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L’ouvrage coordonné par Claire de Saint Martin « Analyser les implications dans la recherche et en formation », s’inscrit dans le courant de pensée de l’Analyse institutionnelle. La collection de publication « Clinique et changement social » fait écho à la genèse de ce courant par ses liens avec le laboratoire du Changement Social et Politique (LCSP) de l’Université Paris Diderot (Paris 7), dont l’ancrage théorique est aussi psychosociologique. Lourau, un des pères de l’Analyse institutionnelle, rappelait, en 1997, que cette démarche trouve ses racines dans l’intervention psychosociologique.

Dans une continuité de ces affiliations, ce livre est un espace de réflexion sur le concept d’implication, à partir de récits d’expériences et d’analyses de dispositifs socio-cliniques mis en place lors de travaux de doctorat. L’invitation de Gilles Monceau dans la discussion prolonge les apports des maîtres à penser que sont Lourau et Lapassade. Les contributeurs ont d’ailleurs tous un lien avec lui, à minima, de coopération dans le cadre du collectif Recherche Avec dont il est co-président. Il est parfois leur directeur de thèse. Par l’actualité de ces recherches, c’est bien aussi l’évolution de l’Analyse institutionnelle par la socio-clinique institutionnelle (Monceau, 2012) qui est « mise à l’ouvrage »[1]. Le dialogue avec les pères s’organise par l’invitation à présenter et conclure l’ouvrage à deux anciens étudiants de Lourau : Gilles Monceau et Dominique Samson. Pour un regard plus distancié, la parole est donnée, en postface, à Marguerite Soulière, anthropologue à l’école de service social de l’Université d’Ottawa. Co-présidente du groupe Recherche Avec, elle est familière de la démarche institutionnelle, sans s’y inscrire scientifiquement.

Les objectifs de cette mise en expérience et en discussion du concept d’implication sont doubles : pédagogique et scientifique. L’ouvrage est destiné aux chercheurs, mais aussi aux praticiens, aux formateurs et aux étudiants curieux de la démarche et du concept. Pour ce faire, l’ouvrage s’articule en 3 parties, traitant successivement de « l’appropriation du concept d’implication », de « l’analyse des implications dans la recherche », puis de « l’analyse des implications en formation ». Je vous propose d’organiser cette recension en trois parties : une présentation des choix conceptuels des contributeurs, suivie d’une synthèse des spécificités de chaque partie, pour finir par une réflexion sur les apports de l’ouvrage.

Un cadre conceptuel unifié

Si l’ouvrage est collectif, les différentes contributions s’articulent autour d’un consensus théorique sur le concept d’implication et des références théoriques partagées. Les auteurs font référence au sens tout d’abord donné par Lourau au concept d’implication en tant qu’ensemble des rapports de l’homme à l’institution (Lourau, 1970) aux dimensions libidinales, idéologiques et organisationnelles entrelacées (Barbier, 1985, Monceau, 2012). Lourau présente l’analyse des implications comme un travail méticuleux, personnel et collectif, de recherche de nos appartenances et de leurs au-delàs (Lourau, 1990). Il se construit à partir de l’analyse des résistances des acteurs. L’accès n’est pas immédiat. L’écriture et le journal de recherche sont des outils de travail. Ils sont repris dans l’ouvrage. Les contributeurs disent y noter leurs observations, mais aussi leurs pensées, avancées et blocages dans la recherche. L’analyse collective est un outil proposé par Lourau. Il devient central dans l’approche de la socio-clinique institutionnelle théorisée par Monceau (2012). Une pensée collective, les échanges et les croisements des champs de cohérence (Carpanetti) permettent la mise à jour d’analyseurs faisant parler nos implications et l’institution.

Les auteurs rappellent que Lourau pense le processus d’analyse des implications en opposition à la traditionnelle neutralité scientifique. Il privilégie notamment une production de savoirs à partir du regard impliqué du chercheur. Cette posture est entendue dans l’ouvrage. Les contributeurs y développent ce que leur appartenance à leurs terrains de recherche, en tant que praticiens, va construire dans leur regard et dans leur méthodologie. La conceptualisation de l’enchevêtrement des positions du « praticien-qui-devient-chercheur » (Kohn, 2001) est reprise, suivant l’évolution de la socio-clinique institutionnelle qui définit l’intérêt de la position de praticien chercheur. L’intériorité au terrain est pensée comme un atout en termes d’accès à des observations fines, mais parfois comme une difficulté dans la construction d’un regard à la bonne distance sur l’objet de recherche proposé.

Les effets de l’analyse des implications sont pensés à partir du temps instituant de l’institution. Cette référence est un élément récurrent de l’analyse à l’échelle du chercheur, du collectif de recherche et, parfois, de la société. Elle articule des échelles locales à des enjeux sociaux plus globaux. Certaines références seront d’ailleurs explicites sur le potentiel politique de la démarche, renvoyant à la pensée de Lourau et Lapassade sur les articulations entre transformations sociales, recherches cliniques et intervention, ainsi qu’au cadre de la socio-clinique institutionnelle (Monceau, 2015).

L’appropriation du concept d’implication

Ces éléments théoriques fonctionnent comme un langage commun qui permet de mettre en mots la spécificité de chaque situation de recherche ou de formation. La première partie sur l’appropriation du concept porte un regard individuel et personnel sur l’analyse des implications. Pour Silvia Valentim, c’est son appartenance aux deux territoires de son étude qui sera un levier de compréhension de la particularité de son regard sur le secteur de la petite enfance en France et au Brésil. Heron Laiber Bonadiman va être confronté à la difficulté de faire partie de son propre terrain de recherche en tant qu’enseignant chercheur débutant, travaillant sur les processus de socialisation de ses collègues à l’université. Pour Virginie Dufournet Coestier, l’analyse des implications jouera un rôle dans la réponse à une question récurrente de positionnement entre « expliquer ou résoudre le problème » (Dufournet Coestier, p.51), travaillant sur la mise en place d’une politique d’éducation pour les enfants du voyage, tout en étant elle-même formatrice de professionnels au Casnav (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs). L’analyse personnelle sera un outil de lecture de l’institution universitaire pour Flavio Adriano Borges alors qu’il mène une recherche sur l’implication des professionnels du système de santé au Brésil (São Paulo) et dans le cadre de l’éducation permanente en santé.

Ces travaux permettent de soulever l’importance de l’intime dans cette démarche d’analyse. Les auteurs expriment d’ailleurs des craintes à rendre public ce travail : « comment prendre en compte ma subjectivité sans tomber dans l’exhibitionnisme de ma vie privée et de mes appartenances ? » (Valentim, p. 23). Ils dégagent des analyseurs intimes de leurs implications : binationalité, vie de famille, difficultés de financement du travail doctoral, problématisation d’une légitimité professionnelle. L’analyse peut être décrite comme « passant par la souffrance » (Valentim, p. 26). En développant leur vécu de l’analyse des implications, ils montrent son rôle dans la construction de leur identité de praticien-chercheur, au-delà du praticien réflexif. Ce travail leur a permis de réfléchir aux effets de leurs implications dans le regard qu’ils portent sur l’objet de recherche. Cette modification produit donc, aussi, des effets scientifiques.

L’analyse des implications dans la recherche

Ces effets sont le coeur de la 2e partie de l’ouvrage sur « l’analyse des implications dans la recherche ». En tant que masseuse kinésithérapeute, Anne Pilotti se questionne sur les effets des courriers électroniques sur les pratiques quotidiennes des professionnels. Elle constate l’importance du corps dans sa recherche. Daisy Seara de Queiroz étudie la mise en place d’une formation à destination de professionnels de la santé mentale pour l’accompagnement de personnes victimes de violences de l’État au Brésil. Elle décrit un dispositif d’analyse des implications de l’ensemble des acteurs concernés par la recherche et se confronte aux résistances à la démarche et aux violences d’État, objet même de l’étude. Claire de Saint Martin apporte le concept de la surimplication à l’analyse. Développé par Lourau à la fin de sa carrière, il nomme un engagement venant de l’institution, pour lui, inanalysable. L’auteure propose d’y porter « attention » dans trois recherches sur des espaces éducatifs en France. Quant à Manuel Gonzalez Carpanetti, il montre comment la mise en place de son dispositif de recherche sur l’analyse des implications des consultants en charge de la création de labels qualité pour les écoles, au Chili, lui a permis de comprendre ce travail en une pensée transductive.

Les auteurs discutent ici des effets de l’analyse des implications sur leurs dispositifs de recherche. Partant de leur proximité avec leurs objets d’étude, ils en repèrent les incidences et construisent un regard différent. La démarche questionne les chercheurs dans leurs postures. Surimpliquée, Claire de Saint Martin dénoue ses relations aux institutions scolaires et universitaires. Cette négativité du regard lui fait découvrir l’importance de la « recherche avec » les premiers sujets impliqués, les élèves, les usagers. Manuel Gonzalez Carpanetti, par la vidéo, se construit un espace distancié pour comprendre les enjeux de ses terrains. Il peut ainsi ajuster son immersion au moment de l’intervention de recherche, et retravailler sa participation par le visionnage des vidéos. Ainsi, il voit la dynamique de pensée transductive qui se forme via les échanges collectifs et la rencontre des champs de cohérence de chaque participant. L’engagement politique de Daisy Seara de Queiroz est clarifié. Si cet engagement la pousse parfois à prendre parti, générant ainsi des divergences, travailler ses implications lui permet de les repérer et de travailler en cohérence avec les objectifs du projet. La chercheuse repère aussi les effets transformateurs sur les thérapeutes dans une prise de conscience de leurs rapports à la violence. Les auteurs soulignent ici le caractère instituant de ces dispositifs. Leurs résultats de recherche sont modifiés. L’importance du rapport au corps, décrypté dans la forme d’écriture d’Anne Pilotti, lui fait prendre conscience de son utilisation, par les masseurs-kinésithérapeutes, comme résistance aux modifications amenées par la numérisation des relations de soins. Daisy Seara de Queiroz, en travaillant les implications avec le collectif et en articulant les échelles locales et globales du projet, met à jour les tensions qui le traversent. Ce processus entraîne la prise de conscience, par les thérapeutes, de leur possible position de relais de cette violence.

L’analyse des implications en formation

La dernière partie sur « L’analyse des implications en formation » discute de cette dynamique instituante permettant de transposer la démarche dans des dispositifs de formation. Le premier chapitre réalise une mise en abyme de cette dynamique en présentant le séminaire doctoral que les auteurs ont créé. Flavio Adriano Borges et Anne Pilotti témoignent de son fonctionnement, basé sur l’autogestion en vue de travailler collectivement les concepts et la démarche de l’Analyse institutionnelle. Face aux difficultés d’écriture des étudiants, Sofia Hachemi organise un atelier sous la forme d’un dispositif socio-clinique institutionnel pour modifier le rapport des étudiants à l’écrit universitaire et en dégager un savoir scientifique. Dans le dernier chapitre, Corinne Rougerie présente un dispositif de formation qu’elle met en place dans le cadre d’une formation pour les cadres de l’action sociale. Elle utilise sa propre connaissance professionnelle du métier pour outiller les étudiants face aux nouveaux enjeux de la rationalisation et l’individualisation de la profession liés au développement de la Nouvelle Gestion Publique.

Dans ces contributions, un des éléments importants de la dynamique instituante est la pensée collective. Nous y retrouvons les logiques de traduction (Callon, 1986) produites par les échanges France-Brésil, dans le cadre du séminaire doctoral. Les échanges collectifs amèneront la conscientisation de l’impact de la normativité universitaire sur le rapport des étudiants aux écrits. Corinne Rougerie pourra utiliser ses propres implications pour penser l’opportunité formative de l’autogestion. Ayant elle-même été confrontée aux dynamiques de la rationalité managériale, elle utilise la modification des relations de pouvoirs en proposant des groupes de travail autogérés aux étudiants. Dans ces groupes de travail, les analyseurs construits par l’animateur ou naturels, issus des échanges, s’expriment. Les pratiques professionnelles, universitaires et les savoirs sont donc bousculés, transformés.

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L’intérêt de cet ouvrage est de réactualiser les savoirs liés à l’Analyse institutionnelle par des analyses concrètes de dispositifs socio-cliniques institutionnels (Monceau, 2012), sous l’angle de l’analyse des implications. Ce concept est une porte d’entrée vers une démarche qui reste d’actualité. Articuler recherche et formation s’inscrit dans la démarche initiale de ce courant de pensée. Ainsi, Lapassade a réalisé des ateliers avec des danseurs hip-hop, au sein de l’Université de Paris 8, entre 1989 et 1992. L’ouvrage parlera aussi bien aux théoriciens qu’aux praticiens en les faisant discuter, en soulignant leurs enrichissements mutuels. Si l’ouvrage peut être réfléchi comme un processus d’institutionnalisation du concept, la réalisation collective permet de respecter sa nécessaire souplesse. Dominique Samson prévient d’ailleurs du risque de figer ce concept « car son opérationnalité réside aussi dans sa charge de contradictions, de tensions, de négatif et de négativité » (p. 196). En nous invitant dans cette démarche socio-clinique institutionnelle, la structuration de l’ouvrage en succession d’analyses agit comme un dialogue, une pensée collective. Si les références théoriques sont communes, l’espace de la variété des appropriations et des interprétations est valorisé. La lecture nous fait entrer dans ce collectif. Elle met en oeuvre cet autre positionnement scientifique qui fait écho à l’actualité du monde universitaire. En postface, Marguerite Soulière souligne son potentiel créateur. La dynamique coopérative de recherche modifie le mode de pensée, le rapport au terrain et la posture scientifique. L’analyse des implications est, pour elle, une alternative aux mutations gestionnaires des secteurs de la santé, de l’éducation et de l’action sociale. Nous pouvons y voir un lien avec les évolutions de l’université. La nouvelle gestion publique s’y est invitée. Cet ouvrage parait en 2019, institutionnalisant des savoirs et une démarche qui rappellent au monde scientifique ses interdépendances, entre chercheurs, avec le terrain, avec la société.