances politiques) et la centralité expérientielle du religieux dans la vie quotidienne.

Dans une telle perspective, le religieux joue un rôle par intermittence, de sorte qu’il faut poser la question de savoir quand et comment le religieux devient important en guise de référence identitaire, sans pour autant négliger la potentialité que, dans certaines situations, il ne compte pourtant que peu ou pas du tout[2]. Soulignons ici que l’expérience liturgique relevait probablement, pour la majorité de la population du haut Moyen Âge – notamment en dehors des villes – de l’exceptionnel (Browe, 1940). Il faut donc s’attendre à un décalage non-négligeable entre l’évocation du fait religieux par les instances officielles et sa place réelle dans la vie quotidienne.

Pour suivre Brubaker et Rebillard, il faudra, avant tout, placer le regard sur la pluralité interne de l’individu qui est ainsi doté d’une agentivité situationnelle par rapport à des appartenances catégorielles disponibles, ou autrement dit des références identitaires, parmi lesquelles la christianité (par opposition au terme christianisme) ne constitue qu’un choix de référence possible parmi d’autres, comme l’appartenance familiale, genrée ou encore citadine. C’est donc un ensemble d’identités multiples qui permet à l’individu de donner sens au monde (Rebillard 2014, 14-17). La relation entre ces références peut être décrite par deux modèles d’organisation pour lesquels il faut s’attendre à une certaine fluidité : d’une part, un modèle hiérarchique prôné par les évêques qui classent toutes les références identitaires par rapport à la seule référence de la christianité, au moins, en situation d’exercice de leur office et d’autre part, un modèle latéral, plus proche de la pluralité interne de l’individu qui, sur la base de ses références, est capable de les activer dans des contextes précis sans que la christianité soit dotée d’une prééminence par rapport aux autres références identitaires (Rebillard 2014, 17). Un tel cadre conceptuel permet aussi de saisir les limites de l’utilisation du groupe en tant que catégorie analytique de l’histoire sociale. Si l’émergence de dynamiques de groupe n’est pas exclue, ces dernières ne supposent pourtant pas la préexistence d’un groupe social (comme par exemple celui des chrétiens) dans le sens d’une entité homogène (Rebillard et Rüpke 2015 ; Rebillard 2015).

C’est au regard de ce cadre conceptuel que cet article propose de contextualiser et comprendre le contraste de jugement que nous avons mis en exergue par le biais de l’exemple de la lettre de Sidoine Apollinaire pour contribuer, au moyen d’une étude de cas, au cadre de réflexion partagé par les articles de ce dossier thématique : les formes de corrélation et d’interaction entre croyances et pratiques (sur la religiosité des laïcs en Gaule, Bailey 2016). Pour ce faire, nous proposons de nous plonger dans le riche corpus des sermons de Césaire d’Arles[3]. Ces sermons seront étudiés en tant que reflets des tensions qui entourent des pratiques jugées par Césaire incompatibles avec une identité chrétienne. Ils témoignent, d’un côté, de la volonté de Césaire de classer ces pratiques qu’il jugeait problématiques par rapport à une logique de références identitaires qui plaçait la chrétienté au sommet, constat qui rejoint les observations d’Éric Rebillard (2014, 107-155 ; 2015) à propos des sermons de saint Augustin. D’un autre côté, ces sermons constituent un reflet stylisé de situations de communication entre l’évêque et sa congrégation, et plus largement la communauté citadine de la ville d’Arles[4]. En ce sens, ils nous permettent de saisir en filigrane les stratégies argumentatives des laïcs justifiant ces pratiques que Césaire condamnait.

Jusqu’à ce point, nous avons soigneusement évité le terme « païen » dans ces remarques introductives. Les sermons de Césaire d’Arles ont, en effet, été longtemps envisagés comme des preuves de la survivance de pratiques païennes et de superstitions, qui perdurent tout d’abord chez les lecteurs de ces sermons au haut Moyen Âge, surtout à l’époque carolingienne. Cependant, Yitzhak Hen a souligné que cette lecture des sermons de Césaire contraste avec le fait que, dans l’ensemble du corpus de ceux-ci, les pratiques que l’on pourrait qualifier de « païennes » et de « superstitieuses » représentent un sujet plutôt marginal. Qui plus est, le recours au terme « païen » constitue avant tout une stratégie discursive dans l’argumentaire de Césaire et appelle donc à la plus grande prudence (Hen 2002, 229-230). Ces considérations nous ramènent en fin de compte à un point essentiel des réflexions méthodologiques de Rebillard, à savoir à l’équilibre analytique entre le discours institutionnel ecclésiastique et les pratiques quotidiennes des chrétiens que nous souhaitons saisir au-delà des intentions de jugement et de contrôle d’un évêque comme Césaire.

Concrètement, les pratiques que l’on propose d’étudier plus en détail concernent les stratégies face à l’absence ou l’abondance d’enfants, les comportements à l’égard des expériences de maladie et, pour revenir au sujet de la lettre de Sidoine Apollinaire, les cultures festives. Ces analyses exemplaires serviront, en conclusion, de base à un retour au cadre conceptuel et historiographique.

1. Contrôle des naissances, avortement et infertilité

Césaire d’Arles souligne, à plusieurs reprises, un problème récurrent de la réalité quotidienne des membres de sa congrégation : celui de l’absence ou de l’abondance d’enfants. Les sermons 44, 51 et 52[5] illustrent particulièrement bien la nature et le contenu du débat autour des stratégies au sein de sa congrégation face à la question du contrôle de la naissance d’enfants et donc de la taille des familles. Si Césaire a présenté ces stratégies comme des choix individuels et égoïstes qu’il frappait de sa critique, on saisit en filigrane qu’il s’agissait là d’un enjeu d’ordre public, qu’une communauté citadine ne pouvait pas dissocier de l’évolution démographique des limites d’une économie locale. Pour les familles pauvres la question du nombre d’enfants se posait par rapport à leurs moyens matériels. Les familles les plus fortunées devaient prendre en considération les enjeux du maintien de la richesse familiale (Klingshirn 1994, 193-194). De ce fait, il n’est pas étonnant que Césaire ait jugé qu’une famille standard était constituée, en plus des parents, de deux à trois enfants (Caesarius Arelatensis 1953, I, 52, 4, 231). Césaire condamnait plusieurs pratiques de contrôle des naissances, notamment la contraception, l’avortement, l’infanticide et l’abandon du nouveau-né, sans considérer, cependant, les circonstances tragiques qui auraient pu pousser les parents et, surtout les mères, à faire ces choix (Caesarius Arelatensis 1953, I, 52, 4, 231). Seules les femmes qui recouraient à de telles pratiques étaient, en effet, visées par la critique de Césaire qui, semble-t-il, passait sous silence l’implication potentielle du père.

En même temps, il ne pouvait pas complètement nier que de tels choix de la part des femmes - de réduire ou limiter le nombre d’enfants de leur famille – pouvaient être motivés par des enjeux de subsistance : « Timentes ne forte, si plures filios habuerint, divites esse non possent? Et haec facientes quid aliud credunt, nisi quod illos, quos deus iusserit nasci, pascere aut gubernare non possit[6] ? » (Caesarius Arelatensis 1953, I, 52, 4, 231) L’accusation d’avidité lancée par Césaire aurait donc été justifiée par leur crainte de ne pas pouvoir nourrir tous leurs enfants, même si, selon lui, cette peur émanait de l’incapacité à faire confiance aux soins de Dieu envers les hommes. La raison matérielle réelle, terrestre pour ainsi dire était donc réduite, voire effacée, au profit d’un argumentaire mettant en avant la question de l’intensité de la croyance. Il s’agissait donc de récupérer à des fins pastorales de théologie morale une pratique essentiellement économique et sociale. L’exigence de la christianité en tant qu’unique référence identitaire et guide des comportements des chrétiens effaçait la validité de stratégies familiales et citadines face à des enjeux matériels réels qui touchaient l’ensemble de la société, et dont Césaire se montrait pourtant conscient.

Si l’on peut aussi voir dans ce passage un argument pour affirmer que le public des sermons de Césaire ne se limitait pas à une élite sociale urbaine, il est vrai que celui-ci reliait, par ailleurs, le recours à des pratiques de contrôle de naissance, avant tout, à des motifs de maintien et de croissance de la richesse familiale propres à un milieu aisé (Caesarius Arelatensis 1953, 51, 2, 228). Dans le même d’ordre d’idée, Césaire considérait que les femmes aristocrates qui souhaitaient réduire le nombre de leur descendance à des fins d’enrichissement familial ne voudraient pas que les femmes servantes à leur service ne donnent plus naissance à des enfants, donc à de nouveaux esclaves (Caesarius Arelatensis 1953, I, 44, 2, 196).

De nouveau conscient des enjeux matériels concrets, Césaire condamnait ces pratiques de contrôle des naissances exclusivement au regard de l’avidité dont elles faisaient preuve. De son point de vue, elles s’opposaient avant tout à une logique sociale de l’Église – à comprendre ici avant tout comme société chrétienne (Heinzelmann 1997) – puisque, selon lui, la contraception et l’infanticide privaient les enfants d’une vie chrétienne et l’Église de ses membres potentiels (Caesarius Arelatensis 1953, I, 44, 2, 196). D’après lui, il aurait plutôt fallu céder la charge de nourrir l’enfant à d’autres personnes (ibid.), mieux encore : le couple devrait favoriser la chasteté (Caesarius Arelatensis 1953, I, 52, 4, 231-232).

Par ailleurs se posait le problème de l’infertilité. Les pratiques habituelles pour contrer ce problème étaient qualifiées par Césaire de « sacrilèges » et « diaboliques ». Au lieu de s’en remettre à la volonté de Dieu, on commettrait, affirmait Césaire, plutôt des sacrilèges en prenant des médicaments comme l’ambre et des herbes, en recourant à des grimoires ou encore en portant des amulettes (Caesarius Arelatensis 1953, I, 51, 1, 227 et 4, 229 ; voir aussi Klingshirn 1994, 195-196). Césaire reconnaissait en même temps le poids émotif et la pression sociale causés par l’infertilité. Surtout, les femmes subissaient des pressions pour donner naissance à des héritiers tout en connaissant le chagrin causé par l’absence d’enfants.

Pour argumenter à l’encontre des pratiques soi-disant diaboliques contre l’infertilité, Césaire a loué l’absence d’enfants puisqu’elle libérait ainsi des biens terrestres qui auraient pu ainsi donner des fruits en tant qu’aumône à l’Église, une valorisation renforcée par une comparaison avec la fertilité spirituelle des moines et moniales (Caesarius Arelatensis 1953, I, 51, 2-3, 228). Au-delà de cette valorisation pragmatique, Césaire a développé ces arguments à partir de l’idée d’une loi naturelle émanant de la loi divine. La loi naturelle de l’absence d’enfants serait ainsi, selon lui, un signe de la loi et de la volonté de Dieu, qui n’empêcherait pas pour autant de prier pour donner naissance à des enfants (Caesarius Arelatensis 1953, I, 51, 4, 228 ; voir aussi 1, 12, 9).

Cette insistance sur le lien intrinsèque entre des faits naturels et la loi divine peut être comprise comme une stratégie argumentative contre une vision opposée, courante chez ses contemporains, à savoir la possibilité d’exercer une influence sur les lois de la nature et surtout la légitime intégration de traditions médicales anciennes dans un cadre chrétien, sur la base d’une distinction, voire d’une indépendance potentielle, des lois naturelles par rapport à celle divine.

Le lien des pratiques de fertilité avec les enjeux familiaux, associés à des conventions sociales et des logiques économiques et démographiques plus larges, a dû être, en revanche, bien plus important que la question d’un pouvoir potentiel de l’homme sur la nature. La possibilité de confier l’enfant à la charge d’autrui dont témoignait Césaire signale enfin une certaine agentivité des femmes qui ne souhaitaient ou simplement ne pouvaient plus avoir d’enfant. Malgré la rhétorique argumentative, base d’une prise de position critique de Césaire, le discours de ses sermons suggère qu’à la différence de l’évêque, une part importante de ses contemporains n’accordait, en fin de compte, que peu ou pas d’importance à la tension entre une attitude chrétienne telle que celle prônée par Césaire, et ces pratiques face à la fertilité ou l’infertilité.

2. Guérisons

Les façons de contrer la fécondité et l’infertilité révèlent certaines stratégies face à la contingence de l’existence humaine bien différentes de celles proposées, voire imposées, par Césaire d’Arles, qui ramenait ces questions à la seule sphère religieuse même s’il ne pouvait pas faire totalement abstraction des dimensions pragmatiques et sociales. Au regard du cadre conceptuel de notre analyse, il s’agit donc là d’une opposition entre deux visions de l’étendue effective de la christianité et de sa légitimité comme référence identitaire dominante. Le débat sur la distinction, ou le lien, entre les lois terrestres qui régissent la vie de l’homme et la loi divine nous offre même un regard, tout du moins partiel, sur les dimensions idéologiques de ces débats.

Des pratiques et raisonnements comparables semblent s’appliquer au champ thématique de la maladie et de la guérison (Klingshirn 1994, 218-224). Il n’est pas étonnant que Césaire ait condamné les pratiques médicales traditionnelles de ses contemporains qui étaient, en fait, en partie semblables à celles opposées ou favorables à la fertilité et l’infertilité ; aux administrations d’herbes et de médicaments, à l’apposition de signes de guérison, à la suspension sur le corps d’amulettes et de phylactères qui contenaient des choses saintes - probablement des reliques ou des versets saints - s’ajoutaient des sortilèges, l’interrogation d’haruspices, des divinations, le recours à des enchanteurs, des magiciens ou encore (comme le disait Césaire) des sources et des arbres[7]. Les remèdes proposés par Césaire étaient l’onction des malades, la distribution de l’eucharistie et la prière (Caesarius Arelatensis 1953, I, 50, 1, 225 ; 52, 5, 232).

La supposition selon laquelle étaient légitimes les pratiques que Césaire condamnait émanait, selon lui, d’une distinction erronée entre le soin du corps et celui de l’âme qu’il considérait, pour sa part, comme intrinsèquement liés (Caesarius Arelatensis 1953, I, 50, 1, 224-225). Ces pratiques ont pourtant dû être répandues. À plusieurs reprises, Césaire a même constaté l’implication de clercs et de religieux (c’est-à-dire des moines) dans ces dernières et dans l’administration des remèdes, notamment dans la distribution d’amulettes et de phylactères (Caesarius Arelatensis 1953, I, 50, 1, 224-225 ; 1, 12, 9). D’après lui, il ne s’agissait évidemment pas de vrais clercs et religieux puisqu’ils distribuaient du poison diabolique (Caesarius Arelatensis 1953, I, 50, 1, 225). Notons que des sources contemporaines, telles que la Vie des Pères du Jura, présentaient des pratiques apparentées comme parfaitement légitimes (Vie des pères du Jura, 2004, III, 12, 396).

Les effets occasionnels de guérison étaient interprétés par Césaire d’Arles comme des ruses du diable qui était alors autorisé (par Dieu) à tester la persévérance de l’homme face à la maladie que Dieu lui imposait en guise d’épreuve (Caesarius Arelatensis 1953, I, 13, 3, 66 ; 50, 1, 225 ; 54, 2, 236). D’après Césaire, ceux qui cédaient donnaient leur âme en pâture au diable et seule saurait les sauver la pénitence (ibid.), les fameux medicamenta poenitentiae, concept cher à l’évêque d’Arles[8].

Selon Césaire, il convenait de chercher une raison de la persistance des pratiques qu’il remettait en question dans des conventions, voire des pressions sociales, car il constatait que ces pratiques étaient régulièrement conseillées par des voisins sur la base de leur propre expérience (Caesarius Arelatensis 1953, I, 54, 2, 236). Il semble que Césaire se soit retrouvé en même temps confronté à ce propos à la capacité de certains membres de sa congrégation à argumenter en faveur des pratiques traditionnelles sur la base d’un légalisme scripturaire jumelé à une exégèse biblique strictement littérale[9].

Interdum solent aliquae mulieres, quasi sapientes et christianae, aegrotantibus filiis suis, aut nutricibus aut aliis mulieribus, per quas diabolus ista suggerit, respondere et dicere: non me ego misceo in istis talibus rebus, quia legitur in ecclesia: non potestis calicem domini bibere, et calicem daemoniorum; non potestis mensae domini participes esse, et mensae daemoniorum [I Cor. 10,20-21]. Et cum haec quasi excusans se dixerit: ite, et facite vos quomodo scitis; expensa vobis de cellario non negatur. Quasi vero per haec verba possit tam detestabile crimine innoxia deteneri. Sed non ita est: nam non solum mater, si permiserit, sed etiam alii, quicumque consenserint, sacrilegii crimen incurrent. Sic enim apostolus ait: non solum qui faciunt, sed etiam qui consentiunt facientibus [Rom. 1,32][10].

Caesarius Arelatensis 1953, I, 52, 6, 232-233

D’après Césaire, il y aurait donc des femmes « soi-disant sages et chrétiennes » dont l’enfant est tombé gravement malade et qui, en accord avec ces propos de pastorale, refusent en effet de suivre les conseils de guérison des voisins. Elles se servent cependant d’une lecture littérale de I Cor. 10 : 20-21 pour contourner le problème. Sur cette base scripturaire elles font valoir une distinction entre l’action et l’acteur. Elles envoient ainsi la nourrice à leur place pour chercher le remède que Césaire condamne. Pour compléter son attaque, il opposait à ce légalisme scripturaire l’idée d’une gravité équivalente entre l’action et la connaissance de l’action, argument qu’il a développé, à son tour, par un recours à l’autorité scripturaire, en l’occurrence à Rom. 1 : 32.

Une démarche comparable était en fait appliquée concernant la critique des pratiques de divination. Plus concrètement, Césaire a souligné que toute l’assiduité du chrétien dans l’aumône, les exercices d’ascèse et l’assistance aux offices ne valait rien si l’adhésion à des pratiques de divination était maintenue. Cette démarche argumentative fut reprise pour contrer de nouveau l’interprétation légaliste de I Cor. 10 : 20-21 que nous venons d’évoquer (Caesarius Arelatensis 1953, I, 54, 6, 239-240).

Si l’on examine ces stratégies d’argumentation et de réplique des sermons, on peine à croire que Césaire visait avant tout de simples survivances de pratiques anciennes menées dans des contrées éloignées des campagnes gauloises, comme cela a été souvent mis en avant à propos de la question des contextes auxquels s’appliquaient les critiques de pratiques qualifiées par Césaire de « paysannes » et avant tout de « païennes », point sur lequel on reviendra en conclusion. Retenons pour le moment qu’il s’agissait plutôt, à notre sens, d’une tentative de la part de Césaire de classifier toutes ces pratiques par rapport à la seule référence religieuse, afin de disqualifier des logiques argumentatives qui distinguaient les choses de la vie terrestre de celles de la vie céleste, et acceptaient un pluralisme de pratiques et de méthodes de compréhension du monde que l’on considérait parfaitement en accord avec une identité chrétienne. Comment, sinon, comprendre le recours à la Bible en tant que lex, donc comme référence normative ? Césaire devait au demeurant admettre que même des clercs y adhéraient et n’y voyaient aucun problème de compatibilité avec une identité chrétienne des croyants.

3. Cultures festives

En guise de dernier exemple, nous nous proposons d’analyser ce que Césaire pensait de la culture festive de certains de ses contemporains (Grig 2018, 73-77). Il a attaqué, par exemple, les festivités pour les calendes de janvier, donc le 1er janvier (pour une analyse plus détaillée, Grig 2017). Il se positionnait évidemment de nouveau contre les survivances de pratiques dites païennes qui entouraient les calendes de janvier, en particulier les multiples formes de déguisements en animal (surtout des costumes de cerf) ou d’hommes en femmes (Grig 2017, 245-255). Une grande partie des contemporains de toutes les classes sociales devaient au demeurant considérer qu’il s’agissait avant tout d’une fête civile, avis qui coïncide avec le témoignage apporté par les calendriers d’état romains qui circulaient dans l’Antiquité tardive comme celui de Polemius Silvius, dédié à l’évêque de Lyon, Eucher, mort en 449 (Weidemann 2016, 217-219). Ce fait montre en lui-même à quel point la qualification des calendes comme fête païenne par Césaire était en fait une polémique réductionniste[11].

Un point de critique présentant un intérêt particulier dans notre contexte visait un élément d’ordre social qui échappait au contrôle de l’Église, celui de l’échange de cadeaux. Il s’agissait en fait là d’une action symbolique de stabilisation de relations sociales, notamment d’amitiés formelles. Chez Césaire, la critique de cette pratique particulière demeurait assez vague, même si l’on peut supposer qu’il partageait des hésitations d’autres évêques contemporains qui ne s’opposaient pas forcément à cette pratique en soi, mais tenaient plutôt compte des conséquences économiques pour les personnes impliquées dans cette dynamique d’échange de cadeaux. Maxime de Turin en particulier critiquait le fait que les biens échangés étaient alors soustraits à l’aumône de l’Église et donc aux pauvres, car le riche qui donne au riche prive ceux dans le besoin d’un bienfait potentiel. Il y voyait aussi un risque d’épuisement économique du pauper qui n’était pas en mesure de donner et privait donc ses enfants de la fortune familiale (Maximus Taurinensis 1962, 98, 2, 133 ; Klingshirn 1994, 218). Nous percevons donc l’existence d’une tension entre une logique de caritas chrétienne et une autre de jeu social, qui semblait être au coeur de la majorité de la population lors des calendes de janvier et à laquelle Césaire a dû être sensible.

Les autres fêtes évoquées par Césaire étaient surtout les solennités du calendrier liturgique, avant tout les fêtes des saints, surtout des martyrs. Césaire fut confronté au problème que les pratiques qu’il jugeait illicites avaient lieu en dehors du cadre de la célébration liturgique, donc de la même façon que les loisirs détaillés dans la lettre de Sidoine Apollinaire.

De quelles pratiques s’agissait-il ? Césaire a évoqué des chants en public de chansons impudiques et grossières, des danses, des pantomimes, ainsi que des chants de choeurs (Caesarius Arelatensis 1953, I, 1, 12, 9 ; 13, 4, 67). Un autre point de critique visait la pratique consistant à se servir des fêtes des saints pour organiser des rencontres privées afin de régler des affaires judiciaires. Selon lui, leur solennité était donc trahie à des fins sociales (Caesarius Arelatensis 1953, I, 55, 2, 242). Cet aspect nous rappelle à quel point les grandes fêtes ecclésiastiques étaient des moments de rassemblement dans les cités qui accueillaient alors aussi les populations rurales. Les fêtes chrétiennes offraient donc la possibilité d’action spontanée de foules (Bobrycki 2016).

Mais, il existe une autre interprétation possible et complémentaire du témoignage des sermons de Césaire d’Arles qui suppose l’existence d’une dimension beaucoup plus formalisée de certaines pratiques qui accompagnaient les célébrations liturgiques. Le sermon 89 incitait en effet les croyants à assister à l’office divin pour écouter les leçons au lieu de s’adonner aux jeux de table (ad tabulas ludere) ou de fréquenter des spectacles (spectacula), que Césaire qualifiait de furiosa (sauvages), cruenta (sanglants) ou turpia (indécents ou mal sonnants) (Caesarius Arelatensis 1953, I, 89, 5, 368). Il a repris ces mêmes qualificatifs, par exemple, dans le sermon 13 toujours en lien avec les fêtes des saints, et les reliait à des ballationes et saltationes en tant que pratiques complémentaires, donc des pantomimes et des danses (Caesarius Arelatensis 1953, I, 13, 4, 66-67). Césaire formulait donc ici une critique à l’encontre des spectacles théâtraux ou scéniques organisés dans le contexte des fêtes, des farces ou jeux, des performances qui mariaient visiblement récitation, gestuelle et danse. Même s’il faut considérer qu’il s’est produit, à l’époque de Césaire, une certaine évolution de ces formes théâtrales par rapport aux spectacula de l’époque romaine, il a pu constater que les fêtes des saints semblaient absorber quelques principes formels aussi bien que des dynamiques plus spontanées des ludi, des spectacles publics de la cité de l’Antiquité détaillés dans les calendriers d’état dont il a déjà été question[12]. À leur image, les fêtes des saints semblaient marquées par la fusion d’une dimension religieuse et de pratiques culturelles civiles, fusion que Césaire, de toute évidence, refusait. En même temps, il situait explicitement ces pratiques sur les parvis des basiliques des saints (Caesarius Arelatensis 1953, I, 13, 4, 65 ; 74, 3, 311). Malgré des liens avec des traditions antérieures, ce fait suggère peut-être l’existence de formes de fêtes qui n’étaient pas dans une continuité directe avec ces festivités publiques de tradition impériale.

Dans un livre plutôt négligé par la recherche, Catherine Dunn avait déjà suggéré l’existence d’une corrélation entre la leçon performative des vies de saints dans le cadre de la liturgie et de formes de lecture performative et de mises en scène de vies de saints en dehors de la liturgie, également en lien avec la tradition des danses liturgiques et pantomimes (Dunn 1989, 46-101)[13]. Elle souligne cependant aussi que ces pratiques de lecture et de performance, tout du moins celles réalisées dans le cadre de la liturgie, avaient été mises en place par les évêques pour faire concurrence à des formes de mise en scène dans l’espace urbain telles que celles critiquées par Césaire d’Arles, entre autres (Dunn 1989, 71). Il faut cependant noter la longueur et l’aspect dialogué de nombre de récits hagiographiques qui se prêtaient finalement assez peu à une leçon liturgique au sens strict de ce terme. On peut prendre pour exemple la Passion de Julien et Basilisse transmise dans le Lectionnaire dit de Luxeuil (Le lectionnaire de Luxeuil 1944, 27-57 ; cf. Dunn 1989, 90-91). Il est possible que les critiques de Césaire portant sur les mises en scène lors de jours de fêtes ecclésiastiques n’aient pas été inspirées seulement par des sujets antiques mais aussi par des traditions narratives hagiographiques. Le fait que Césaire ait localisé ces spectacles sur les parvis des basiliques des saints suggère enfin que ceux-ci étaient reliés à des centres cultuels qui échappaient, tout du moins en partie, au pouvoir épiscopal et attiraient, du fait de la présence d’un ou de plusieurs cultes de saints importants, des populations en grand nombre[14].

Indépendamment de cette observation plus précise qui nécessiterait des recherches plus approfondies, l’on retient de l’analyse des sermons de Césaire à propos des fêtes des saints et de celles religieuses en général qu’il critiquait, de toute évidence, le lien des pratiques festives avec les ludi anciens, donc les jeux, les arènes et le théâtre ainsi que les pratiques plus informelles qui les entouraient telles qu’elles se présentent à nous dans la lettre de Sidoine Apollinaire, qui les attribuait de plus à l’élite sociale de la ville.

Conclusion

Dans le sermon 13 que nous avons évoqué à plusieurs reprises, et qui était destiné spécifiquement à la prédication dans les paroisses de son diocèse, Césaire a utilisé la métaphore du sceau comme marque d’authenticité du bon chrétien. Il incombait cependant à ce même bon chrétien de veiller à ce qu’un anneau sigillaire d’or ne renferme pas de pailles pourries (Caesarius Arelatensis 1953, I, 13, 1, 64). Cette mise en image rend compte, à notre sens, d’une transformation de la distinction ancienne entre falsa religio et vera religio qui avait émergé au début IIIe siècle, sous la plume de Tertullien, dans un contexte marqué par un pluralisme religieux et des jeux de pouvoirs en lien avec cette réalité pluraliste. C’est l’idée même d’une religio qui se mettait en place à cette époque (Rebillard 2014, 159-160). Même s’il faut admettre que cette distinction entre falsa religio et vera religio apparaît sous ces termes seulement dans l’un des sermons de Césaire (Caesarius Arelatensis 1953, I, 40, 2, 170), elle forme la base d’une stratégie argumentative et d’une démarche pastorale, stratégie qui place sous le label de survivances diaboliques ou païennes des pratiques qui étaient établies de longue date. Cette observation générale, reposant sur la lecture des sermons de Césaire d’Arles menée à travers cet article, complexifie l’idée que ce concept tardo-antique de religio (qui permettait justement d’opérer la distinction entre une vraie et une fausse religion) avait disparu à l’époque d’Augustin pour resurgir à celle moderne (pour cette idée de hiatus, Smith 1963, 28 et les positions sceptiques de Rebillard 2014, 160 et surtout de Boyarin 2009, 11-12).

Il faut sans doute supposer une certaine sincérité de la part de Césaire quand il distinguait entre une catégorie de « bons » et une autre de « mauvais » chrétiens. Mais la dimension polémique d’une telle distinction va toutefois à l’encontre de toute appropriation en guise d’outil heuristique de l’historien. Robert Markus (1990, 8), en ce qui concerne l’époque d’Augustin, et William Klingshirn (1994, 20) pour celle de Césaire d’Arles, avaient déjà critiqué une telle approche. Markus suggérait d’essayer plutôt de comprendre les démarches qui permettaient aux chrétiens – religieux et laïcs – de faire une distinction entre ce qui appartenait à leur « religion » et ce qui était propre à la vie « profane » (1990, 14). Markus introduit alors la notion de signification religieuse pour trancher entre une sphère profane et une autre sacrée (1990, 15). Rebillard dont l’étude sur les identités multiples de chrétiens en Afrique du Nord a servi de point de départ méthodologique de notre analyse souligne, cependant, qu’avec cette proposition, l’on oublie qu’il s’agit là d’une distinction imposée dans les démarches pastorales par les évêques (2014, 163). Il en a été de même pour Césaire, un enfant spirituel gaulois d’Augustin.

Si l’on accepte l’idée que les sermons de Césaire permettent de jeter un regard derrière le voile de la rhétorique pour saisir des pratiques et visions des citadins – bons ou mauvais chrétiens selon la catégorisation de l’évêque d’Arles – les exemples que nous avons mis en avant montrent que tout du moins certains laïcs, voire même des clercs, n’établissaient pas de distinction nette entre le profane et le sacré au vu de pratiques établies.

Dans le cas des évêques, tout ceci était relié à des enjeux d’implantation de leur pouvoir spirituel et institutionnel faisant encore l’objet, à l’époque de Césaire (et bien au-delà), de limitations importantes, notamment en ce qui concernait le contrôle des églises basilicales, les basilicae sanctorum[15]. Il est donc d’autant plus intéressant que certaines pratiques condamnées par Césaire étaient explicitement reliées à ces églises basilicales.

Une distinction entre deux modèles d’appartenances catégorielles ou de références identitaires qui s’inspire des observations d’Éric Rebillard permet de mieux comprendre les tensions auxquelles on s’est intéressé ici. Elles sont le résultat d’un conflit entre une organisation latérale de ces références et une autre hiérarchique. Tout du moins en tant qu’évêque, Césaire prônait un modèle hiérarchique de subordination de toutes les appartenances à celle religieuse en soulignant la prééminence de la christianité. D’un autre côté, Césaire fut confronté à des individus qui suivaient un modèle latéral sur la base d’un principe de sélection situationnelle. Dans un contexte donné, ils avaient recours à des ensembles d’appartenance jugés aussi pertinents, voire davantage, que l’appartenance religieuse. Pour une bonne partie des pratiques visées par Césaire, la dimension sociale a dû être bien plus importante que leurs dimensions religieuses. En ce sens le problème n’était pas forcément l’intensité de l’appartenance religieuse mais la place qu’elle occupait dans les différents domaines de la vie quotidienne. Dans une perspective à long terme, l’on saisit dans ces tensions l’existence de deux modèles divergents d’une société chrétienne.

Au-delà du strict contexte de la Gaule de la première moitié du VIe siècle, ce cas d’étude nous invite donc aussi à réfléchir sur ce qu’il reste de cette fluidité des limites entre la dimension religieuse et la dimension sociale des pratiques conventionnelles d’une société donnée. L’éclipse de la dimension sociale dans notre regard sur des pratiques que nous jugeons religieuses pourrait même expliquer la prépondérance actuelle de l’intérêt pour les croyances au détriment des pratiques, qui constitue précisément l’un des objets de réflexion de ce dossier thématique.