Nous connaissons en Occident une période propice au débat sur le prendre soin. Les populations vieillissent, les technologies allongent l’espérance de vie des personnes atteintes de maladies chroniques, la mondialisation contribue à la mobilisation de main-d’oeuvre d’aidants professionnels et les systèmes de santé et de services sociaux doivent apprendre à répondre à des besoins de plus en plus nombreux avec de moins en moins de ressources. Dans ce contexte, Prendre soin : savoirs, pratiques, nouvelles perspectives semble arriver à point. Composé des interventions prononcées lors d’un colloque franco-québécois en 2010 à Cerisy (France), l’ouvrage propose des textes portant sur divers aspects du prendre soin, notamment du point de vue philosophique, pratique, politique, écologique et éthique. Étant donné le manque d’ouvrages en français qui traitent de ce sujet d’une manière aussi large et multidimensionnelle, cet ouvrage est le bienvenu. Cependant, son apport au débat reste inégal. Si la plupart de ses auteures ou auteurs oeuvrent dans le domaine infirmier, il n’empêche que les sujets couverts dépassent de loin le simple aspect de pratiques de soin et tentent de rejoindre des intervenants d’autres disciplines ainsi qu’un public généraliste. Le concept de « soin » (ou « care ») employé tout au long de l’ouvrage est très vaste et chacune de ses cinq parties entend en présenter un angle différent. La première partie, peut-être la plus intéressante de l’ensemble, s’intitule Philosophie et conception du soin. Frédéric Worms y aborde la philosophie et l’éthique de soin et donne le ton au livre en le décrivant à la fois une problématique locale et globale, aussi bien que personnelle et politique. Dans un contexte où les problématiques de soin sont souvent compartementalisées, Worms apporte une perspective rafraîchissante en nous rappelant que les tensions associées aux soins (bienveillance/maltraitance, éthique/relations de pouvoir, soin/guérison) peuvent coexister. De son côté, Claire Morin argumente que le soin n’est pas seulement lié au maintien de la vie de quelqu’un, mais aussi au maintien de la subjectivité de l’individu. Elle souligne que la subjectivité d’être soigné peut constituer des dynamiques difficiles, telles l’humiliation et la dépendance. La deuxième partie de l’ouvrage a pour titre Prendre soin : des questions de culture, de genre et de politique. Dans un joli texte d’ouverture, Nicolas Vonarx prône un meilleur arrimage entre les discours professionnels et les valeurs et expériences vécues des personnes malades. Malheureusement, le reste de cette deuxième partie souffre du manque de cohérence, juxtaposant des textes aussi variés que les cultures de soin au Brésil, le concept de prendre soin de soi-même, les politiques et les choix personnels qui influencent la prise de décision dans le domaine des soins, ou le rôle des femmes et des hommes dans les pratiques de soin. De son côté, Catherine Espinasse souligne l’invisibilité du travail des femmes, dont le rôle a été historiquement prédominant dans l’offre de soins professionnels et familiaux. Trop factuel, ce texte ne propose malheureusement pas une analyse suffisante. Il en va de même pour celui de Bernard Roy et Vincent Chouinard qui porte sur le soin et les hommes. Les auteurs s’arrêtent à expliquer que le travail de soin ne devrait pas être uniquement celui des femmes. Ils manquent ainsi l’occasion d’aller plus loin dans l’analyse historique, politique, socio-économique ou féministe. Le genre étant un aspect fondamental des études du soin, l’absence de profondeur dans son analyse constitue une grande lacune de l’ouvrage. Davantage de continuité apparaît dans la troisième partie de l’ouvrage, Le prendre soin institutionnalisé. Les textes de Françoise Acker, de Michèle St-Pierre et de Karine Aubin discutent tous du glissement dans le système actuel vers un discours …