La pauvreté fait l’objet, actuellement, d’un intérêt renouvelé en travail social et dans d’autres sciences sociales. Les plus récentes statistiques montrant l’ampleur du phénomène en Amérique du Nord invitent à s’y intéresser de plus près. Au Canada, selon certaines estimations, ce serait environ 5 million de personnes, soit 1 personne sur 7, qui vivent sous le seuil de la pauvreté (EDSC, 2016). Si les prestataires de l’aide sociale comptent toujours parmi les plus pauvres au pays, la montée du phénomène des « travailleurs pauvres », depuis les années 1990, révèle non seulement l’étendue, mais également la transformation des visages de la pauvreté (Johal & Thirgood, 2016). N’étant plus strictement confinée aux marges sous forme « résiduelle » (telle que conçue durant la période des Trente Glorieuses), la pauvreté interpelle aujourd’hui au Canada un nombre croissant d’individus à risque de vivre, dans la prochaine décennie, une forme d’insécurité au travail (Statistique Canada, 2016). Bien qu’il existe à l’heure actuelle une pluralité d’indicateurs (MPC, SFR, IPH, etc.) disponibles pour mieux mesurer son ampleur, la pauvreté semble encore principalement définie comme une insuffisance de ressources financières et matérielles pour combler adéquatement les besoins de base. Pourtant, les indicateurs de faible revenu (pauvreté relative et absolue), quoiqu’importants, ne fournissent qu’une image partielle des multiples réalités et facteurs complexes qui définissent le fait d’être pauvre et qui agissent sur le bien-être des personnes. Ainsi, nous pouvons nommer, parmi d’autres : les problèmes de santé et de logement, les barrières d’accès à l’éducation, la moindre participation sociale et civique, le racisme, les discriminations et les préjugés. De plus, ces indicateurs, quoiqu’utiles, laissent dans l’ombre la façon dont la pauvreté, au-delà des faibles revenus, s’inscrit dans des rapports sociaux foncièrement inégaux. Pour comprendre et mesurer l’ampleur de la pauvreté, on ne pourrait, en effet, faire l’économie d’une analyse de la croissance des inégalités sociales, tout comme on ne pourrait prétendre se saisir de cette ampleur sans la lier, directement, au démantèlement d’une pluralité de mesures sociales redistributrices de la richesse, depuis les années 1980: éducation publique de qualité et accessible, logements abordables, garderies subventionnées, collectifs et syndicats de travail, etc. Ces mesures, qui sont le fruit de longues luttes historiques menées par une diversité de mouvements sociaux (mouvements féministe, étudiant, syndical, anti-raciste et anti-colonial, etc.), se fragilisent sans cesse, aujourd’hui, au profit d’une société qui érige l’économie comme valeur centrale et indépassable. Comme le mentionne Nadeau : « l’utopie du tout à l’économie dont souffrent nos sociétés en est à imposer la précarité comme l’horizon normal. Elle tente de normaliser la misère du monde dans un jeu de démolition de luttes sociales menées depuis le XIXe siècle. » (2016, p. 36) Si l’avenir des mesures de protection de sociale semblent incertaines face au déclin des idéaux de solidarité et d’égalité qui ont permis leur envol, que doit-on penser, alors, des initiatives actuellement débattues ou expérimentées dans le cadre des plus récents plans de lutte à la pauvreté, telles que le revenu minimum garanti? Ces pratiques permettent-elles de réduire les écarts de richesse ou visent-elles plutôt à répondre aux effets de pauvreté sans agir sur les inégalités sous-jacentes ? Dans la section entrevue de ce numéro, ce sont entre autres à ces questions que répond Dennis Raphael, professeur et chercheur en politiques et en gestion de la santé à l’Université York, dans le cadre d’une entrevue réalisée par Dahlia Namian. Ce dernier y soulève un paradoxe important : si les inégalités de santé sont directement liées aux écarts de revenus et au pouvoir croissant des entreprises, c’est par la santé et la médicalisation des conduites que …
Parties annexes
Bibliographie
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