Corps de l’article

La démence est une maladie neurologique dégénérative insidieuse et irréversible caractérisée par la régression généralisée des fonctions cérébrales complexes (Brunner et Suddarth, 2011). Il existe divers types de démence, la maladie d’Alzheimer représentant de 60 % à 80 % de tous les cas de démence (Wierenga et Bondi, 2011). Cette maladie crée des modifications neuropathologiques et biochimiques au niveau du système nerveux central (Apostolova, 2016 ; Brunner et Suddarth, 2011). Ces modifications neuropathologiques consistent en la dégénérescence neurofibrillaire et en l’apparition de plaque amyloïde principalement dans le cortex cérébral (Wierenga et Bondi, 2011). Ces changements de morphologie neurale entraînent l’atrophie de l’encéphale et la perte de synapses dans le système limbique (Wierenga et Bondi, 2011). La progression de la maladie favorise la perte synaptique dans le lobe frontal, le lobe temporal et les lobes pariétaux (Wierenga et Bondi, 2011). Par ailleurs, à ce changement morphologique, des modifications biochimiques s’ajoutent, elles incluent la diminution de la production de l’acétylcholine, un neurotransmetteur spécifique au processus mnémonique (Brunner et Suddath, 2011).

La maladie d’Alzheimer se manifeste par un trouble profond de la mémoire et de la fonction cognitive de même qu’une perte de la capacité de prendre soin de soi (Brunner et Suddarth, 2011). Un des premiers symptômes tangibles de cette maladie est associé aux difficultés de langage (Verma et Howard, 2012). En effet, le niveau de difficulté langagière est en relation avec le degré de sévérité de cette maladie (Verma et Howard, 2012). Selon la Société d’Alzheimer (2021), la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer perd plus facilement la maîtrise de sa langue seconde, qui a été apprise plus tard et ensuite, elle régresse dans sa langue maternelle. Les difficultés de langage sont causées principalement par une perturbation de plusieurs capacités cognitives dont le traitement sémantique et lexicologique (Verma et Howard, 2012). Selon plusieurs auteurs, l’élocution devient donc une tâche complexe et anxiogène pour la personne atteinte (Gentry et Fisher, 2007 ; Khosravi, 2006). Ces mêmes auteurs indiquent que le traitement phonologique et la capacité de comprendre le langage non verbal ne sont pas affectés par la maladie d’Alzheimer (Gentry et Fisher, 2007 ; Khosravi, 2006).

Selon Brunner et Suddarth (2011), la prévalence de cette maladie augmente considérablement avec l’âge, mais touche habituellement les personnes âgées de plus de 65 ans. En effet, le risque de recevoir un diagnostic de démence double tous les cinq ans entre 65 et 84 ans (Agence de la santé publique du Canada, 2020, septembre). En 2016-2017, plus de 432 000 Canadiens âgés de 65 ans et plus étaient atteints d’une maladie cognitive incluant la maladie d’Alzheimer (Agence de santé publique du Canada, 2019 ; Chambers, Bancej et McDowell, 2016). En 2031, il est prévu que 937 000 Canadiens en seront atteints (Chambers, Bancej et McDowell, 2016). Pour ce qui est de l’Ontario, en 2016, près de 228 000 personnes vivaient avec une démence (Ministère de la Santé et des soins de longue durée de l’Ontario, 2016). Avec le vieillissement de la population dans cette province, le document de travail du Ministère de la Santé et des soins de longue durée de l’Ontario (2016) indique que ce nombre devrait atteindre 255 000 en 2020 et plus de 430 000 en 2038.

Des tests psychométriques, notamment, le test du Mini-mental de Folstein et le test de l’horloge (décrits en détail dans la prochaine section de l’article), sont utilisés pour dépister cette maladie. Ces tests sont souvent réalisés en anglais par un professionnel de la santé aux francophones vivant en milieu minoritaire, ce qui est le cas pour les Franco-Ontariens. Selon les recensements de 2012 et 2016, la population francophone de l’Ontario, compte maintenant 622 415 personnes, ce qui représente une augmentation de 10 915 personnes depuis 2011 (Statistique Canada, 2017, 29 novembre ; Statistique Canada, 2012, 24 octobre). Malgré cette augmentation, elle représente seulement 4,7 % de la population. Selon ces mêmes recensements, la population francophone est, en moyenne, plus âgée que l’ensemble de la population de l’Ontario et la plus grande proportion de cette population se retrouve dans le Nord-Est, région qui compte 22,6 % de la population francophone de la province, donc environ un Franco-Ontarien sur quatre vit dans le nord-est de l’Ontario. Comme le score du Mini-mental dépend largement des habiletés langagières, la possibilité d’une mesure erronée de démence est possible chez les francophones âgés évalués qui passent le test en anglais (Hudon, et coll., 2009). Cette situation peut produire un mauvais diagnostic et entraîner une sous-évaluation des capacités cognitives, car les francophones âgés ont de la difficulté à comprendre les directives en anglais. Dans une étude auprès de 83 personnes âgées québécoises de 80 ans et plus, Hébert, Bravo et Girouard (1992) ont obtenu les résultats suivants à la suite de la validation de l’adaptation française du Modified Mini-Mental State (3MS) : coefficient intra-classe 0,94 (0,89 - 0,97) pour la fidélité test-retest, coefficient intra-classe 0,95 (0,90 - 0,97) pour la fidélité interjuges et pour la cohérence interne un split-half=0,87, un Spearman-Brown=0,93 et un coefficient alpha de Cronbach=0,89. De plus, l’analyse factorielle suggère un seul facteur général qui explique 49 % de la variance. Malgré qu’il existe une validation du Modified Mini-Mental State en français québécois (Hébert et coll., 1992), il n’existe aucun test psychométrique traduit et valide en français pour la population franco-ontarienne. Il faut compter sur un langage divergeant entre le français québécois et le français ontarien (Mougeon, 1993). Voilà pourquoi le but de cette recherche est de développer et de valider les tests psychométriques franco-ontariens, plus particulièrement les tests du Mini-Mental (voir annexe A) et de l’horloge (voir annexe B).

L’objectif premier de la présente étude est d’utiliser la méthode inversée afin d’atteindre la validation transculturelle des deux tests mentionnés. La recherche a été menée auprès de personnes âgées atteintes d’Alzheimer vivant dans la ville du Grand Sudbury, une ville qui se situe dans le nord-est de l’Ontario. Dans cette ville, 42 000 habitants ont le français comme langue maternelle (25 %), et 63 000 peuvent parler cette langue (Statistique Canada, 2017, 29 novembre). Depuis 2011, la population du Grand Sudbury a vieilli, le nombre de personnes de 65 ans ou plus a augmenté de 17,0 % (Santé publique Sudbury et districts, 2018). Cette population vieillissante francophone nécessite des tests valides de dépistage et dans leur langue maternelle, en ce qui a trait à la maladie d’Alzheimer.

Mise en contexte

Dépistage de la maladie d’Alzheimer

Le test de l’horloge (Shulman et coll., 1986 ; 2006)

Selon Hazan et ses collègues (2018), la première personne à utiliser une horloge dans le cadre d’un examen médical peut avoir été le neurologue anglais Henry Head (1861-1940), en 1915. Entre 1953 et le début des années 1980, le test de l’horloge était utilisé principalement pour détecter les troubles visuoconstructifs associés aux lésions pariétales cérébrales (Freedman, et coll., 1994). À partir des années 1980, Ken Shulman de Toronto et Martin Roth de Cambridge, Angleterre, psychiatres avec expertise en psychiatrie gériatrique, ont commencé à utiliser le test de l’horloge pour dépister la démence (Frankenburg, 2019). Selon Shulman et coll. (1986 ; 2006), le test de l’horloge est une épreuve visuographique qui explore différentes facettes de la mémoire, dont les praxies constructives et les fonctions exécutives du sujet. Plusieurs régions du cerveau fonctionnent simultanément afin de dessiner une horloge, notamment le lobe frontal, le lobe temporal et les lobes pariétaux (Aprahamian, et coll., 2009). Ce test a une affinité pour le dépistage de la maladie d’Alzheimer puisqu’il y a une perte synaptique dans les lobes nommés précédemment (Wierenga et Bondi, 2011). D’ailleurs, le test évalue les fonctions cognitives touchées par cette maladie, telles que la mémoire à court terme, la compréhension des instructions verbales, l’orientation temporo-spatiale, la pensée abstraite, la planification et la concentration (Aprahamian, et coll., 2009).

Il existe différentes méthodes de cotation pour le test de l’horloge entre autres (Mendez, et coll., 1992 ; Sunderland, et coll., 1989 ; Shulman, 2000 et Shulman, et coll., 1986). Cependant, aucune des méthodes de cotation n’est dite supérieure selon Mainland, Amodeo et Shulman (2013). La méthode de cotation de Shulman (2000) a été utilisée dans cette recherche.

La méthode de Shulman (2000) est composée de 6 points. Les points sont accordés selon le barème suivant : l’horloge parfaite (5 points), erreurs visuospatiales mineures (4 points), la représentation inadéquate de l’heure 11 h 10, avec une bonne organisation visuospatiale (3 points), désorganisation visuospatiale modérée (2 points), désorganisation visuospatiale sévère (1 point) et aucune représentation raisonnable d’une horloge (0 point) (voir annexe B).

Le test de l’horloge est rapide et consiste à dessiner une horloge démontrant 11 h 10 à partir d’un cercle prédessiné. Voici les instructions données à la personne : « Le cercle devant vous représente le cadran d’une horloge. S’il vous plait, ajoutez des chiffres pour que cela ressemble à une horloge. Par la suite, réglez l’heure à 11 h 10 ». L’utilisation de l’heure 11 h 10 sert à un dépistage plus précis, car ceci consiste en l’utilisation d’habiletés cognitives complexes (Shulman, 2000). L’utilisation des deux champs visuels et de l’inhibition frontale se fait grâce au 10 (Shulman, 2000). Lorsqu’il y a erreur avec le 10, les personnes sont considérées comme ayant une démence légère (Shulman, 2000).

Cet instrument psychométrique rapide et facile à administrer cause un niveau de stress minimal chez le sujet (Shulman, et coll., 1993). Le test de l’horloge ne semble pas être influencé par la langue, le niveau d’éducation, la culture ou l’ethnicité du sujet (Shulman, et coll., 1993). En effet, Silverston et ses collègues (1993), ont démontré que le test de l’horloge peut être utilisé lorsque la langue devient un obstacle. Selon Frankenburg (2019), le test de l’horloge a une bonne sensibilité et spécificité et se compare bien avec le Mini Mental en ce qui concerne le dépistage du déclin cognitif. Shulman (2000) a démontré une corrélation de .62 avec le Mini-Mental (p < .001)

Le Mini-Mental (Folstein, Folstein et McHugh, 1975)

Le Mini-Mental est l’un des instruments de dépistage cognitif le plus utilisé mondialement chez les personnes âgées (Shulman, et coll., 2006 ; Jacqmin-Gadda, et coll., 1997). Il a d’abord été conçu en anglais en 1975 par Folstein, Folstein et McHugh. Ce test est un instrument psychométrique valide, fiable qui est autant employé dans les milieux cliniques que dans la recherche (Shulman, et coll., 2006 ; Folstein, et coll., 1975 ; McDowell, et coll., 1997). L’administration du test prend environ 5 à 10 minutes et n’est pas chronométrée (Folstein, et coll., 1975). Le mini-mental comprend cinq sous-catégories : l’orientation, l’apprentissage, l’attention et le calcul, le rappel et le langage (voir annexe A). La première partie, qui comprend les sous-catégories de l’orientation, l’apprentissage, l’attention et le calcul, et le rappel, évalue l’orientation temporo-spatiale, le rappel immédiat de trois mots et l’attention du sujet (Folstein, et coll., 1975). Dans cette section, un score parfait est évalué à 21 points (Folstein, et coll., 1975). La seconde partie ou sous-catégorie de langage équivaut 9 points et évalue les praxies constructives, le langage en plus du rappel différé de trois mots (Folstein, et coll.. , 1975). Afin d’obtenir un score non biaisé, le sujet doit avoir une audition, une vision ainsi qu’une fonction musculo-squelettique adéquate (Dellasega et Morris, 1993).

Le test du Mini-Mental de Folstein et coll. (1975) n’est pas chronométré et n’a pas de temps limite ce qui peut réduire le niveau de stress des sujets (Pangman, et coll., 2000). De plus, ce test rapide et court correspond à la durée d’attention et de concentration d’une personne ayant la maladie d’Alzheimer (Cole et Tak, 2006). Aussi, ce test est l’instrument de dépistage cognitif le plus utilisé avec confiance en Amérique du Nord (McDowell, 2006). Pour ces raisons, le Mini-Mental est aussi choisi comme l’instrument de dépistage de déficits cognitifs à valider auprès de la population bilingue franco-ontarienne.

Dans une revue sur la validation et adaptation du Mini-Mental, Steis et Schrauf (2009) ont conclu que le test est jugé valide en plus de 100 langages, entre autres en français (Gagnon, et coll., 1990 ; Hébert, et coll., 1992). À la suite d’une prolifération de versions françaises du Mini-Mental, parfois traduites par des médecins eux-mêmes, une version consensuelle de la traduction a été adoptée en France, à la suite des recommandations de l’Agence nationale de l’accréditation et de l’évaluation en santé (ANAES, 2000) et la Haute Autorité de Santé (HAS, 2011 ; le groupe de réflexion sur les évaluations cognitives [GRECO], 2008). Des études de normalisation du Mini-Mental ont été effectuées auprès de multiples groupes culturels y compris les Canadiens (Bravo et Hébert, 1997) et les Français (Kalafat, Hugonot-Dienner et Poitrenaud, 2003). Certaines études ont démontré que la langue maternelle des personnes au sein d’une population peut influencer la performance sur le Mini-Mental (Anderson, et coll., 2007 ; Bravo et Hebert, 1997 ; Malloy, et coll., 1997). Une différence significative (p>.001) malgré sa faible importance clinique (différence de 0,1) est observée entre les cotes des francophones et celles des anglophones canadiens (Bravo et Hébert, 1997), mais les normes développées dans cette dernière, ne tiennent pas compte de l’effet de la langue maternelle. Or, afin d’optimiser la détection valide d’un trouble cognitif chez les Franco-Ontariens, le but de la présente recherche était d’entreprendre une validation transculturelle des tests de dépistage du Mini-mental et le test de l’horloge de Shulman. Spécifiquement, la question de recherche était : Quelle est la validité transculturelle de deux tests psychométriques, le Mini-mental et le test de l’horloge, traduit pour les Franco-Ontariens ? L’hypothèse est donc qu’il n’y a eu aucune différence entre le test de l’horloge validé en anglais et la version franco-ontarienne traduite. Cette validation permettra aux professionnel(elle)s de la santé de choisir des tests de dépistage cognitif justes (American Psychology Association [APA], 2020) pour ce groupe de francophone en situation minoritaire.

Méthodologie de la recherche

Devis de recherche

Cette recherche instrumentale a été fondée sur la méthode de validation transculturelle des instruments de Caron (1999) qui s’est inspiré de Vallerand (1989). Caron (1999) prescrit trois grandes étapes soit 1. la traduction et la vérification de son équivalence qui consiste en la préparation et l’évaluation d’une version préliminaire, 2. la vérification empirique de la validité de la version traduite qui comprend des critères de validité de contenu, de validité concomitante, de validité de construit, et de l’existence de fidélité, et 3. l’adaptation des scores au contexte culturel et au développement de normes qui peut se faire en comparant la distribution des pointages générés par la version traduite avec celle de l’instrument original. Pour cet article, seule la première étape a été réalisée, soit la création d’une version préliminaire des deux tests psychométriques, le test de l’horloge et le Mini-mental, ainsi que la vérification de son équivalence auprès de la population franco-ontarienne. L’approbation déontologique a déjà été obtenue du Comité déontologique de l’Université Laurentienne (CÉRUL).

Traduction et vérification de son équivalence

Cette première étape, c’est-à-dire la traduction et la vérification de son équivalence, sert à créer une version préliminaire des outils en s’assurant qu’ils conservent leur équivalence. Il ne suffit pas d’utiliser une traduction existante provenant d’une autre culture ou contexte. C’est ainsi que, pour ce faire, la version originale du Mini-Mental de Folstein (Folstein et coll., 1975) (voir annexe A) et celle du test de l’horloge utilisant la méthode Shulman (2000) (voir annexe B) ont été traduites en français par une assistante de recherche bilingue franco-ontarienne. Lors de cette première étape de traduction, que Caron (1999) estime traditionnelle, l’assistante de recherche s’est assurée de conserver l’équivalence des expressions ainsi que la sémantique. La protection de l’équivalence sémantique des outils fait en sorte qu’ils seront en mesure de produire les mêmes inférences que celles des outils originaux. Il est aussi important que les outils conservent la même correspondance entre les mots, cette situation peut être difficile entre les diverses cultures et les langues. Dans le même sens, les expressions en français ont été traduites de manière à avoir le même sens en anglais. Cette première traduction a été vérifiée par un comité d’experts qui, selon Caron (1999), limite les biais d’un seul chercheur.

Ensuite, le Mini-Mental et le test de l’horloge traduits en franco-ontarien ont été remis à une seconde personne, elle aussi bilingue franco-ontarienne, qui a traduit cette version en anglais (rétrotraduction). Cette seconde personne n’a pas été en contact avec la version originale des instruments de manière à réduire la possibilité de biais (Vallerand, 1989). Par la suite, les deux personnes bilingues se sont rencontrées pour examiner et comparer les versions traduites aux instruments originaux. Les fautes de traduction ont été corrigées et les changements nécessaires ont été apportés de façon à respecter l’authenticité des énoncés. Vallerand (1989) explique qu’il est préférable qu’un comité bilingue analyse et compare les divergences entre les versions pour réduire les biais (voir annexe C pour la version française du Mini-Mental et annexe D pour la version française du test de l’horloge utilisée dans cette étude).

Évaluation de la version préliminaire

Milieu et échantillon. Un comité ciblé par l’instrument, soit cinq personnes âgées francophones du Grand Sudbury, a évalué la version préliminaire du test de l’horloge et du Mini-mental. Aucune modification des versions préliminaires n’a été nécessaire. Par la suite, un échantillonnage à l’aveuglette franco-ontarien a été réalisé selon les caractéristiques suivantes : avoir des symptômes de la maladie d’Alzheimer, être bilingue, c’est-à-dire comprendre et parler le français et l’anglais, ne pas être atteint de problème perceptuel (par exemple, la vision) non corrigé qui pourrait empêcher la personne de répondre aux questions ou d’effectuer les activités demandées pouvant résulter en un score biaisé (Dellasega et Morris, 1993).

Recrutement. Le recrutement de participants à l’étude a été fait par l’entremise d’annonces dans les journaux ainsi qu’en partenariat avec la société d’Alzheimer Sudbury-Manitoulin et le Centre de santé communautaire du Grand Sudbury. Une fois, les participants identifiés, l’assistante de recherche a contacté ces personnes par téléphone afin de leur expliquer le but de cette recherche. Avant de commencer la recherche, le consentement éclairé de la personne âgée a été obtenu. Cependant, si la personne souffrait de déficits cognitifs sévères, le consentement a été signé par son aidant naturel ou par la personne ayant un mandat d’inaptitude. Ensuite, un rendez-vous a été fixé individuellement dans un environnement familier et chaleureux, soit au domicile de la personne, à la société d’Alzheimer Sudbury-Manitoulin ou au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury. L’échantillon comprenait 14 personnes âgées : douze femmes et deux hommes. Tous les participants avaient plus de 65 ans. Par ailleurs, treize d’entre eux ont rapporté que le français était leur langue maternelle et une personne que l’anglais était la sienne. Trois personnes sur quatorze ont dit avoir la maladie d’Alzheimer et onze personnes ont répondu qu’ils n’avaient pas à leur connaissance cette maladie dégénérative chronique, mais présentaient des symptômes.

Collecte de données. Une fois le rendez-vous fixé, les tests ont été passés individuellement dans un endroit tranquille et privé dans l’un des centres. Les rencontres se sont faites dans l’espace de vingt minutes. Le Mini-Mental de Folstein et le test de l’horloge ont été présentés par la même personne pour éviter les résultats faussés. Le chercheur n’a fait aucune allusion ou n’a donné aucun indice aux sujets lors des tests. Les tests ont été présentés à deux reprises, respectivement en français et en anglais. Lors de la première rencontre, les tests ont été réalisés en débutant en français et par la suite en anglais. Pour minimiser l’évolution drastique des déficits cognitifs, deux semaines plus tard, les mêmes tests ont été effectués, mais l’ordre de présentation a été changé. La personne a passé les premiers tests en anglais et ensuite en français.

Analyses statistiques. Les analyses ont été conçues de manière à comparer les deux versions du Mini-Mental et du test de l’horloge. Les deux langues, soit l’anglais et le français, ainsi que l’ordre de présentation, c’est-à-dire en premier ou en deuxième, ont été comparés en utilisant une ANOVA 2 x 2 à mesures répétées. Par la suite, les langues, l’ordre de présentation ainsi que les cinq sous-catégories du Mini-mental ont été analysés en utilisant une ANOVA 2 x 2 x 5.

Résultats

Le test de l’horloge

La figure 1 indique qu’il n’y a eu aucune interaction entre l’ordre de présentation des tests et la langue du test psychométrique (F [1,13] = 1,14, p>.05). L’effet de la langue ne dépend pas de l’ordre de présentation, et vice versa. Quant à l’ordre des visites, les résultats démontrent qu’il n’y a aucune différence de moyennes pour les tests de l’horloge en anglais et en français (p>.05). Aucun effet principal n’a été remarqué en ce qui concerne l’ordre de présentation (F < 1) et la langue (F < 1). Il est donc possible de déduire qu’il n’y a eu aucune différence entre le test de l’horloge validé en anglais et la version franco-ontarienne traduite.

Figure 1

Test de l’horloge : scores totaux

Test de l’horloge : scores totaux

-> Voir la liste des figures

Mini-mental de Folstein

L’analyse des scores totaux des tests du Mini-Mental en français et en anglais n’a dévoilé aucun effet principal et aucune interaction entre les scores (F [1,13] = 1,37, p>.05). Il n’y a eu aussi aucune différence significative entre les langues lors des première et seconde visites (p>.05). Il n’y a donc aucun effet principal entre la première et la deuxième visite (F [1,13] = 1,04, p>.05). D’ailleurs, il n’y a pas eu d’interaction entre la visite et la langue (F<1).

Figure 2

Mini-mental de Folstein : scores totaux

Mini-mental de Folstein : scores totaux

-> Voir la liste des figures

Le Mini-mental et ses sous-catégories

La figure 3 compare les résultats obtenus lors de la première et de la deuxième visite. Il n’y a aucun effet principal et significatif entre les sous-catégories (F [4,52] = 1,53, p>.05), l’ordre des visites (F [1,13] = 2,18, p>.05) et la langue dans laquelle les tests ont été réalisés (F<1). Toutefois, ces résultats démontrent qu’il a une interaction entre les sous-catégories du test, l’ordre des visites et la langue dans laquelle les tests ont été effectués. L’effet de l’ordre des visites semble être dépendant des sous-catégories et de la langue (F [4,52] = 2,50, p = 05, η2= .16). Une interaction entre les sous-catégories du test et l’ordre des visites, soit la première ou la deuxième, a aussi été identifiée (F [4,52] = 5,30, p<.05, η2p=.30). Une autre interaction a été notée entre la langue et les sous-catégories (F [4,52] = 4,41, p<.05, η2= .25). Cependant, aucune interaction n’est présente entre l’ordre des visites et la langue (F<1). Par ailleurs, il y a aucune différence de moyennes (p>.05) entre ces sous-catégories : orientation, apprentissage, rappel et langue lorsque le test est administré en français. Cela dit, il y a des différences de moyennes (p<.05) pour l’orientation, l’apprentissage, l’attention et le calcul lorsque le test est réalisé en anglais. Il faut noter la présence d’une différence de moyennes dans les deux langues pour l’attention et le calcul.

Figure 3

Mini-mental : l’ordre des visites

Mini-mental : l’ordre des visites

-> Voir la liste des figures

La comparaison entre les résultats du Mini-mental en anglais et en français est illustrée dans la figure 4. L’effet de la visite semble être dépendant des sous-catégories et de la langue (F [4,52]=2,50, p=.05, η2p=.16). Il est aussi important de souligner que la différence entre les tests en anglais et en français n’a jamais été significative pour les sous-catégories orientation, apprentissage et rappel (p>. 05). D’ailleurs, il y avait une différence entre les moyennes, dans l’administration en français et en anglais du Mini-mental, pour la sous-catégorie langage seulement lors de la première visite (p<.05).

Figure 4

Mini-mental : la langue

Mini-mental : la langue

-> Voir la liste des figures

Discussion

La présente recherche nous a permis de compléter la première étape de la validation transculturelle de Caron (1999) des tests de l’horloge et du Mini-mental c’est-à-dire, celle de traduction et de vérification de son équivalence. Effectivement, il n’y a aucune différence statistique dans les scores globaux du test de l’horloge et du Mini-mental selon l’ordre de passation des tests (anglais puis franco-ontarien versus franco-ontarien puis anglais). De plus, le Mini-mental traduit en français n’avait aucune différence de moyennes pour les sous-catégories orientation, apprentissage, rappel et langage. En effet, aucune différence significative n’a été identifiée entre les scores totaux de ces sous-catégories lors des deux visites comparativement au test original anglophone. Ce phénomène peut être associé au fait que le niveau de difficulté langagière est en corrélation avec la sévérité de la maladie puisque l’aptitude langagière régresse avec le processus morbide (Verma et Howard, 2012). D’ailleurs, la connaissance de la langue secondaire est réduite chez ces personnes atteintes d’Alzheimer. Effectivement, les recherches antérieures ont démontré que chez les personnes souffrant de cette atteinte à la santé, des scores plus élevés ont été obtenus dans leur langage maternel que dans leur langage secondaire (Hernandez, et coll., 2010 ; Salvatierra, et coll., 2007 ; De Picciotto et Friedland, 2001). Pourtant, il est difficile d’expliquer pourquoi il y avait une différence de moyennes exclusivement dans la sous-catégorie d’attention et calcul.

La présente recherche ne peut pas confirmer la validité ni la fidélité des versions préliminaires des deux tests psychométriques. Les deux prochaines étapes peuvent être entreprises pour confirmer la validité et la fidélité de ces tests. Certes, les prochaines étapes, la vérification empirique de la validité de la version traduite et l’adaptation des scores au contexte culturel et le développement de normes pourront permettre de se prononcer sur la validité des outils franco-ontariens. La deuxième étape consistera à vérifier la validité de contenu, la validité concomitante, la fidélité inter/intrajuge, la stabilité temporelle et la consistance interne de l’instrument (Caron, 1999). Ensuite, la dernière étape est l’adaptation des scores au contexte culturel de manière à s’assurer que l’instrument est axé sur les particularités de la population cible (Caron, 1999).

Limites et biais

Caron (1999) suggère d’effectuer un prétest auprès d’une population cible d’environ vingt personnes par interview de manière à s’assurer de la clarté des énoncés. L’échantillon de la présente étude était d’une plus petite taille (N=14), donc il se peut que ceci ait influencé les résultats notamment à ce que la langue soit accessible et compréhensive pour la population visée (Caron, 1999). Les tests psychométriques sont habituellement passés auprès de personnes qui présentent des signes et symptômes de démence. Voilà pourquoi la population cible de cette étude était les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, dans cette recherche, cette atteinte à la santé était autodéclarée ce qui veut dire qu’il peut avoir un biais d’échantillonnage. D’ailleurs, l’échantillon contient plus de femmes (N=12) que d’hommes (N=2). Ce manque de diversité dans l’échantillon peut être associé à l’espérance de vie plus élevée chez les femmes que chez les hommes (Bushnik, Tjepkema, et Martel, 2018, 18 avril) et aux taux de maladie d’Alzheimer plus élevés chez les femmes que chez les hommes (Bushnik, 2016, 8 mars). Le fait d’avoir inclus des Franco-Ontariens d’une seule région de la province ajoute au manque de diversité dans l’échantillon.

Conclusion

La démence de type Alzheimer est une maladie neurodégénérative chronique caractérisée par un déclin des facultés cognitives et des capacités langagières (Brunner et Suddarth, 2011). Ces changements langagiers sont insidieux et modifient la capacité d’interlocution de la personne. En effet, les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer perdent leur langue secondaire et régressent dans leur langue primaire. Sur les tests psychométriques, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer obtiennent des scores plus bas dans une langue secondaire (Anderson, et coll., 2007 ; Bravo et Hebert, 1997 ; De Picciotto et Friedland, 2001 ; Hernandez, et coll., 2010 ; Malloy, et coll., 1997 ; Salvatierra, et coll., 2007). Par exemple, Anderson et coll. (2007) ont analysé les profils sociodémographiques et les scores sur le Mini-Mental State Examination (MMSE) d’adultes âgés de 65 ans et plus qui avaient participé au Australian National Mental Health and Well-being Survey (N=1,792). Les résultats ont démontré que la plus grande influence individuelle était le fait de ne pas avoir l’anglais comme langue d’usage (β = −2,61, p <0,01). C’est ainsi que ces chercheurs recommandent d’ajouter 2,61 points aux scores du MMSE pour les patients n’ayant pas l’anglais comme langue d’usage. Il serait préférable d’administrer des tests, dans la langue maternelle de la personne, dont les qualités psychométriques sont vérifiées. Comme il n’existait pas d’outil validé en français pour les Franco-Ontariens, nous avons tenté de traduire puis de valider la première étape parmi les trois étapes de validation suggérées par Caron (1999) et Valleyrand (1989). C’est ainsi que la traduction du Mini-mental et du test de l’horloge, et la vérification de leurs équivalences ont été entreprise auprès de personnes démentes (N=14). Les résultats confirment que la version préliminaire du test de l’horloge et du Mini-mental en anglais a été bien traduite en français. Cela dit, le Mini-mental traduit en français semble avoir des différences de moyennes dans la sous-catégorie d’attention et de calcul. Il serait intéressant d’explorer cette tendance de manière approfondie dans les recherches ultérieures. Par ailleurs, il serait crucial d’entreprendre les deux dernières étapes de la validation comme prescrit par Caron (1999), la vérification empirique de la validité de la version traduite et l’adaptation des scores au contexte culturel et le développement de normes, de manière à obtenir un outil valide en français pour les Franco-Otariens. Pour éliminer le biais potentiel du genre des sujets, dans ces prochaines étapes de validation, il devrait comprendre un nombre équivalent de femmes et d’hommes. De plus, il serait important d’inclure des Franco-Ontariens provenant de différentes régions de la province. Une fois la validation transculturelle terminée, la spécificité et la sensibilité (Caron, 1999) du test de l’horloge et du Mini-mental seront assurées et les professionnel(elle)s de la santé pourront les utiliser afin de bien mesurer les capacités mnémoniques des Franco-Ontariens âgés, une communauté de langue officielle en situation minoritaire.