Cela m’a frappé comme une tonne de briques. Collé sur les portes du tout nouveau pavillon des Sciences sociales de l’Université d’Ottawa, un autocollant indiquant « Heures d’affaires : 6 h 30 – 23 h ». Existe-t-il un symbole plus décourageant de la marchandisation de l’éducation que ce petit autocollant vantant les « heures d’affaires » du pavillon même où l’université est en train de former une prochaine génération de travailleuses et de travailleurs sociaux? Les organisations communautaires ne sont pas imperméables à la tendance néolibérale de tout marchandiser, bien au contraire. Issus du mouvement de transformation sociale des années 70, les premiers groupes populaires furent fréquentés par des membres (des citoyennes et des citoyens engagés) qui se sont donné des véhicules collectifs de luttes. Depuis les vingt dernières années, les membres ont cédé leur place aux usagers et usagères de services qui sont tranquillement devenus des clientes ou clients ou des consommatrices ou consommateurs de services (St-Amand, 2000). Suivant la trajectoire imposée par le néolibéralisme, de plus en plus d’organismes communautaires adoptent des pratiques de clientélisme, axées sur la fourniture de services à des consommatrices ou consommateurs (Greason, 2010). Remettant en question cette trajectoire, le présent article propose de revenir à une approche mettant de l’avant une préoccupation des droits humains. La citoyenne et le citoyen sont au centre de cette approche. Une précision s’impose toutefois. Il existe au Québec un type d’intervention communautaire, dit « de la défense collective des droits » et reconnu par le gouvernement. Parmi les groupes ainsi reconnus se trouvent ceux qui interviennent pour défendre des droits spécifiques, entre autres, ceux des locataires, des personnes en chômage, des personnes assistées sociales ou des consommatrices et consommateurs. Cet article n’inclut pas de tels groupes. Il explore plutôt comment le milieu communautaire dans son ensemble peut se doter des pratiques qui remettent en question la tendance lourde du clientélisme et de la marchandisation en instaurant celles axées sur la liberté, l’égalité et la solidarité, soit les trois valeurs nécessaires au respect des droits humains. Adoptée par les Nations Unies en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme confirme que les droits humains doivent être au coeur de l’action gouvernementale. La Déclaration est complétée par l’adoption de deux pactes des Nations Unies : le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1966) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966). Tous les grands instruments de promotion des droits humains ont ceci en commun : ils émergent d’un environnement politique dominé par le keynésianisme. Ainsi comprises, les mesures de protection sociale, telles que les régimes d’aide sociale, de santé et d’éducation publiques, d’aide juridique, de normes de travail, de logement social ou de protection d’accidentés de travail, répondent aux obligations de l’État en matière des droits humains. Bien sûr, cette réponse étatique n’est pas tombée du ciel. Au Québec et au Canada, ce sont les mouvements sociaux, dont le communautaire, qui ont forcé l’État à reconnaître ses obligations dans le domaine du social. Ce sont eux qui arrachent morceau par morceau les éléments qui forment la « sécurité sociale » (services publics et programmes sociaux). L’universalité, la gratuité et le caractère public des services en éducation et en santé découlent des revendications provenant d’un mouvement social militant et mobilisé, et particulièrement de sa composante syndicale. Grâce aux années de pression et de mobilisation, qui ont débuté dans les années 1950, des gains tangibles en matière de l’avancement des droits économiques et sociaux sont enregistrés pendant les années 1960 et 1970. Dans les décennies 1970-1980, une brèche se produit dans le …
Parties annexes
Bibliographie
- GREASON, Vincent (2010). Le communautaire québécois : Où sont les membres?, réf. du 22 septembre 2015, http://trovepo.org/documents/O%C3%B9sontlesmembres.pdf
- LAMARCHE, Lucie (1996). « L’État désétatisé et ses fonctions sociales », dans Sylvie Paquerot (dire.), L’État aux orties? Mondialisation de l’économie et rôle de l’État, Montréal, Les éditions Écosociété, p. 124-133.
- LEBEL, Georges A. (2010). « La gestion du “communautaire” et la gouvernance néolibérale », Nouveaux cahiers du socialisme, No 3, Hiver 2010, p. 118-131.
- LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS (2010). Pour tous les groupes communautaires : L’exercice des droits, un projet de société? — Un guide/questionnaire portant sur les droits humains et les pratiques du milieu communautaire, réf. du 22 septembre 2015, http://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/guide-final.pdf
- LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS (2013). Tu ne vas pas m’appauvrir pour t’enrichir — Rapport sur les droits de la personne au Québec et au Canada, réf. du 22 septembre 2015, http://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/rappot-droits-humains-web.pdf
- ST-AMAND, Nérée (2000). « Des noms qui en disent long... », Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, Vol. 6, No 1, p. 36-63.
- TROVEPO (2014). La Petite histoire de la Table ronde des OVEP de l’Outaouais (TROVEPO) —1973-2013 — 40 de luttes, réf. du 22 septembre 2015, http://trovepo.org/documents/LaPetitehistoiredelaTROVEPO-versionimprim%C3%A9e.pdf