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Introduction

Une formation pratique obligatoire de deux semaines est prévue en deuxième année du programme de doctorat en médecine au Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick (CFMNB)[1]. L’activité principale de ce stage, soit des rencontres avec de vrais patients, permet l’application de notions reliées à l’entrevue médicale et à l’examen physique. Suivant l’approche par problème (APP), les étudiantes et les étudiants approfondissent et consolident à partir de l’information recueillie les notions physiopathologiques de différentes conditions étudiées jusque-là. Nommé « APP en communauté », ce stage vise aussi à renforcer leur orientation communautaire. Mais jusqu’à quel point ce stage leur permet-il d’atteindre cet objectif, la majorité de leur temps étant passé en milieu clinique? Le niveau d’immersion dans la communauté, et par conséquent la réflexion sur son environnement physique, social ou bâti, reste pour la plupart superficiel. Par ailleurs, au moment du choix d’un milieu de stage, les étudiantes et étudiants favorisent largement Moncton, lieu de leur formation médicale. N’est-ce pas pour eux une occasion ratée d’être exposés à d’autres milieux, et par conséquent à d’autres réalités ou à différents groupes de personnes vulnérables? Bien que toutes les communautés soient situées en milieu francophone minoritaire, chacune est distincte, tant du point de vue de la pratique médicale ou de l’accès aux soins qu’à celui d’aspects culturels, socio-économiques ou géographiques.

Parallèlement à notre expérience sur le terrain, le système d’éducation médicale nord-américain a amorcé un virage en mettant davantage l’accent sur la diversité des contextes d’apprentissage (Association des facultés de médecine du Canada, 2010). L’intégration de l’apprentissage par service communautaire dans les normes d’agrément reconnait l’importance d’expériences communautaires (Liaison Committee on Medical Education, 2012). Cela est d’autant plus important que les étudiantes et les étudiants en médecine viennent surtout de familles de niveau socio-économique élevé (Dhalla, et collab., 2002). Un des rôles du médecin une fois établi en pratique est celui de « promoteur de la santé » (Collège des médecins de famille du Canada, 2009; Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, 2005). Parmi les compétences reliées à ce rôle, on compte celle de « réagir aux besoins des collectivités desservies ». Ces réflexions nous ont conduites à former un groupe de travail ayant pour mandat d’établir des stratégies pour immerger nos étudiantes et de nos étudiants dans différentes communautés acadiennes et francophones au Nouveau-Brunswick. En diversifiant leurs milieux de stage, ils devraient être mieux conscientisés aux besoins en santé et aux services disponibles, particulièrement en ruralité. En sortant du milieu clinique, ils devraient davantage comprendre les divers déterminants de la santé. De plus, il a été démontré que les chances pour une communauté de recruter un médecin sont meilleures lorsque celui-ci a effectué une partie de ses stages chez elle (Landry, et collab., 2011).

Les nouvelles stratégies intégrées au stage doivent être fidèles aux principes directeurs du programme de médecine : autonomie de l’étudiant dans son apprentissage et flexibilité dans ses choix. Il faut cependant éviter d’ajouter trop de contenu à un curriculum déjà chargé. La faisabilité en termes de déploiement à la grandeur de la province doit aussi être prise en considération. Guidées par ces principes, nous nous sommes arrêtées sur deux changements importants dans l’encadrement de cette activité. Dans un premier temps, nous avons orienté les étudiantes et les étudiants à effectuer leur stage dans des communautés autres que Moncton. Ensuite, nous avons travaillé à l’incorporation graduelle au stage d’une composante « apprentissage par service communautaire », et ce, quel que soit le milieu choisi par l’étudiante ou l’étudiant. Le présent article porte sur cet aspect et se divise en trois parties. D’abord, nous définissons l’apprentissage par service communautaire et recensons brièvement les impacts d’interventions centrées sur cette stratégie. Puis, nous décrivons le stage tel que modifié. Il est important de préciser d’emblée que les rencontres avec des patients demeurent une partie significative du stage. Finalement, nous examinons les principales leçons à tirer de ses trois années d’implantation.

L’apprentissage par service communautaire

L’apprentissage par service communautaire, parfois appelé « apprentissage par l’engagement communautaire » ou « apprentissage expérientiel par l’intervention communautaire », est « un modèle d’apprentissage expérientiel qui allie apprentissage en classe et action bénévole en vue d’atteindre des objectifs communautaires, et insuffle aux étudiants le sens de l’engagement citoyen » (Fondation de la famille McConnell, 2013). La plupart des articles recensés (Buckner, et collab., 2010; Elam, et collab., 2009; Felten, et Clayton, 2011; Hunt, Bonham et Jones, 2011; Long, et collab., 2011; Marcus, et collab., 2011; Meili, Fuller et Lydiate, 2011) décrivent des activités longitudinales intégrées à des programmes existants. L’accent est mis sur la connaissance d’une communauté afin d’en identifier les besoins et de planifier, d’implanter et parfois d’évaluer une intervention. Cette dernière doit à la fois répondre à un besoin de la communauté et satisfaire les intérêts de l’étudiante et de l’étudiant. La préparation de ces derniers à leur expérience communautaire et le bilan qui s’ensuit, et auquel ils participent, constituent deux éléments essentiels à tout apprentissage par service communautaire. Les articles recensés relèvent des impacts positifs de ce modèle d’apprentissage, à savoir, une meilleure compréhension des populations et des agences communautaires et un plus grand respect qui leur est porté de la part des apprenantes et des apprenants, ainsi que le développement chez eux d’aptitude à communiquer, de leadership, de raisonnement et de pensée critique. Felten et Clayton (2011) notent aussi que l’apprentissage par service communautaire expose souvent les étudiantes et les étudiants à des personnes qui leur étaient étrangères au départ, et que cela contribue à développer une plus grande ouverture d’esprit et une meilleure empathie. Il peut aussi être vu comme un mode d’apprentissage informel. Hors des murs d’une institution académique, les étudiantes et les étudiants peuvent toujours être exposés à des milieux qui leur permettent d’explorer des concepts reliés à tout domaine scientifique, notamment à celui de la médecine. Des données suggèrent que ce type d’expérience d’apprentissage non structurée peut éveiller leur intérêt et ainsi les préparer à des apprentissages ultérieurs (Buckner, et collab., 2010; Bell, et collab., 2009). Ces écrits ont guidé notre approche dans les modifications apportées au stage APP en communauté.

La description du stage modifié

Considérant l’intérêt démontré par les médecins de la Péninsule acadienne, cette région a servi de premier site pour cette initiative. Chaque année, en 2011 et en 2012, ces derniers ont accueilli huit étudiantes ou étudiants (d’une cohorte de 24) répartis dans trois communautés de la région, Caraquet, Lamèque et Tracadie-Sheila. En 2013, le projet a été déployé à travers la province et toute la cohorte y participait (voir Figure 1 pour un aperçu des communautés participantes).

Dès leur arrivée, les stagiaires participent à une activité d’accueil et à une autre de départ, celle du bilan. Typiquement, l’accueil consiste en une rencontre avec un membre du personnel et un médecin afin d’être renseignés sur le milieu clinique et la communauté, et surtout pour aborder les questions logistiques. Au départ, ces mêmes personnes recueillent l’évaluation que font les étudiantes et les étudiants de leur stage. Dans le cadre du projet, nous avons voulu bonifier ces deux activités essentielles à l’apprentissage par service communautaire que sont la rencontre préparatoire et le bilan.

Figure 1

Communautés d’accueil pour le stage de 2e année en médecine

Communautés d’accueil pour le stage de 2e année en médecine

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L’objectif de la rencontre préparatoire est d’éveiller la curiosité des stagiaires face à la communauté, les invitant à l’explorer et à découvrir ses particularités comme milieu de vie autant que milieu de pratique. À l’aide d’un guide de discussion (voir Tableau 1), les stagiaires sont amenés à réfléchir à certains aspects reliés à la communauté. Lors du bilan, ils font un retour sur ces mêmes questions, révélant ainsi leurs découvertes et leurs réflexions. Les deux premières années du projet, des personnes ayant une bonne connaissance de la communauté, par exemple, un maire, un conseiller économique et une agente de développement communautaire, ont rencontré les stagiaires et partagé avec eux leur vécu et certaines données sur son contexte géographique, économique, social ou culturel. En 2013, au moment du déploiement dans toutes les communautés, cette initiative a été jugée difficilement réalisable. La préparation des stagiaires s’est donc effectuée au CFMNB. Chacun pouvait partager ses expériences et ses observations sur sa communauté d’accueil et ainsi faire bénéficier les autres de son expérience.

Tableau 1

Guide de discussion — rencontre préparatoire et bilan

Guide de discussion — rencontre préparatoire et bilan

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Lors de la deuxième année du projet, l’action bénévole s’est ajoutée aux activités d’apprentissage, encore uniquement dans la Péninsule acadienne. Les étudiantes et les étudiants doivent participer à deux ou trois demi-journées de bénévolat auprès de populations différentes. À la fin de leur stage, ils soumettent une brève description des activités auxquelles ils ont participé ainsi que leurs observations. Des partenaires clés ont été identifiés, dont des centres de bénévolat et un programme gouvernemental appelé « Programme extramural ». Ce dernier fournit des services de soins de santé à domicile à des personnes de tous âges. Les stagiaires ont la possibilité de rencontrer des patients en dehors du milieu clinique, dans leur environnement, ce qui les amène à confronter des réalités souvent diamétralement opposées aux leurs. Certains ont ainsi visité des familles à faible revenu et des autochtones. Quant au Centre de bénévolat, il coordonne sous un même toit des services à différents groupes (enfants, jeunes, familles, personnes âgées, personnes ayant un handicap) ce qui en fait un partenaire idéal. Toujours dans le respect des principes du programme de médecine et de l’apprentissage par service communautaire en ce qui a trait à l’autonomie et à la flexibilité, les étudiantes et les étudiants ont ainsi le choix de différentes activités selon leurs intérêts. Ils ont aussi l’option de créer leurs propres activités de bénévolat. Par exemple, un étudiant a choisi de servir d’entraineur pour une équipe de soccer.

Les principales leçons à tirer

Les étudiantes et les étudiants ont réagi favorablement aux changements apportés au stage APP en communauté. Lors de leur bilan, ils rapportent des observations pertinentes sur leur communauté d’accueil et établissent des liens avec les interventions médicales. Un bel exemple est celui des étudiants qui ont remarqué le prix élevé des aliments dans les épiceries et la prolifération de restauration rapide dans leur communauté. Sauf pour la marche, d’autres ont remarqué qu’il était souvent difficile d’être physiquement actif dans une communauté rurale. D’autres encore ont souligné les distances à parcourir pour avoir accès à des soins ou à des services. Ce genre d’observations leur donne une meilleure appréciation des défis reliés à la santé qui se présentent aux personnes vivant dans ces communautés.

De notre expérience des trois dernières années, nous tirons quatre leçons : développer le partenariat avec les communautés; mieux délimiter les activités de bénévolat; peaufiner l’animation de la rencontre préparatoire et de la rencontre bilan; et allouer plus de ressources à la planification et à la coordination du stage.

En prévision de l’implantation de la composante « apprentissage par service communautaire », nous avons communiqué avec différents organismes (centres de bénévolat, centres de ressources familiales, programmes extramuraux, écoles, banques alimentaires, etc.) et différents représentants de la communauté (maires, agents de développement, etc.). Tous se sont montrés ouverts à l’idée d’accueillir des étudiants en médecine. Néanmoins, nous reconnaissons que ces organismes ont des ressources déjà étirées au maximum. À nous donc la tâche de faciliter le plus possible l’accueil de nos stagiaires. Cela requiert de notre part une meilleure compréhension du fonctionnement, des activités et des besoins de chaque organisme. À titre d’exemple, un organisme comme un centre de ressources familiales exige de ses bénévoles de s’être soumis à une vérification d’antécédents judiciaires. De plus, nous devons mieux expliquer les attentes à nos partenaires. Il est important qu’ils comprennent que nos stagiaires sont là pour offrir un service et non pour observer ou pour ajouter à leurs tâches. En prévision du stage d’avril 2014, une tournée provinciale visant à établir des liens avec différents partenaires est au programme.

Afin de respecter leur autonomie et leurs intérêts, une liste des occasions de bénévolat dans leur communauté d’accueil est remise aux futurs stagiaires. Comme mentionné plus haut, ces derniers ont aussi l’option de trouver eux-mêmes leurs activités de bénévolat. Mais dans certains cas, leurs choix (par exemple, collectes de fonds, traduction de textes…) n’atteignent pas l’objectif de les voir exposés à des personnes ou à des groupes vulnérables. Nous devons donc délimiter davantage ce qui est pertinent pour eux. En prévision du prochain stage, nous préciserons les objectifs de l’activité et fournirons des exemples d’action bénévole qui, bien que valables, ne permettent pas d’atteindre les objectifs.

La préparation des stagiaires et le bilan en commun de leurs expériences sont des éléments cruciaux pour le succès de l’apprentissage par service communautaire. Cette année, nous réviserons les questions réflexives afin de maximiser la discussion. Deux médecins, un spécialiste en santé publique et un médecin de famille avec une forte orientation communautaire — et qui a participé au projet pilote — seront invités à se joindre à la rencontre entourant le bilan. Ils pourront partager des données et des informations plus concrètes avec les étudiantes et les étudiants et enrichir ainsi ce qu’ils ont à offrir en tant que communauté d’accueil.

Les premières leçons tirées de l’expérience mettent en lumière la nécessité d’investir des ressources additionnelles pour la planification et la coordination de la composante « bénévolat ». Dans le but de mieux cibler les organismes, d’informer les étudiantes et les étudiants et de mobiliser les ressources nécessaires, un comité a été formé, composé d’un représentant étudiant, de deux gestionnaires et des auteures du présent article.

Conclusion

Considérant le rôle important qu’ils auront à jouer comme promoteurs de la santé dans leur communauté une fois établis en pratique, les étudiantes et les étudiants bénéficieraient d’une plus grande exposition à diverses communautés et à plus d’expériences communautaires. L’apprentissage par service communautaire ou bénévolat est un modèle d’apprentissage prometteur pour développer les compétences reliées à ce rôle. Il permet aux étudiantes et aux étudiants de s’immerger dans un milieu afin d’en comprendre les caractéristiques, de définir les déterminants de la santé et de repérer les clientèles vulnérables. Notre expérience des trois dernières années confirme leur réceptivité et celle des communautés à participer à ce type d’activité. Le plus grand défi consiste à coordonner le tout à la grandeur de la province.