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Des bilans rendent compte régulièrement de l’état d’avancement de la lutte contre les inégalités de santé qui existent entre les communautés à travers le Canada. Foisonnant de données et d’observations accumulées depuis plus de dix ans, Minorités de langue officielle du Canada. Égalités devant la santé? de Bouchard et Desmeules, trop court à notre avis, enrichit le débat entourant le système de santé canadien et des contrastes qu’il produit au regard des populations vivant en situation minoritaire au pays. Organisé autour de quatre grands chapitres, il s’adresse à la fois aux chercheurs, aux étudiants, aux décideurs, aux professionnels de la santé et au grand public.
Le premier chapitre jette un coup d’oeil sur les moments forts de la situation historique, politique et démographique des minorités nationales et ethniques et d’autres groupes en situation minoritaire au Canada. Le concept de « groupe en situation minoritaire » permet d’éviter « de placer le groupe en position d’infériorité par rapport aux autres groupes et met en évidence le fait que c’est la situation qui crée problème et non le groupe en tant que tel » (p. 2). À partir d’une perspective populationnelle de santé, Bouchard et Desmeules proposent une lecture sociologique des inégalités en indiquant notamment que ceux qui occupent des positions sociales inférieures se trouvent défavorisés dans ce domaine. Les auteurs montrent comment, sous cet angle-là, les francophones hors Québec constituent la seconde minorité du pays, après les autochtones. Poursuivant cette approche géopolitique, les auteurs montrent que, bien que relativement nombreux — près d’un million hors Québec —, les francophones en situation minoritaire sont dispersés sur un vaste territoire. Ils se regroupent souvent dans de petites localités, surtout nordiques, souvent isolées des grands centres. Le tableau de la page 72 montre la répartition des francophones pour chacune des provinces canadiennes. Après le Québec, c’est en Ontario que les francophones sont les plus nombreux (537 595), suivis du Nouveau-Brunswick (235 130), de l’Alberta (62 785), de la Colombie-Britannique (61 735), du Manitoba (43 120), de la Nouvelle-Écosse (32 225), de la Saskatchewan (14 850) et de l’Ile-du-Prince-Édouard (5 135). Ce sont ces données qui amènent Bouchard et Desmeules à constater qu’à l’échelle nationale, les Canadiens français (4,3 % de la population) s’avèrent triplement minoritaires, soit « dans leurs provinces ou territoires, dans leur pays et sur leur continent » (p. 6). En ce qui concerne l’aménagement linguistique, les auteurs rappellent que malgré la Loi sur les langues officielles de 1969 et la Charte des droits et libertés de 1982, les minorités francophones doivent encore se battre pour obtenir certains droits pourtant reconnus dans la constitution canadienne. L’exemple le plus frappant est la très célèbre « Affaire Montfort » en référence à l’unique hôpital qui dessert majoritairement les francophones de l’Ontario et que le gouvernement de Mike Harris voulait fermer. Aujourd’hui, grâce à la détermination d’une population mobilisée, cet hôpital joue un rôle prédominant dans la lutte pour la francisation des établissements de santé partout en Ontario.
Le deuxième chapitre présente le cadre théorique des inégalités de santé à travers les quatre principales catégories des déterminants de la santé que sont la biologie humaine, les conditions sociales, le style de vie et l’organisation des services médicaux. Les auteurs définissent au passage quelques déterminants sociaux importants de la santé, entre autres, la position sociale, le gradient de santé et les inégalités en santé. Cela permet de tenir compte de la dimension de la « santé perçue » qui correspond à un indicateur de description qu’utilisent la plupart des enquêtes portant sur le sujet. Le débat sur les rapports entre langue, culture et santé ainsi que la définition de la variable linguistique — langue maternelle versus langue officielle — viennent conclure ce chapitre.
Le troisième chapitre porte sur la santé des Canadiens en situation minoritaire et insiste sur le différentiel de santé existant entre les minorités francophones hors Québec et la minorité anglophone du Québec. Même si le pays a un système de santé universel, il existe selon Bouchard et Desmeules des disparités en termes d’espérance de vie à travers le Canada. Une proportion non négligeable de la population francophone en situation minoritaire est plus âgée, moins éduquée et se perçoit en mauvaise santé. Cette population plus pauvre économiquement déclare souffrir d’au moins deux maladies chroniques, éprouve des difficultés à accomplir une tâche, fume, boit et possède un indice de masse corporelle supérieur à 30 kg/m2. Le profil de santé de la minorité francophone est cependant très diversifié d’une région à l’autre du pays. Ainsi, si le pourcentage moyen de perception de la mauvaise santé s’évalue à 17 % dans l’ensemble du Canada, au Nouveau-Brunswick il s’élève à 20 %, et à 19 % en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan (p. 42).
Bouchard et Desmeules consacrent le quatrième chapitre à des pistes d’amélioration des systèmes d’information sur la santé et de la mesure d’équité en matière santé au Canada. Plus précisément, ils demandent aux planificateurs et aux décideurs de se préoccuper du différentiel de santé qui défavorise les francophones en situation minoritaire. Les auteurs estiment que les inégalités de santé constituent le principal problème des politiques de santé au pays. Elles empêchent la mise en place effective de politiques et de services pouvant réduire ces mêmes iniquités. Dans ce contexte, les auteurs font la promotion de l’« offre active » de services de santé, selon laquelle les citoyens francophones pourraient recevoir des services de santé dans leur langue, peu importe l’endroit où ils se trouvent au Canada. Cette offre active de services permet de créer un environnement qui génère la demande et anticipe les besoins spécifiques des francophones et de leurs communautés, rejoignant l’idée selon laquelle des services de santé d’égale qualité soient offerts à tous les Canadiens et Canadiennes, peu importe leur langue.
Minorités de langue officielle du Canada. Égalités devant la santé? constitue un complément à la littérature existante sur les inégalités de santé au pays. Plus globalement, l’ouvrage peut être vu comme une suite au rapport de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de l’OMS, dont le mandat était d’identifier les interventions et politiques nécessaires pour réduire les inégalités sociales en santé. Ses différents chapitres tracent un portrait intéressant des différents débats recoupant les inégalités en santé des minorités francophones au Canada. Toutefois, il y manque à notre avis une analyse comparative approfondie portant sur les minorités francophones et anglophones et une problématisation autour des multiples tableaux qui accompagnent l’ouvrage. Ce sont là des données qui méritent une analyse comparative exhaustive de la situation des groupes minoritaires au pays. En effet, sur l’ensemble des travaux développés actuellement au Canada, la comparaison entre les différentes parties du pays manque encore à une analyse de la relation à la fois des minorités linguistiques autant qu’elle pourrait introduire une analyse des relations minorité/majorité culturelle effleurée par cet ouvrage.