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Par la réflexion présentée dans cet article, je décrirai ma pratique d’exploration artistique en exposant ses fondements et ses outils, permettant ainsi de mieux comprendre comment accompagner des jeunes aux parcours parsemés de défis et de divers soucis, pour les aider à accéder plus facilement à un mieux-être et à ouvrir de nouvelles possibilités d’épanouissement.

Qui n’a pas entendu l’opinion généralement répandue que l’adolescence est une période intense et parfois compliquée? Cependant, être jeune implique aussi l’énergie créative, la liberté, la découverte et l’expression de soi. À une période où on ressent le besoin de créer sa vie et de s’épanouir, de mieux définir ce qui a du sens pour soi, un outil simple tel que le journal créatif permet à ces jeunes de se trouver un guide intérieur, sûr et fiable.

Travailler en santé mentale auprès des jeunes nécessite une compréhension des problèmes sociaux actuels. Parmi les phénomènes présents dans leur génération, il existe, entre autres, l’exclusion sociale, la cyberintimidation, l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Les réalités contemporaines amènent les jeunes à être plus à risque à éprouver de la détresse psychologique.

Dans un contexte où les jeunes préfèrent les approches axées sur la dimension relationnelle, il devient d’autant plus pertinent de voir le journal créatif comme un outil d’intervention novatrice afin de soutenir les jeunes en difficulté. Toutes les formes d’expression peuvent aider à mieux vivre, car « la musique change l’humeur, la danse et le sport aide à décharger l’énergie. Écrire, dessiner et faire du collage dans un journal personnel aide à mieux se sentir » (Jobin, 2015, p. 11).

Le journal créatif comme forme d’expression artistique

Il est question ici de présenter le journal créatif et de préciser en quoi il a servi à ma pratique artistique avec les jeunes.

À la base, le journal créatif trouve sa source et ses ramifications dans le journal intime, l’art-thérapie, l’écriture créative et les théories sur la créativité. Le journal créatif se définit comme un « journal intime non conventionnel, un outil d’exploration de soi qui allie les mondes de l’écriture du dessin et du collage de façon originale et créative » (Jobin, 2010, p.16).

Cet outil m’a permis de voir le bouillonnement créatif chez les jeunes et de leur apporter un soutien précieux à un stade où elles ou ils composent avec des histoires personnelles et des émotions qui ne sont pas toujours simples à comprendre.

J›ai pu constater au fil de mes ateliers à quel point celles et ceux qui se disaient sans talent ont démontré une grande créativité et ont été surpris d›en posséder autant, ce qui a eu comme résultat d’augmenter leur estime de soi.

À cette fin, mon travail avec le journal créatif consiste à donner le droit d’émerger à toutes les formes d›inspiration et d›idées. La prémisse que l›art n›est pas une question de talent, mais de confiance dans son propre processus créatif constitue alors la pierre angulaire du journal créatif. Avec des moyens comme l›écriture, le dessin et le collage, le journal créatif permet à chacun de vivre une expérience axée sur la découverte, le jeu et l›expérience de créer, en ressentant le plaisir de voir se dévoiler une oeuvre personnelle.

Le contexte des ateliers

Parmi mes expériences avec le journal créatif des jeunes, j’ai collaboré à l’organisation de deux ateliers multidisciplinaires mis sur pied avec le Centre de santé communautaire de Sudbury, impliquant différents intervenants intéressés par la santé mentale chez les adolescentes et adolescents. Le but de ces ateliers était de réunir des jeunes vivant certains problèmes personnels et de les sensibiliser au bien-être et à la santé mentale. Deux journées ont ainsi été organisées avec la coordonnatrice en promotion de la santé, une diététiste, une intervenante en santé communautaire et deux travailleuses sociales. Les journées se déroulaient sur deux sites différents. Chaque journée commençait avec le journal créatif, un repas préparé avec la diététiste, et se poursuivait avec un atelier de yoga et un atelier sur la santé mentale, l’estime de soi et les messages positifs.

Dans les deux ateliers, j’ai présenté le journal créatif comme un espace personnel de réflexion, sans jugement et toujours disponible quand le besoin se fait ressentir, quel que soit le moment du jour ou de la nuit. Cet espace ne nécessite rien d’autre que d’être soi, en profitant du plaisir et de la liberté que cela procure (Jobin, 2015).

Ces ateliers consistaient à permettre aux participantes ou participants d’être exposés à des techniques diversifiées, faciles à appliquer et à retenir, pour stimuler leur imaginaire et éveiller leur intérêt, afin de découvrir de nouveaux aspects de soi-même et comprendre pourquoi on agit parfois de telle ou telle façon. Il s’agissait de pouvoir leur permettre de trouver un espace intime de décompresser, de laisser aller le stress et de voir plus clair en leurs émotions.

Chaque atelier débutait en prenant contact avec le journal, ce cahier qui deviendra un espace où tout est possible, avec des moyens infinis. On prenait le temps pour le regarder et le feuilleter, voir les pages blanches et l’espace qu’il procure pour inventer la vie comme on aimerait qu’elle soit, comme on l’imagine et la souhaiterait.

Pour commencer, nous avons expérimenté le gribouillis. C’est une forme d’expression où on ne fait rien de précis. On barbouille en partant dans tous les sens. On se détend et apprivoise le dessin. On a fait le gribouillis à deux mains, le gribouillis à l’aveugle (où on dessine les yeux fermés) et la technique de l’apparition (il s’agit de barbouiller jusqu’à ce qu’on voit apparaître un visage, un personnage ou une forme quelconque).

Le rire et la détente se sont facilement installés. Les participantes et participants ont profité de ces instants drôles et non conformes pour créer des amitiés. Un esprit de groupe s’est installé rapidement. Cette intimité s’est montrée nécessaire par la suite, au fil des autres exercices. Les jeunes ont tiré avantage de ces espaces créatifs pour s’ouvrir sur ce qu’ils vivaient chacun de leur côté, voir qu’il y en avait d’autres comme elles ou eux et ainsi créer certaines alliances qui leur permettaient de ressentir moins d’isolement ou de marginalisation.

Une période de partage en groupe permettait de boucler chaque exercice et d’offrir une transition entre chacun. Je me suis servi de ce qui était dit dans ces échanges pour diriger les autres exercices prévus dans cet atelier. Par exemple, lors d’une discussion, j’avais demandé ce que les participantes et participants aimaient le plus et détestaient le plus, question d’explorer des zones plus difficiles. Certains témoignages étaient troublants. Apprendre que ce qu’un jeune déteste le plus c’est sa vie, et qu’un autre rétorque la même chose, il y a matière à réflexion. J’ai donc entrepris de diriger le reste des exercices en mettant l’accent sur le message positif et l’estime de soi. J’avais prévu faire le dessin laid. L’idée derrière cet exercice est de se donner la permission de dessiner n’importe quoi sans chercher à faire une oeuvre d’art. Il s’agissait de faire un dessin moche en sachant qu’il se devait d’être imparfait, sans application quelconque, avec juste le plaisir de barbouiller une page. Je n’ai pas censuré l’exercice du dessin laid puisque le but de ce journal est de pouvoir s’exprimer tel qu’on se perçoit, sans retenue, mais j’ai prévu faire une page du journal plus colorée et positive par antagonisme au dessin laid.

Les moyens artistiques

Un exercice consistait à travailler avec trois moyens particuliers : le fusain, pour son aspect noir et brut; le pastel sec pour sa panoplie de couleurs vivantes et lumineuses; la gouache pour sa texture et ses couleurs particulièrement peu conventionnelles. Nous devions coller sur le mur des feuilles de papier à dessiner grand format, pour que chaque participante ou participant travaille sur une des feuilles collées. J’ai commencé par le fusain, expliquant son côté sombre, mais qui peut être aussi très lumineux, car on peut étendre le fusain avec la paume de ses mains et créer un effet de flou flamboyant. L’idée que j’avais était de permettre d’exprimer l’aspect sombre de la vie sans préjugés et sans barrières. Les artistes préfèrent créer sur du noir à cause de l’intensité que donne le noir à la couleur.

J’ai été agréablement surpris de voir que même si le noir n’est jamais très attrayant au premier abord, les résultats furent étonnants. Sur une musique assez rythmée, certaines participantes et certains participants ont barbouillé leur feuille au grand complet, ne laissant aucun espace blanc. Les traits et les flous étaient très marqués, ne laissant aucun doute sur leur besoin d’évacuer la pleine mesure de ce qu’elles ou ils ressentaient au moment de l’exercice. À la fin de cette première phase dans l’exercice proposé, il s’agissait maintenant de construire le reste avec de la couleur. Les pastels secs et la gouache ont servi de catalyseur pour ancrer des pensées positives concernant les capacités que chacune ou chacun possède pour faire face à cette noirceur exprimée plus tôt. Le travail devait toujours être fini avec les doigts et les mains, pour bien ressentir que c’est la personne elle-même qui se construit. Encore là, les résultats furent marquants.

La noirceur du début avait laissé place à une fusion de couleurs, de formes et de luminosité. J’ai demandé à chacune et à chacun de bien regarder son oeuvre en mettant l’accent sur son incroyable capacité à rendre luminescent des aspects sombres de sa vie. Puis, j’ai demandé au groupe de se rassembler devant chacune des créations et de commenter ce qu’il voyait de positif et rayonnant dans chacune des oeuvres. Les commentaires étaient très constructifs. Je pouvais lire chez chacune et chacun la fierté d’avoir accompli un travail personnel avec autant d’impact positif.

J’ai terminé cette phase d’exercices en permettant aux jeunes d’ancrer leur créativité dans leur unicité. J’avais découpé une silhouette d’un personnage excentrique, ostentatoire et original. J’ai tracé la silhouette dans chacun des cahiers des participantes et participants. Avec différents matériaux comme des plumes, des boules de coton de toutes les couleurs, des perles colorées et des autocollants de toutes formes, ces dernières et derniers devaient décorer et coller tous ces objets à l’intérieur du personnage. Les jeunes ont fait preuve de beaucoup d’originalité. Encore une fois, le rire était au rendez-vous; et chacune et chacun commentait son personnage en lui attribuant tous les qualificatifs que ce genre d’exercice inspire.

Cet exercice permettait un ancrage visuel et verbal. En collant les différents matériaux, en exprimant la singularité de ce personnage unique qui prenait forme sous leurs yeux, le travail de renforcement était à l’oeuvre. Tout se faisait par le jeu, la bonne humeur, le rire et l’humour. Les participantes et participants devaient aussi trouver un nom pour leur personnage, lui conférant ainsi l’identité désirée par sa conceptrice ou son concepteur.

Un dernier tour de table a permis à chacune et à chacun d’exprimer ce qu’elle ou il avait vécu. L’exercice sur papier à dessin format géant est revenu comme un moment symbolique et intense. Plusieurs ont exprimé leur surprise d’avoir pu réaliser une oeuvre, à la base noire et obscure, devenant de plus en plus colorée et positive.

Je me suis servi de leur expérience vécue durant l’atelier pour renforcer cet aspect singulier de leur personnalité. En expliquant qu’à la base l’être humain recherche avant tout le positif dans son expérience. Les participantes et participants avaient vécu un processus de construction et de changement en se donnant l’espace pour se réaliser, tout en restant soi et authentique. J’ai encouragé chacune d’elles et chacun d’eux à prendre du temps dans son journal et de se créer une intimité où se sentir bien et comprise ou compris.

Les effets sur les jeunes

Ces deux jours passés avec les jeunes m’ont permis de ressentir l’énergie créative, le désir de se découvrir et de trouver un moyen ou un espace afin de permettre cette expression de soi. J’ai vu et apprécié cette vitalité et ce désir de mieux se connaître sans censure et en n’évitant aucun sujet, aussi tabou que cela puisse paraître pour notre société. Le journal créatif est un outil merveilleux pour ressentir cette effervescence qui bouillonne en elles et en eux. C’est un espace essentiel d’affirmation de son identité dans sa force et son unicité. L’expérience de la création et du processus créatif développe chez les jeunes le sentiment qu’il est possible de mettre de la couleur dans sa vie et d’être capable ainsi de s’approprier une partie de sa propre histoire, d’être aussi une agente ou un agent de changement pour sa propre vie et de réaliser son potentiel.

En guise de conclusion, le journal créatif a permis à des jeunes de se trouver un guide réconfortant pour y mettre leur trace et créer de nouveaux espoirs. Cet espace convivial d’exploration artistique permet d’aller à la rencontre de cette jeunesse qui ne demande qu’à s’exprimer dans tout ce qu’elle est.