Des pratiques à notre image

Profilage social et judiciarisation des personnes itinérantes à Montréal — Opération Droits Devant et autres consolations![Notice]

  • Bernard St-Jacques

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  • Bernard St-Jacques
    Organisateur communautaire, Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)

À partir de la fin des années 1990, les organismes communautaires en itinérance à Montréal ont constaté une recrudescence d’une certaine forme de criminalisation de la pauvreté basée sur la remise plus systématique de contraventions par les policiers aux sans-abri de la métropole. Dès lors, les intervenantes et intervenants du milieu se sont mis à accompagner des personnes à la cour municipale comme ils le faisaient au bureau de l’aide sociale et tentaient, par le fait même, de colliger les contraventions reçues, question d’en analyser les infractions reprochées. Même si l’on n’utilisait pas encore le vocable de profilage social, un caractère discriminatoire dans les motifs invoqués faisait déjà partie des principaux constats de l’époque. La problématique de la judiciarisation des personnes en situation et à risque d’itinérance est en partie attribuable à l’effet de mode de la revitalisation des centres des grandes villes nord-américaines. D’abord, une pression est exercée afin de rendre plus attirants ces lieux pour le tourisme, l’industrie culturelle et l’offre de condominiums pour les personnes en mesure de se les payer, pression qui se trouve transposée sur la population marginalisée qui y est présente depuis toujours. S’ajoute à cela l’évolution des pratiques sécuritaires, un enjeu qui viendra prendre une place impressionnante avec la mise en place de la police de quartier à Montréal et le ciblage de populations jugées comme étant à risque de commettre de petits délits. Enfin, la fermeture de l’espace public, perceptible au début des années 2000, est un phénomène qui passe par le changement de statut de plusieurs places et squares transformés en parcs, permettant ainsi le recours à une nouvelle réglementation municipale destinée à ces lieux spécifiques (fermeture des parcs la nuit, utilisation du mobilier urbain, etc.) et une augmentation de la présence policière. Les tensions déjà présentes dans la rue atteindront leur paroxysme en 2004, année où il s’est donné le plus de contraventions dans les espaces publics à Montréal en même temps que s’amorçait la riposte des organismes du milieu. Il se dégageait un sentiment d’injustice chez les personnes fréquentant la rue, tout comme un sentiment d’impuissance chez les intervenantes et intervenants leur venant en aide. Ces sentiments accompagnaient le quotidien de plusieurs personnes se déplaçant d’un quartier à l’autre pour fuir la répression ou séjournant en prison pour le non-paiement de leurs amendes. Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts, non sans batailles ni sensibilisation. Le présent article vise à dépeindre l’évolution des pratiques rattachées au phénomène de profilage social à Montréal et le déploiement d’une pratique de défense des droits pour y faire face, l’Opération Droits Devant. Pour ce faire, nous allons d’abord étayer certains éléments venant soutenir l’existence du phénomène de même que sa reconnaissance et présenter des réponses apportées par les autorités en place. Par la suite, nous nous concentrerons sur les origines et les actions découlant de l’Opération Droits Devant. Enfin, nous dresserons un état de la situation actuelle en intégrant les enjeux liés aux différents projets de réaménagement urbain et les défis de la cohabitation sociale. « Ce n’est pas faute d’avoir essayé ». Combien de fois avons-nous employé cette expression à la suite de nombreuses tentatives pour démontrer le caractère discriminatoire dans la remise de contraventions aux personnes en situation d’itinérance? Certes, on touchait une corde sensible à la Ville de Montréal et au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en affirmant qu’ils s’adonnaient à un traitement répréhensible et « anti-pauvres ». Encore aujourd’hui, le phénomène est quelque peu reconnu, mais attribué à une très faible proportion des effectifs policiers, et cette reconnaissance s’est avérée moins perceptible dans …

Parties annexes