Résumés
Résumé
Cette recherche-action participative s’inscrit dans le cadre du projet d’actions et de recherches contre les violences structurelles (PARVIS), mené avec sept jeunes femmes de la rue de la ville de Québec. L’intérêt du groupe concernant les situations de fugues dans les centres jeunesse l’a conduit à expérimenter une action sociale visant à sensibiliser les décideures et décideurs aux conséquences du contrôle dans ces institutions et du manque de soutien dans la transition vers l’âge adulte. Cet article s’attarde surtout à la façon dont PARVIS a mobilisé l’intersectionnalité des points de vue méthodologique et politique, en tentant d’imbriquer les savoirs universitaires et les savoirs expérientiels des participantes.
Mots-clés :
- intersectionnalité,
- itinérance,
- jeunes de la rue,
- femmes,
- recherche-action participative
Abstract
This participatory action research is part of the project of action and research against structural violence (PARVIS) conducted with seven street-involved young women in the area of Quebec City. The topic of runaways in youth centres led the group to discuss their own experience in the child protective services and to develop an awareness project around this topic. The PARVIS project has created a safe space of solidarity and opportunities to be seen and heard. This paper aims to discuss how the PARVIS project was conducted as a methodological and political tool for a praxis of intersectionality.
Keywords:
- intersectionality,
- homelessness,
- street-involved youth,
- women,
- participatory action research
Corps de l’article
Introduction
L’intersectionnalité est une perspective holiste de la domination, qui postule que les oppressions vécues par les femmes, comme les jeunes femmes de la rue, sont multiples et ne peuvent être prises en compte de façon séparée et additive (Palomares et Testenoire, 2010; Bilge, 2010a; Bilge, 2009; Kergoat, 2009; Hancock, 2007; Collins, 2000). Elle représente, d’après McCall (2005), la plus grande contribution théorique du mouvement des femmes à ce jour. Si cette perspective représente un véritable buzzword (Davis, 2008) dans le champ des études féministes anglophones et gagne en intérêt depuis le tournant des années 2010 chez les féministes francophones (Bourque et Maillé, 2015), il en reste beaucoup à comprendre sur les diverses façons de la traduire dans une démarche empirique mais, surtout, d’en faire une pratique sociale. Les critiques récentes sur son blanchiment (Bilge, 2013; 2015), dans un contexte où l’intersectionnalité risque d’être encapsulée dans sa dimension théorique ou académique, en s’éloignant de plus en plus des femmes marginalisées, invitent à la créativité afin de remettre l’intersectionnalité au service de la justice sociale et, ainsi, la traduire en praxis.
Dans le souci de faire entendre des femmes marginalisées et souvent silencées, le projet d’actions et de recherches contre les violences structurelles (PARVIS) a été réalisé auprès d’un groupe de sept jeunes femmes de la rue de la région de Québec, âgées de 17 à 25 ans. L’objectif de ce projet avait été identifié au terme du projet Dauphine (Flynn, Damant et Lessard, 2015), dans lequel la violence perpétrée par des partenaires intimes demeurait une piste de recherches et d’actions à approfondir pour les jeunes femmes de la rue. Ainsi, ce projet visait initialement à repositionner les violences vécues par ces femmes dans leurs relations intimes dans une perspective structurelle et à expérimenter une action pour créer des contextes sécuritaires. Si, dans les débuts du projet, à l’automne 2015, les travaux du groupe se sont orientés autour de la violence dans les relations intimes, à l’hiver 2016, certains éléments d’actualité liés aux situations de fugues dans les centres jeunesse ont suscité de nombreuses discussions et réflexions au sein du groupe.
Les participantes se sont montrées très critiques envers le traitement médiatique de ces faits d’actualité.
« Les fugues dans les centres jeunesse, ça toujours été ça… […] c’est juste que là les médias font tellement de pouce là-dessus. »
Manie, 22 ans
Bien qu’elles se soient montrées fort préoccupées par le recrutement d’adolescentes à des fins prostitutionnelles, leur indignation se dirige surtout vers les dirigeantes et dirigeants du Centre jeunesse de Laval qui, avec l’appui du gouvernement, a verrouillé ses portes.
« C’est le sujet en vogue ces temps-ci […] ils disent que les centres jeunesse ne sont pas assez serrés [tout le monde rit et sacre] que ce n’est pas assez sévère et qu’ils devraient barrer toutes les portes […] mais avant de faire ça, ils pourraient pas commencer à penser à changer leur méthode? »
Manie, 22 ans
Ce contexte illustre bien, selon elles, que les interventions dans les centres jeunesse sont plutôt axées sur le contrôle et la protection que sur le soutien. Ces éléments d’actualité les ont conduites à parler de leurs propres expériences dans différents centres jeunesse du Québec et des conséquences de celles-ci sur leur trajectoire. C’est ainsi que le groupe a choisi d’expérimenter une action collective liée à leurs expériences dans les centres jeunesse plutôt que de poursuivre sur le thème de la violence de la part de partenaires intimes. Ce changement dans la trajectoire du groupe était également cohérent avec les préoccupations soulevées dans le cadre du projet Dauphine auquel deux participantes de PARVIS avaient pris part. Ainsi, un projet de cartes postales a été réalisé afin de sensibiliser les décideures et décideurs, ainsi que les alliées et alliés potentiels, aux conséquences du contrôle dans les centres jeunesse et du manque de soutien dans la transition vers l’âge adulte. Si l’analyse intersectionnelle des savoirs générés avec les participantes fera l’objet d’une publication subséquente, le présent article s’attarde surtout à la façon dont PARVIS a mobilisé l’intersectionnalité des points de vue méthodologique et politique, en permettant la collectivisation du vécu de ces jeunes femmes, en soutenant leur prise de parole et en les propulsant dans un rôle de militante. Ainsi, il propose une réflexion sur le processus expérimenté dans le cadre de cette recherche-action participative afin de voir comment une étude comme celle-ci peut, à certains égards, contribuer à traduire l’intersectionnalité en praxis.
Cet article présentera d’abord une brève recension des écrits sur la dimension politique de l’intersectionnalité. Puis, il montrera la pertinence de s’intéresser, dans une perspective intersectionnelle, à l’expérience des jeunes femmes de la rue. Il décrira ensuite les principaux repères méthodologiques de cette étude, en présentant la méthode de recherche-action participative et ses critères de scientificité. Il reviendra ensuite sur le déroulement de cette recherche-action en faisant un bref portrait des participantes, en expliquant la démarche du groupe et en montrant les outils créés en soutien à la prise de parole des femmes. L’article se terminera par une discussion faisant un retour sur les principales conditions d’une praxis intersectionnelle.
Intersectionnalité politique et jeunes femmes de la rue
Comme l’ont rappelé de nombreuses auteures comme Brah et Phoenix (2013) et Bilge (2009; 2010b), l’intersectionnalité a émergé dans les années 1970 et 1980 des récits autobiographiques et des luttes des militantes afro-américaines et afro-britanniques comme bell hooks (1982), Audre Lorde (1980), Angela Davis (1981) et Gail Lewis (1985). Bien que les concepts d’interconnectivité (hooks, 1984) et d’intersectionnalité (Crenshaw, 1989) aient émergé des savoirs militants, ce n’est qu’au courant des années 2000 qu’ils ont pris la forme d’une théorie ou d’un paradigme normatif (Bilge, 2009), par l’entremise des travaux de Collins (2000), de Yuval-Davis (2006) et de Hancock (2007).
Ces auteures ont articulé leur réflexion et leur militantisme sur la critique de ce qu’Adrienne Rich (1979) nomme le white solipsism, une vision selon laquelle l’expérience des femmes blanches bourgeoises est universelle à celle de toutes les femmes et où l’expérience de la domination se replie principalement sur le genre (Bilge, 2009). Elles ont également dénoncé que l’héritage culturel, l’esclavagisme et le colonialisme ne sont guère pris en considération dans le discours féministe majoritaire (Collins, 2000; Crenshaw, 1991). À la dénonciation du caractère ethnocentrique du féminisme s’ajoutent des insatisfactions quant à la direction moniste du mouvement antiraciste des droits civiques américains où la discrimination raciale était principalement appréhendée comme une expérience masculine (Bilge, 2010b). Cette double critique a conduit à l’émergence d’un savoir militant où le genre et la race se combinent pour créer une expérience complexe de la domination (Collins, 2000). Si Anthias et Yuval-Davis (1983) avaient préalablement développé le concept de triple oppression pour rendre compte de la division sociale en fonction du genre, de l’origine ethnique et de la classe sociale, l’intersectionnalité a trouvé écho au sein de l’académie lorsque la juriste américaine Kimberlé W. Crenshaw a suggéré que la violence dont les femmes racisées sont victimes est fréquemment attribuable à une intersection entre le racisme et le sexisme (1991) plutôt que le produit direct des inégalités entre les hommes et les femmes. C’est autour de cette réflexion qu’elle a introduit pour la première fois le concept d’intersectionnalité dans les écrits scientifiques.
Sur l’académisation ou le blanchiment de l’intersectionnalité
Conséquemment à un intérêt grandissant pour l’intersectionnalité dans les cercles académiques féministes, plusieurs auteures ont dénoncé son éloignement des mouvements sociaux ou son institutionnalisation (Smele, et collab., 2017; Tomlinson, 2013; Alexander-Floyd, 2012; Luft et Ward, 2009). Cette tendance, que Bilge (2015) désigne sous le nom de blanchiment de l’intersectionnalité, peut mener à l’exclusion des femmes marginalisées à la production des savoirs les concernant, de même qu’à un processus de stabilisation voire de standardisation de cette perspective, ce qui est complètement contraire à sa visée initiale. Si Bilge (2015), dans son analyse axée principalement sur la formation sociale de race, dénonce la distanciation de l’intersectionnalité face à la théorie critique raciale, elle n’y voit pas un lieu de reproduction du white solipsism tel que défini par Rich (1979), dans la mesure où le blanchiment de l’intersectionnalité prend place au sein des groupes de production de savoirs intellectuels, généralement rattachés au milieu universitaire. C’est d’ailleurs là, au-delà de la question raciale, que se situe véritablement le blanchiment de l’intersectionnalité; par l’appropriation et la dépolitisation de ce concept initialement contestataire par des producteurs de connaissances qui se tiennent généralement au-dessus des catégorisations au centre de leurs discussions, amputant ainsi les savoirs générés de leur dimension située (Tlostanova, 2015) et de leur visée de justice sociale (Bilge, 2014). Le repositionnement des femmes marginalisées comme productrices de connaissances et la traduction de l’intersectionnalité en praxis renvoient directement à des considérations d’ordre méthodologique. Nous y reviendrons.
L’intersectionnalité en tant que praxis
Si, à travers son académisation, l’intersectionnalité a pu tantôt être réduite à un cadre d’analyse s’intéressant aux domaines et aux vecteurs de pouvoir, tantôt être mobilisée comme un objet de recherche en soit (Bilge, 2015), l’intersectionnalité est une praxis (Bilge, 2015; Bilge, 2014) orientée vers la justice sociale pour les groupes minorisés (Cho, Crenshaw et McCall, 2013). Ainsi, elle comporte une dimension à la fois théorique, méthodologique et politique (Cho, Crenshaw et McCall, 2013). Des écrits récents dégagent certaines pistes de réflexion permettant de réaffirmer le caractère politique de l’intersectionnalité. À travers une étude sur la représentation politique, Severs, Celis et Erzeel (2016) amènent à réfléchir sur l’importance de s’attarder au caractère constitutif de l’intersectionnalité. Elles avancent qu’en s’éloignant d’une analyse du haut vers le bas où l’on réfléchit sur les conséquences des rapports de pouvoir asymétriques, mais en s’intéressant plutôt à une ontologie du pouvoir où l’on examine la façon dont celui-ci est (re)produit, il est plus aisé de voir le caractère instable et relatif des privilèges et des désavantages et, ainsi, entrevoir où la résistance devient possible. Ce texte, qui n’est pas sans rappeler les tensions existantes entre une vision plus systémique et socioconstructiviste de l’intersectionnalité (Harper, 2012; Bilge, 2009), avance néanmoins qu’il importe de situer pouvoir et agentivité dans un processus imbriqué et circulaire afin de bien comprendre les inégalités. Aussi, l’intersectionnalité a souvent été critiquée pour les divisions qu’elle risque d’entraîner au sein du mouvement des femmes (Evans, 2016). L’étude d’Evans (2016), réalisée auprès de groupes féministes étudiants du Royaume-Uni, montre néanmoins la façon dont l’intersectionnalité est présente dans leurs réflexions, mais révèle que les catégories d’analyse qui y sont au coeur limitent la portée de leurs actions. Cela rappelle qu’au-delà des identités/formations de genre, de race et de classe, souvent mises de l’avant dans les écrits sur l’intersectionnalité, il importe de s’intéresser aux catégorisations qui émergent des discours des femmes dans une perspective d’inclusion (Naples, 2013). Enfin, appuyé par les écrits de Bilge (2014; 2015) et de Cho, Crenshaw et McCall (2013), on peut définir qu’une praxis de l’intersectionnalité réfère directement au mode de production des connaissances qui doit en lui-même être émancipatoire, porteur de transformation sociale et contestataire. D’ailleurs, l’éloignement d’une remise en question constante de l’intersectionnalité peut conduire à son académisation (Cho, Crenshaw et McCall, 2013). Tels que nommés par Bilge (2015), les chercheures et chercheurs mobilisant l’intersectionnalité justifient leurs choix méthodologiques et s’attardent également à la distribution du pouvoir au sein de leurs démarches.
Si les écrits sur le blanchiment de l’intersectionnalité ou sa traduction en praxis nous rappellent l’importance de remettre l’analyse du pouvoir et la transformation sociale au coeur des démarches empiriques, ils nous amènent néanmoins à constater l’un de ses paradoxes. Si son émergence est attribuable aux mouvements sociaux des femmes racisées, sa mise en lumière dans les récits autobiographiques de même que dans l’académie a été menée par des femmes ayant une position relativement privilégiée au sein même de cette institution. Les quelques études portant sur sa praxis et son intégration dans les groupes de femmes s’intéressent également à des femmes marginalisées, mais qui ont toutefois eu le privilège (bien relatif) d’avoir accès à une prise de parole et à une mobilisation à travers des groupes organisés, ou à des espaces de réflexions au sein des universités (Pagé et Pires, 2015; Evans, 2016). Qu’en est-il des femmes marginalisées sans voix qui n’ont pas accès à ces espaces mais qui n’en demeurent pas moins militantes à leur façon? Cette réflexion nous amène, à l’instar d’autres collègues (Zimmermann, 2016; Caron, Damant et Flynn, 2017; Bilge, 2010b), au questionnement Can the Subaltern Speak? proposé par Spivak (1988). Cette question peut d’ailleurs trouver une portée au-delà du féminisme postcolonial et trouver écho chez de nombreux groupes de femmes comme les jeunes femmes de la rue.
Les jeunes femmes de la rue : un groupe jugé comme étant « à risque » mais peu entendu
Les jeunes femmes sont souvent désignées comme étant les plus vulnérables dans la rue (Ensign et Panke, 2002). Leur entrée dans la rue serait, le plus souvent, attribuable à des expériences d’abus et de violence au sein de leur famille (Wingert, Higgitt et Ristock, 2005; Medrano, et collab., 1999; Belknap et Holsinger, 1998; Loper, 1999). Une fois dans la rue, elles seraient plus à risque que les hommes de subir différentes formes de violence comme des agressions sexuelles (Ensign et Panke, 2002; Rew, Taylor-Seehafer et Fitzgerald, 2001; Tyler, et collab., 2001), de la violence psychologique, du harcèlement sexuel et de la brutalité policière (Dhillon, 2011). Ces femmes auraient également moins de chances de réussite dans différentes sphères d’activité sociale comme l’éducation (Acoca, 1998), le marché de l’emploi et le logement, en plus de se sentir souvent exclues des soins de santé et des services sociaux (Dhillon, 2011; Flynn, 2015). Quelques auteures et auteurs (Stephen, 2000; Welch, Roberts-Lewis et Parker, 2009) avancent l’importance d’étudier l’expérience des jeunes femmes de la rue à travers un cadre plus large que les données épidémiologiques, en s’intéressant aux différents facteurs structuraux qui produisent l’itinérance. Cette position a conduit vers un intérêt à problématiser l’expérience de ces femmes sous l’angle des violences structurelles (Galtung, 1969; Scheper-Hughes et Bourgois, 2003; Flynn, et collab., 2016). Les violences structurelles réfèrent aux processus à la racine des inégalités sociales (Farmer, et collab., 2004; Scheper-Hughes et Bourgois, 2004) qui se (re)produisent dans trois dimensions imbriquées : la dimension symbolique, la dimension institutionnelle et la dimension quotidienne (Flynn, et collab., 2016). Cette opérationnalisation rappelle la diversification des niveaux d’analyse proposée tant par une intersectionnalité systémique (Collins, 2000) qu’une intersectionnalité socioconstructiviste (Yuval-Davis, 2006). Ces dimensions sont d’ailleurs une opérationnalisation de ce que Bilge (2015) et initialement Collins (2000) appellent les domaines de pouvoir.
Aussi, de nombreux écrits scientifiques illustrent les violences vécues par les jeunes femmes de la rue et montrent que les stratégies qu’elles déploient sont traversées par différents vecteurs de pouvoir (Bilge, 2015), principalement ceux liés au genre. Par exemple, le milieu criminel et l’économie de la rue apparaissent dominés par les jeunes hommes (O’Grady et Gaetz, 2009; Shannon, et collab., 2008; Walls et Bell, 2011). Les jeunes femmes, en raison des risques de violence et d’agression qu’elles sont susceptibles de vivre lorsqu’elles sont en situation d’itinérance, auraient plus recours au travail du sexe de survie afin d’avoir un endroit où se loger (Shannon, et collab., 2008; Chettiar, et collab., 2010; Walls et Bell, 2011). La pauvreté et le racisme sont d’ailleurs des facteurs structuraux associés à certaines stratégies déployées par les jeunes femmes de la rue, jugées comme étant délinquantes (Slater, Guthrie et Boyd, 2001; Bill, 1998). La surreprésentation des jeunes LGBTQ+ (Abramovich, 2016) et des jeunes racisés (Moser Jones, 2016) de même que des personnes autochtones parmi la population itinérante (Patrick, 2014) montre la nécessité de s’intéresser à l’ensemble des vecteurs de pouvoir qui les construisent en tant que jeunes femmes de la rue et y façonnent leur expérience. Enfin, ces jeunes femmes sont aussi sujettes à ce que leur expérience soit traversée par des rapports de pouvoir liés à leur âge. Bien que de plus en plus d’études abordent le concept d’âgisme genré (traduction libre de gendered ageism) (McGann, et collab., 2016; Murphy et Cross, 2017) ou fassent des liens entre âge et postcolonialisme (Zimmermann, 2016), celui-ci est le plus souvent mobilisé dans des études portant sur une population vieillissante.
Organisation et militantisme chez les jeunes de la rue
Enfin, si un vaste corpus d’études a montré, dans une perspective épidémiologique, les risques encourus par les jeunes de la rue, surtout les jeunes femmes (Boivin, et collab., 2005; Gomez, Thompson et Barzcyk, 2010; Kidd, et collab., 2013; Feng, et collab., 2013; Ferguson, 2009; Mayock, Corr et O’Sullivan, 2013), quelques initiatives réalisées en mixité ont d’ailleurs mis à profit la participation des jeunes de la rue et ont révélé qu’au-delà du risque, de la vulnérabilité et de la délinquance associés à cette population, ces jeunes peuvent s’inscrire dans des projets porteurs de sens et de transformation pour leur communauté. En se basant sur l’idée que le soutien des pairs peut être un puissant moteur de stratégies d’intervention (Fontaine et Vitaro, 2006; Bellot, Rivard et Greissler, 2010), le Collectif d’intervention par les pairs a offert une aide utile en contexte de sortie de rue ou en soutien aux jeunes qui y sont toujours (Bellot, Rivard et Greissler, 2010). L’engagement de pairs auprès de cette communauté a contribué à collectiviser et à normaliser l’expérience de la marginalité, en la repositionnant comme une expression d’un refus des valeurs dominantes de la société contemporaine. Cette action contribue également à s’affranchir du regard extérieur lié à la marginalité, l’associant à la déviance et à la criminalité (Bellot, Rivard et Greissler, 2010). Greissler (2010) avance d’ailleurs que ce refus peut s’articuler chez certains jeunes dans une perspective militante, également contributive à une construction identitaire liée à la marginalité.
Aussi, le projet communautaire At Street Level (Petrucka, et collab., 2014) montre que, par leurs comportements, les jeunes de la rue sont constamment impliqués dans une lutte pour une réaffirmation de leur pouvoir d’agir. L’entrée dans la rue serait perçue comme une stratégie, considérant que les jeunes concernés estiment les autres options inacceptables (Wingert, Higgitt et Ristock, 2005). Enfin, l’ensemble de ces études souligne la pertinence et les effets bénéfiques de l’engagement des jeunes de la rue au sein des recherches participatives. Certains auteurs et auteures proposent d’ailleurs quelques jalons facilitant la mobilisation des jeunes dans l’expérimentation de pratiques novatrices. Ils recommandent de joindre les jeunes dans leur milieu plutôt que de les placer dans un contexte artificiel (Connolly et Joly, 2012). La création d’un lien de confiance avec la chercheure ou le chercheur apparaît également indispensable (Connolly et Joly, 2012; Bellot, Rivard et Greissler, 2010; Ferguson et Islam, 2008). Si ces recherches réalisées dans un contexte de mixité femmes-hommes ont permis de réaliser des projets porteurs de sens, une telle démarche réalisée en non-mixité comme le projet Dauphine (Flynn, Damant et Lessard, 2015) a montré que les jeunes femmes de la rue se positionnaient souvent dans un rôle de militante par leur affiliation à la culture punk et que la recherche-action participative pouvait être un espace sécuritaire où elles pouvaient repositionner des expériences de violence vécues dans l’intimité ou des agressions sexuelles dans un contexte social plus grand et s’engager dans des actions sociales concrètes visant à lutter contre les violences structurelles.
Méthodologie
La recherche-action participative pour une prise de parole des femmes marginalisées
La recherche-action participative (RAP) est une méthodologie cohérente pour une praxis de l’intersectionnalité. Elle vise la création non seulement de savoirs situés, mais aussi de savoirs engagés. D’abord, elle représente un processus de recherche démocratique visant à développer des connaissances pratiques et à soutenir une action sociale (Reason et Bradbury, 2001). Son but ultime est une transformation sur le plan structurel (Khanlou et Peter, 2005). L’objectif d’une RAP est de résoudre un problème concret ou un enjeu spécifique vécu par le groupe qui y participe (Ozanne et Saatcioglu, 2007). Il s’agit de trouver de concert avec les participantes et participants des solutions locales à un problème social, par l’adoption de nouvelles pratiques individuelles et collectives (Ozanne et Saatcioglu, 2007). Elle permet de poser des questions de recherche orientées vers une action et des stratégies (McHugh et Kowalski, 2011). Aussi, la RAP se démarque par son rejet de la division habituelle entre la théorie et la pratique (Ozanne et Saatcioglu, 2007). Elle les représente plutôt comme des savoirs imbriqués pouvant faire émerger des théories et favoriser la résolution de problèmes sociaux (Ozanne et Saatcioglu, 2007). Elle critique également les différents paradigmes de recherche qui placent les chercheures et chercheurs dans un rôle d’expert et les participantes et participants dans une position de personne à l’étude. À l’instar de la recherche féministe (Rose, 2001), elle considère les participantes et participants comme des sujets et des experts de leur propre expérience (Reason et Bradbury, 2001). Les chercheures et chercheurs se voient octroyer un rôle d’aidant ou de facilitateur, plutôt qu’un rôle d’expert (Gosin, et collab., 2003).
Ces considérations sont sous-tendues par différentes normes de fonctionnement, comme la division non traditionnelle des tâches au sein du groupe de travail. La RAP implique les participantes et participants à toutes les étapes du processus de la recherche à travers le choix et la définition de la problématique, le protocole de la recherche, la collecte des données et l’analyse ainsi qu’à l’étape de l’application et de la diffusion des résultats (Ozanne et Saatcioglu, 2007). Les objectifs de la recherche-action ainsi que la structure de gouvernance sont compris, décidés et acceptés par tous les membres de l’étude (Metcalfe et Humphreys, 2002). Elle doit se dérouler dans un climat sécuritaire, où les participantes et participants ainsi que les chercheures et chercheurs se soutiennent mutuellement et se font confiance (Metcalfe et Humphreys, 2002). Le principal défi dans l’instauration d’un climat où les rapports de pouvoir sont égalitaires réside dans l’arrimage de l’intérêt scientifique de la démarche et du bien-être et des aspirations des participantes et participants de l’étude (Minkler, 2000).
Reason et Bradbury (2001) ont dégagé cinq critères de scientificité des RAP : la validité de résultat (ou validité sociale), la validité démocratique, la validité de processus, la validité catalytique et la validité dialogique. La validité de résultat implique que la recherche doit mener à la résolution d’un problème vécu par les participantes et participants ou qu’elle doit minimalement générer des connaissances pratiques permettant d’améliorer leur bien-être. Khanlou et Peter (2005) nomment la validité de résultat « validité sociale » en la définissant, d’un point de vue plus global, comme la pertinence de la démarche pour celles-ci et ceux-ci. La validité démocratique réfère à l’importance de la recherche pour mettre à profit la participation et l’engagement profond des différents acteurs et actrices concernés par la problématique. La validité de processus suggère que la recherche doit favoriser la réflexion des participantes et participants sur les enjeux ou la problématique, tout en les accompagnant dans le développement de cette capacité réflexive. La validité catalytique implique que la recherche-action doit permettre un changement social au sein même du groupe, mais également s’étendre au-delà. Il s’agit d’un des principes généraux de la recherche-action voulant qu’une action locale trouve des échos dans les sphères plus macrosociales, ce qui se situe en totale cohérence avec une praxis de l’intersectionnalité. Enfin, la validité dialogique propose qu’un dialogue critique doive avoir lieu entre les actrices et acteurs impliqués, concernant la réflexion réalisée et l’action proposée.
Plusieurs chercheures et chercheurs ont utilisé la RAP auprès des jeunes en contexte de mixité femmes-hommes (Flicker, et collab., 2008; Harper et Carver, 1999; McHugh et Kowalski, 2011; McIntyre, 2000; MacDonald, et collab., 2011; Ozer, Ritterman et Wanis, 2010). Les jeunes étant considérés comme des experts de leur propre expérience, ils deviennent producteurs de connaissances, ce qui les propulse dans un rôle d’agent de changement social (Flicker, et collab., 2008). Inclure les jeunes dans le processus de recherche en les considérant comme de réels cochercheurs et cochercheures permet d’améliorer fortement l’analyse en tant que processus collectif et de développer des stratégies ayant un certain rayonnement auprès des jeunes (MacDonald, et collab., 2011). Enfin, la recherche-action représente également une expérience à travers laquelle les jeunes marginalisés peuvent sentir qu’ils font une différence positive.
Le projet d’actions et de recherches sur les violences structurelles (PARVIS)
Mise en contexte
Le projet PARVIS s’inscrit en continuité avec le projet Dauphine (Flynn, Damant et Lessard, 2015), dans lequel un groupe de sept jeunes femmes de la rue de Québec avaient expérimenté deux actions permettant de lutter contre les violences structurelles. Ce projet avait entre autres permis de voir comment ces femmes ont été construites comme bad girls (Brown, 2011) à travers leurs interactions avec les policières et policiers ainsi qu’avec les intervenantes et intervenants des centres jeunesse, et comment cette identification a structuré leurs interactions avec d’autres institutions comme le marché de l’emploi. Il en était également ressorti que cette construction était traversée par différents vecteurs, comme ceux liés à l’âge (comment les intervenantes et intervenants en centre jeunesse auraient-ils pu avoir autant de contrôle sur les participantes si leur pratique n’avait pas été encadrée par une loi d’exception qui cible justement les jeunes à risque?), à l’identité de genre, aux préférences sexuelles et à leurs conditions socioéconomiques. Au terme de ce projet, en 2014, les participantes avaient identifié différents thèmes à investir davantage afin de poursuivre les réflexions et les actions contre les violences structurelles. Elles avaient notamment abordé la question de l’expérience des femmes en situation d’itinérance avec les différents acteurs et actrices du réseau de la santé et des services sociaux, de même que les violences vécues par les adolescentes et les jeunes femmes de la rue dans le cadre de leurs relations intimes. C’est dans un souci de mieux documenter cette dernière problématique et d’expérimenter des actions pour créer des contextes sécuritaires qu’un deuxième projet s’est amorcé à l’automne 2015.
Recrutement
S’il était prévu initialement que les participantes au projet Dauphine soient facilitatrices du recrutement pour le deuxième projet, celles-ci étaient toutes hors de la ville de Québec à l’été 2015, au moment où PARVIS a obtenu l’approbation éthique. La difficulté de reprendre contact avec les participantes du projet Dauphine persistant au début de l’automne 2016, le SQUAT Basse-Ville, qui avait été mobilisé dans les actions sociales expérimentées par les participantes du projet précédent, a été contacté pour faciliter le recrutement. C’est ainsi que l’intervenante communautaire a présenté le projet à une leader résidente du SQUAT qui, par effet boule de neige, en a ensuite parlé à d’autres jeunes femmes du milieu de la rue à Québec. Quatre jeunes femmes se sont présentées à la première rencontre du projet, soit deux résidentes du SQUAT, une jeune femme présente dans le quartier autour de la ressource et Adele[3], une participante du projet Dauphine, rentrée à Québec entre-temps. Cette dernière a expliqué aux autres ce qui avait été fait dans le cadre du projet Dauphine et le processus de recherche-action participative. Au cours des rencontres qui ont suivi, trois autres participantes se sont jointes au groupe, intéressées au projet par les participantes. On compte parmi celles-ci Aline, une participante ayant été présente aux premières rencontres du projet précédent, mais n’ayant pas pu continuer en raison de son départ pour Montréal. Les participantes ont été rémunérées à hauteur de 20 $ par rencontre pour leurs douze premières rencontres (ce qui représente un total de 240 $ par participante), mais le projet cumule à ce jour plus d’une vingtaine de rencontres. Une seule participante s’est désengagée du projet peu après sa douzième rencontre, mais continue néanmoins de suivre les activités de PARVIS via la page Facebook de celui-ci. Elle demeure néanmoins comptabilisée comme participante de PARVIS puisqu’elle tenait à ce que son expérience soit entendue. Près d’un an et demi après le début du projet (alors que celui-ci devait initialement durer six mois), deux des participantes continuent de suivre les actions et participent aux rencontres, tandis que quatre d’entre elles demeurent encore entièrement mobilisées et planifient les suites. Aussi, dans la réalisation des actions, trois autres jeunes femmes et deux jeunes hommes de la rue ont été mobilisés ponctuellement dans le projet pour soutenir la réalisation de l’action sociale choisie.
Participantes
Bien que le projet ait accepté les participantes à partir de 16 ans, celles-ci étaient toutes âgées de 17 à 25 ans au moment de leur entrée dans le projet. Trois d’entre elles sont originaires de la région de Québec et les autres viennent soit des Îles-de-la-Madeleine, de l’Abitibi ou de la Côte-Nord. Quatre des participantes ont effectué un ou plusieurs séjours dans une institution comme le centre jeunesse ou un centre hospitalier spécialisé en santé mentale lorsqu’elles étaient adolescentes, en raison d’épisodes de violences intrafamiliales ou parce qu’elles présentaient des comportements violents ou délinquants. Durant l’étude, cinq des participantes ont été engagées dans une relation intime avec un ou plusieurs jeunes hommes, alors que deux des participantes l’ont été avec une jeune femme. Toutes avaient néanmoins expérimenté de la violence perpétrée par un jeune homme dans une relation intime. Deux participantes ont vécu une trajectoire de maternité durant le projet. L’une d’entre elles est maintenant mère d’un enfant et en assume la garde complète, alors que l’autre a subi une interruption volontaire de grossesse à son deuxième trimestre. Six des participantes ont participé, à un moment ou l’autre de l’étude, à un programme de réinsertion sociale : deux l’ont complété et ont poursuivi leurs études dans un centre de formation professionnelle, et les quatre autres fréquentent toujours le programme. Une seule des participantes a occupé un emploi rémunéré à temps partiel durant le déroulement de l’étude. Toutes vivent actuellement en situation d’instabilité résidentielle, soit en étant dans une ressource d’hébergement, en changeant fréquemment de lieu de résidence, en alternant les différentes colocataires ou en peinant à payer leur loyer. Trois participantes ont d’ailleurs transité par le SQUAT Basse-Ville à un moment ou l’autre de l’étude. Toutes sont liées à différentes activités rattachées à la vie de rue comme la consommation ou la vente de drogue. La participante ayant donné naissance à un enfant s’est néanmoins éloignée peu à peu de ce milieu.
Déroulement du projet
Depuis octobre 2015, le groupe a tenu vingt-deux réunions. Les dix premières réunions (qui se déroulaient un mercredi sur deux) ont naturellement eu la forme d’un groupe d’entraide et se sont déroulées au salon communautaire du SQUAT Basse-Ville. Les participantes parlaient des défis auxquels elles faisaient face dans leur vie quotidienne. Elles ont abordé entre autres les thèmes ou sujets de conflits dans le cadre de leur relation intime, par exemple l’argent de même que la consommation de drogue et d’alcool. Les discussions autour de ces thèmes menant souvent à des actes de violence de la part de leur partenaire, les participantes en sont souvent venues à réfléchir ensemble sur la question du « cercle vicieux » — pour reprendre leurs mots — de la violence, de même que sur les possibilités de s’en sortir. Dans le cadre de ces rencontres, le groupe a également créé une affiche de style scrapbook pour exprimer ce que la violence de la part d’un partenaire intime signifie pour elles. Elles ont également été amenées à discuter de l’instabilité du soutien financier offert par le gouvernement et de l’impact que cela pouvait avoir sur leurs conditions de vie. Certains articles de journaux de même que des faits d’actualité soulevés par certains membres du groupe ont également été discutés. Pensons entre autres à la chronique de Richard Martineau intitulée « Les filles c’est nono », dans laquelle il aborde le fait qu’une fille/femme reste auprès d’un garçon/homme même lorsque celui-ci a été violent avec elle, une chronique qui a suscité la colère des participantes.
« Moi j’ai vu passer quelque chose sur Facebook justement, c’est Richard Martineau qui a fait un article crissement misogyne sur les filles sont des nounounes […] C’est juste du sexisme pis de la misogynie dans l’article […] Je lui ai écrit […] il y a plein de filles qui ont répondu qui se sont fait bloquer […] »
Pixie, 21 ans
La couverture médiatique des fugues en centre jeunesse en février et en mars 2016 a également suscité nombre de réactions chez les participantes. Les jeunes femmes ayant vécu un ou plusieurs séjours en institutions et ayant eu un suivi en protection ont partagé leurs expériences avec le reste du groupe, qui a été solidaire, et ont choisi de réaliser un projet d’action sociale en ce sens, plutôt que de continuer de travailler sur la violence dans les relations intimes. Ce projet était particulièrement porteur de sens pour les quatre participantes ayant vécu un placement institutionnel. Trois d’entre elles travaillent, encore à ce jour, au sein de PARVIS pour planifier les suites du projet. La quatrième participante toujours mobilisée explique son intérêt à poursuivre par sa passion pour la photographie en tant qu’outil de transformation sociale. Pour elle, le moyen utilisé pour dénoncer un enjeu social était plus porteur que le choix de l’enjeu en soi. Deux des participantes ont expliqué ne pas avoir été placées en institution durant leur adolescence puisqu’il ne s’agissait pas d’une pratique courante dans leur région d’origine, en raison de l’éloignement géographique avec leur famille. Néanmoins, la menace d’un tel placement a pesé sur ces participantes durant leur adolescence, et elles ont été touchées de près ou de loin par les fugues en centre jeunesse. Une de ces participantes raconte :
« L’année que j’étais là [à Montréal] les policiers sont débarqués chez nous pour chercher des jeunes en fugue dans mes tiroirs […] ils cognent chez nous, full policiers, ils me disent de m’asseoir, je leur dis que je suis chez nous […] ils me disent qu’ils cherchent des jeunes en fugue pis moi j’habite dans un 1½ […] pis ils ont fouillé dans mes tiroirs! […] Je sais pas trop comment j’aurais pu les découper en petits morceaux (rires) […] ils étaient au moins neuf. »
Adele, 25 ans
Toutes les participantes s’entendent d’ailleurs pour affirmer qu’elles observent les conséquences du placement en centres jeunesse chez leurs compagnes de rue et qu’elles associent souvent l’itinérance à celui-ci.
« Toutes les filles que j’ai rencontrées, je les revois dans la rue ou ben à la [ressource en itinérance]. »
Aline, 24 ans
Les deux projets réalisés avec cette population montrent bien comment les jeunes sont sujets à des rapports de pouvoir asymétriques et, dans ce cas-ci, comment ceux-ci ont pu contribuer à la façon dont les participantes ont été construites comme un groupe marginalisé.
Les réunions suivantes se sont rapprochées, ayant lieu deux fois par semaine, afin de permettre de s’avancer le plus possible avant le départ d’une des participantes dans l’Ouest canadien. Elles ont été axées sur la planification et la réalisation de l’action sociale choisie par les participantes, soit de sensibiliser les actrices et acteurs concernés aux conséquences d’un placement en centre jeunesse et au manque de soutien au moment du passage à l’âge adulte. Le groupe avait initialement choisi de réaliser une vidéo, mais le départ imminent de certaines collègues pour l’été a conduit à la réalisation de photographies pour des cartes postales. Une fois les photos réalisées, le groupe a pris une pause qui s’est étirée jusqu’en septembre 2016. Les rencontres ont repris à raison d’une par mois au retour à l’automne 2016. Le groupe a produit les cartes postales, rédigé le texte d’accompagnement, choisi les actrices et acteurs à cibler, et utilisé les cartes postales pour amorcer un dialogue avec les organismes locaux concernés par l’itinérance et l’aide auprès des jeunes. C’est à ce moment que le groupe a senti le besoin de se trouver un nom porteur de signification. À l’extérieur des rencontres de groupe, seules ou en équipe de deux, les participantes ont tenté de trouver des anagrammes significatives pour le déroulement du projet. C’est collectivement, lors d’une rencontre en octobre, que les participantes ont fait émerger PARVIS, le projet d’actions et de recherches contre les violences structurelles.
Retour sur PARVIS
Si, d’un point de vue théorique, les critères de scientificité d’une recherche-action participative apparaissent fort cohérents pour une praxis intersectionnelle, ce n’est qu’une fois mis en action que ceux-ci prennent tout leur sens. La validité de processus fait référence à la pertinence de la démarche pour les participantes du projet (Reason et Bradbury, 2001). Dans ce cas-ci, l’indignation de certaines participantes face au traitement médiatique des fugues en centre jeunesse de même que la réponse du gouvernement Couillard, réaffirmant la nécessité de resserrer les mesures de sécurité, ont mené l’ensemble du groupe à dévier de sa trajectoire initiale. Il a ainsi été possible de libérer la parole sur des expériences qui ont suscité énormément de colère chez les participantes.
« [En criant] [Sacre] Elles ne sont pas assez enfermées de même? Elles sont rendues toutes «fuckées» après d’être enfermées de même [sacre] C’est donc ben frustrant [sacre]. »
Aline, 24 ans
Cette colère, qui a d’ailleurs été réprimée par les intervenantes et intervenants en centre jeunesse, a conduit trois des participantes à suivre un programme pour jeunes femmes ayant des comportements violents.
Le groupe voyait la nécessité de reconstituer a posteriori, à travers une série d’images, certains moments clés de leur cheminement en centre jeunesse, moments qui, selon elles, les ont conduites vers la vie de rue et les ont exposées à différentes violences. Si le projet n’est pas susceptible d’amener de changement concret au niveau de leurs conditions de vie immédiates, comme le voudrait le principe de validité catalytique, en tentant de donner un sens à leur expérience, les participantes souhaitaient interpeller les décideures et décideurs, ainsi que les alliées et alliés, afin que les jeunes femmes qui sont présentement dans les centres jeunesse ne subissent pas les mêmes conséquences qu’elles-mêmes ont subies. Revisiter leur expérience leur a entre autres permis de repenser au sentiment d’enfermement suscité par cette institution et de revoir comment celui-ci les a conduites à vouloir s’évader, que ce soit physiquement, lors d’une fugue, ou psychologiquement, par la consommation de substances. Les participantes ont d’ailleurs voulu sensibiliser les intervenantes et intervenants, en voulant recréer leur initiation aux drogues, alors qu’elles étaient à l’abri des caméras ou du regard des intervenantes et intervenants dans les centres. Tant le projet précédent que PARVIS ont permis de montrer que contester l’autorité ou faire un pied de nez aux règles établies sont des stratégies de résistance grandement utilisées afin de surmonter le contrôle vécu dans les centres. Pour quelques participantes, l’exacerbation de leur problématique de consommation est directement perçue comme le produit du fonctionnement des centres jeunesse.
« Moi j’ai appris toutes les dopes là-bas […] J’ai appris toutes les dopes là-bas. Avant je faisais juste du pot […] Le gros du problème, c’est qu’ils prennent le monde qui ont juste des petites affaires […] pis ils les mélangent avec le monde qui se défoncent la face, qui font des [sacre] conneries, pis toute fait que [sacre] ça déteint. »
Aline, 24 ans
« Moi j’y étais allée six mois sur une base volontaire parce que je me voyais poignarder le chum à ma mère pendant qu’il dormait [...] je les ai appelés pour qu’ils viennent me chercher, cet [sacre] là m’avait assez fait de mal […] Je suis allée là, j’ai appris plein de choses […] On a rentré de la dope en masse. »
Nadia, 22 ans
Cette image[4] est d’ailleurs présentée sur la carte postale accompagnée du texte « Vous pensez nous aider mais parfois, ça fait pire… ». Pour les participantes, cette expérience est porteuse de signification afin de montrer les dangers du manque de soutien et d’une intervention strictement axée sur le contrôle.
« J’avais fait une tentative de suicide, j’allais juste pas ben […] fallait que je cogne pour aller pisser, pour sortir de ma chambre; j’étais au sécuritaire [tout le monde parle par-dessus] j’étais avec plein de monde qui «rushait» [sacre] sur la dope. »
Aline, 23 ans
La démarche apparaît également pertinente pour les participantes dans la façon dont elles réfléchissent aux suites du projet. Des discussions sont en cours en vue de la poursuite du projet sous la forme du développement d’un service de pairs aidants, axé sur la prévention de l’itinérance et de la violence et la défense des droits. Les participantes toujours mobilisées et la chercheure surveillent les opportunités de financement pour développer ce service conjointement avec une ressource déjà active dans la région de Québec.
Un des objectifs des participantes consistait également à montrer l’absence de soutien offert aux jeunes lors du passage à l’âge adulte. Le manque de préparation à la sortie des centres jeunesse est identifié comme un élément clé dans la trajectoire de rue des participantes.
« J’en vois aucun qui va vraiment bien à leur sortie des centres jeunesse. Faut que t’apprennes à survivre […] à te trouver une job, un loyer, mais ils t’apprennent pas à […] »
Aline, 24 ans
La composition de la photo[5] présentée ci-après montre l’invisibilisation de la jeune femme au profit de son nouveau statut d’adulte. Si le passage à l’âge adulte est perçu comme un moment où la Loi sur la protection de la jeunesse ne peut plus exercer son pouvoir sur les jeunes, il n’en demeure pas moins que les besoins de soutien sont présents. La tension entre le besoin d’aide et de soutien des participantes et les pratiques de contrôle a d’ailleurs souvent été présente dans les discussions du groupe. L’importance du besoin de soutien a notamment conduit une participante à élargir la portée de PARVIS en s’engageant elle-même, sur une base individuelle et informelle, à accompagner d’autres jeunes dans leurs démarches liées à la protection de la jeunesse et à les aider à défendre leurs droits.
La validité démocratique et la validité dialogique impliquent la participation de tous les acteurs et actrices concernés par la problématique d’intérêt. Dans ce cas-ci, le projet choisi par le groupe visait à sensibiliser les principaux acteurs et actrices concernés et à ouvrir une possibilité de dialogue avec eux. Aussi, le groupe a réussi à réunir des alliées et alliés locaux dans la réalisation de leurs actions. Par exemple, deux intervenants du SQUAT Basse-Ville ont offert du soutien logistique aux participantes pour la réalisation du projet et des photographies. Le projet a également été présenté aux travailleurs de rue de l’organisme RAP-Jeunesse, qui ont réaffirmé la pertinence de la démarche des participantes, de même qu’à des intervenantes et intervenants de la Maison Dauphine. Une rencontre avait d’ailleurs été prévue avec les membres du conseil d’administration de cet organisme pour discuter davantage du projet et des suites à donner. Les cartes postales ont été envoyées aux différentes instances du Centre jeunesse de Québec, aux députés des différents paliers de gouvernement et aux journaux et aux radios communautaires locales. Un article doit d’ailleurs paraître dans le journal La Quête. Les participantes ont également eu recours au matériel généré dans le cadre de PARVIS lorsqu’elles ont été invitées à faire des témoignages à l’occasion d’événements divers. Cela a été le cas, entre autres, lors d’une rencontre du Regroupement pour l’aide aux itinérants et aux itinérantes de Québec (RAIIQ) et d’une rencontre avec les élues et élus municipaux. Le projet trouvera également écho au sein de la communauté scientifique par l’entremise d’une prise de parole des participantes lors du congrès de l’ACFAS. Bien qu’il soit encore trop tôt pour évaluer les retombées du projet et qu’une telle démarche ne fasse pas partie des ambitions du groupe, celui-ci est néanmoins engagé dans une prise de parole et fait les efforts pour joindre les décideures et décideurs principaux. Le groupe s’est d’ailleurs doté d’une adresse courriel afin de faciliter les échanges avec les actrices et acteurs ciblés.
Enfin, la validité de processus implique que le projet doit soutenir les participantes dans le développement d’une capacité réflexive. Ce projet était, pour plusieurs, le premier espace de non-mixité pour repenser leur expérience de la rue et des violences qui ont été vécues en amont et durant leur trajectoire d’itinérance. Les participantes en sont venues à réfléchir sur la spécificité de leur expérience en tant que femme, dans un contexte où leur situation d’itinérance, leur parcours et leur genre les ont exposées à vivre des agressions à caractère sexuel ou à résider dans des endroits où elles craignent pour leur sécurité.
« Quand tu sors de [cette] place de «fuckées» là, tu te ramasses à des places que tu [ne] veux pas que le monde te cherche […] pis [sacre] tu te ramasses à des places à problème […] Toutes les filles que je connais se ramassaient dans des places de même en fugue […] Il en a en [sacre] des crottés qui veulent héberger des jeunes fugueuses. »
Aline, 24 ans
Cette réflexion les a d’ailleurs conduites à réaliser la photographie suivante[6], où deux jeunes femmes dorment ensemble et ont peur dans un endroit qui apparaît peu sécuritaire.
Le concept initial de cette photographie impliquait un jeune homme plus âgé, installé dans le fauteuil au fond de la pièce. Cependant, le résultat final devenait ainsi trop explicite; le groupe a craint que l’acteur puisse s’exposer à des représailles en étant identifié comme un agresseur potentiel. Le projet a également été un lieu où les participantes ont pu se pencher, de façon plus réflexive, sur ce qui les a conduites à être étiquetées à travers leur passage dans les centres jeunesse. Une participante a d’ailleurs dit s’être fait accoler un diagnostic de trouble de la personnalité limite, alors qu’elle n’avait que 15 ans. D’autres ont dit s’être senties constamment jugées en raison de leur consommation de drogue, ou avoir intériorisé l’idée que « je [ne] vaux rien ». La réflexion collective a amené à voir comment ces étiquettes deviennent lourdes et cristallisées à travers le temps. Elles peuvent aussi venir, sous la forme d’aller et retour, expliquer d’autres expériences de violence vécues à travers d’autres institutions ou d’autres domaines comme les services de santé et les services sociaux ou dans le cadre de leurs relations intimes. Elles peuvent également venir diluer la signification ou la crédibilité que l’on accorde au discours des participantes en lien avec les violences vécues. Pour les jeunes femmes de l’étude, ces étiquettes les ont conduites à être construites comme des personnes sans importance ou sans avenir, comme l’illustre cette photographie[7].
Enfin, une participante est devenue mère durant le projet PARVIS, alors qu’une autre a subi une interruption volontaire de grossesse. Ces événements ont permis aux membres du groupe de se projeter dans le futur et de craindre le profilage dont elles pourront faire l’objet lorsqu’elles seront mères. Ces craintes se sont d’ailleurs avérées à travers l’expérience de la participante dont la grossesse et l’expérience postnatale ont fait l’objet d’une vigilante surveillance, d’où la volonté du groupe d’aborder cette réalité à travers une photographie[8].
« Moi j’ai eu une urgence en plus aujourd’hui, euh, non hier […] mon médecin qui capotait là parce que je fume enceinte là […] parce que je la voyais pour la première fois mardi […] pis elle capotait parce que je fume […] elle disait [ton alarmiste] «Regarde ton bébé [ne] va pas grossir assez», pis moi j’étais comme ma courbe de mon utérus est ben belle […] Mais, là, elle disait que j’avais peut-être trop de liquide amniotique à cause que je fumais; ça fait que j’ai eu une écho d’urgence […] »
Manie, 22 ans
La maternité et le rapport avec la protection de la jeunesse sont apparus comme une expérience traversée par des vecteurs de pouvoir liés au genre, à la situation socioéconomique et aussi à l’âge. Les participantes ont pu constater toutes les attentes sociales envers les mères et voir à quel point elles peuvent ne pas correspondre à l’image de la bonne mère en raison de leurs trajectoires dans les services de protection de la jeunesse, parce qu’elles sont en situation de pauvreté et qu’elles sont jeunes.
Bien que, dans le cadre de PARVIS, les participantes aient eu l’occasion de réfléchir sur les violences structurelles ayant soutenu leur expérience de l’itinérance et qu’elles aient été à même de constater que des rapports de pouvoir liés à leur âge, à leur genre ou à leurs conditions socioéconomiques ont pu contribuer à produire ces expériences, le groupe ne s’est pas engagé dans une remise en question des systèmes d’oppression qui les sous-tendent. Néanmoins, le sexisme a souvent été dénoncé par les participantes, notamment lors de la discussion entourant l’article de Richard Martineau. Les discussions, dans lesquelles les difficultés quotidiennes ont été abordées, se sont déroulées plutôt sur un ton plus pragmatique.
Enfin, s’il est central à l’intersectionnalité, le racisme n’a pas été abordé en raison de l’homogénéité du groupe sur le plan ethnoculturel. L’une des limites de cette étude concerne d’ailleurs sa stratégie de recrutement, dans la mesure où les jeunes femmes racisées présentes dans le rue sont à l’extérieur de l’organisme ciblé pour le recrutement ou des réseaux des femmes recrutées. Un projet subséquent au sein de cette population devrait d’ailleurs revoir sa stratégie avec d’être plus inclusif dès le départ et repositionner au coeur de son analyse la formation sociale de race, tel que proposé par Bilge (2015)
Conclusion
Bien que ce projet se soit déployé à petite échelle, auprès d’un groupe de sept jeunes femmes de la rue, il a été possible de le faire rayonner auprès de la communauté locale et même au-delà. Il représente une action ciblée qui s’inscrit dans la vague d’efforts accomplis pour échafauder une praxis de l’intersectionnalité. Pour Cho, Crenshaw et McCall (2013), il importe de repolitiser l’intersectionnalité et de réaffirmer son orientation vers la justice sociale. Pour ce faire, une des solutions mises de l’avant impliquait de s’intéresser à son caractère constitutif et de repositionner le pouvoir au coeur de son analyse (Severs, Celis et Erzeel, 2016). Un pouvoir — il importe de le rappeler — qui opère à travers un processus circulaire du haut vers le bas et du bas vers le haut (Severs, Celis et Erzeel, 2016). Dans le cas du projet PARVIS, la réflexion des participantes a conduit à s’intéresser à la façon dont le pouvoir envers elles s’est opéré à travers l’institution des centres jeunesse. Celui-ci s’est opéré du haut vers le bas en produisant un climat de coercition les ayant menées vers la rue, espace que les participantes ont mobilisé tantôt par stratégie, tantôt par dépit. Cependant, la recherche-action participative offrant un espace de réflexivité par sa validité de processus (Reason et Bradbury, 2001), elles ont été amenées à constater comment cette expérience a contribué à cristalliser certaines étiquettes, comme il a été montré précédemment dans le projet Dauphine (Flynn, 2015), contribuant à les construire comme des jeunes femmes en situation de pauvreté, irresponsables voire dangereuses, ce qui a pu façonner à certains moments leur expérience dans d’autres domaines comme dans le réseau de la santé et des services sociaux ou dans leur intimité.
Aussi, une des conditions facilitant une praxis de l’intersectionnalité cible directement la question des catégorisations qui sont au coeur de son analyse (Severs, Celis et Erzeel, 2016) en rappelant l’importance d’aborder celles qui émergent des récits des femmes (Naples, 2013). L’expérience des participantes, qui formaient un groupe relativement homogène sur le plan de l’origine ethnique en ne s’identifiant à aucun groupe racisé, se situe à l’extérieur de la matrice sexe/race/classe souvent associée à l’intersectionnalité par les auteures et auteurs (Dorlin, 2005; Collins, 2000; Bilge, 2010b). Le choix de leur action, ciblant principalement l’institution des centres jeunesse, ramène à la façon dont le pouvoir exercé sur elles en tant que jeunes a été structurant dans leur vie. Rappelons d’ailleurs que les rapports de pouvoir liés à l’âge, particulièrement ceux ciblant les jeunes, peuvent sembler sous-théorisés dans les écrits intersectionnels et féministes de façon générale (Taft, 2010).
Enfin, une praxis de l’intersectionnalité réfère directement au mode de production des connaissances qui doit en lui-même être émancipatoire, porteur de transformation sociale et contestataire (Bilge, 2015; Bilge, 2014; Cho, Crenshaw et McCall, 2013). L’action sociale réfléchie et agie dans le cadre de ce projet, en plus de l’engagement soutenu des participantes, témoigne que celles-ci se sont situées dans une position de militantes. Appuyées par le matériel visuel qu’elles ont créé, elles ont interpellé les décideures et décideurs, et mobilisé les actrices et acteurs de leur communauté concernés par l’aide auprès des jeunes et l’itinérance, pour remettre en question certaines pratiques en centres jeunesse. Leur action s’est également déroulée dans le souci d’offrir, dans l’avenir, une nouvelle réponse sociale par et pour les jeunes femmes afin de prévenir la violence et l’itinérance à la sortie des centres jeunesse. S’il est encore trop tôt pour estimer les retombées de PARVIS, ce projet aura néanmoins permis de soutenir une prise de parole contestataire des jeunes femmes de la rue, un groupe visible par sa marginalité, mais dont le militantisme et la réflexivité sont peu reconnus.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce projet s’inscrit dans un vaste projet pancanadien intitulé Voices against Violences, dirigé par Helen Berman de l’Université Western (Ontario) et financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) (2012-2016).
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[2]
Les auteures et auteurs tiennent à souligner la participation dynamique des sept participantes au projet PARVIS.
-
[3]
Pseudonyme, les noms ayant été remplacés pour protéger l’identité des participantes.
-
[4]
Photo : Bob Photographie
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[5]
Photo : Bob Photographie
-
[6]
Photo : Bob Photographie
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[7]
Photo : Bob Photographie
-
[8]
Photo : Bob Photographie
Bibliographie
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