Dans La société malade de la gestion, Vincent de Gaulejac (2005) présente cette dernière comme une idéologie favorisant le pouvoir économique au détriment du bien commun. Depuis les vingt dernières années, le milieu communautaire est fortement invité à intégrer dans ses pratiques la culture de performance et de compétition propre au pouvoir économique. Souvent, ces demandes s’inscrivent dans une logique administrative qui ne tient que peu compte de la culture particulière au milieu communautaire, culture basée, entre autres, sur l’action citoyenne, la justice sociale, la démocratie et le respect des droits individuels et collectifs. Ces valeurs s’enracinent dans les différentes sphères de l’organisme : dans sa mission, sa vie associative, son ancrage dans la communauté, la représentativité de ses membres au sein des instances décisionnelles, ses pratiques d’action ainsi que dans ses ressources. À titre d’exemple, soulignons les formulaires des demandes de subvention et de reddition de compte souvent prescrits et empreints des valeurs managériales dominantes, lesquelles s’éloignent des valeurs démocratiques mises de l’avant par le milieu communautaire. Ne pouvant faire fi de ces demandes, nous présentons dans cet article la Grille d’analyse organisationnelle (voir en annexe) développée à partir des réalités propres au milieu communautaire. Cette grille permet de tracer un portrait d’ensemble de l’organisation tout en respectant la philosophie de l’action communautaire. Développée dans un langage approprié aux valeurs communautaires, elle facilite l’appropriation d’éléments de gouvernance dans un contexte respectant la culture propre au milieu. Elle devient donc un outil soutenant la mission de l’organisme et non pas une fin en soi. Riche d’une expérience de plus de vingt ans comme directrice en milieu communautaire, nous avons voulu par cet exercice nous doter d’un outil d’appréciation organisationnelle représentant l’essence des actions des organismes communautaires, tout en répondant aux attentes des différents bailleurs de fonds et partenaires gouvernementaux ou institutionnels. Il est parfois essentiel de comprendre le langage de l’autre tout en respectant son propre langage, et ce, afin de bien s’entendre. Nous préférons nous approprier un outil correspondant à nos valeurs plutôt que nous en faire imposer un dans lequel nous ne nous retrouvons pas idéologiquement. Cette grille d’analyse organisationnelle se veut donc un outil de base pouvant être adapté selon les besoins de l’organisme, comme tout outil de gestion répondant à des besoins et non à une finalité. Dans La pratique de l’action communautaire autonome (2010), Henri Lamoureux pose la question à savoir si le milieu communautaire est en voie de passer de réformateur social à gestionnaire de problèmes sociaux? La réponse à cette question demeure au coeur de la réalité actuelle et à venir du mouvement communautaire. Afin de garder le cap sur notre action visant la justice sociale, nous devons nous approprier des outils qui, tout en répondant aux exigences des bailleurs de fonds et de certains de nos partenaires, respectent notre culture et notre raison d’être. C’est dans cette perspective qu’a été développée cette Grille d’analyse organisationnelle. Le postulat de base qui a servi de trame de fond pour l’élaboration de la grille reconnait et réaffirme l’existence de pratiques organisationnelles propres au milieu communautaire. Elles s’inspirent de valeurs de justice sociale et d’équité dans lesquelles les liens sociaux occupent une place prépondérante. Elles favorisent la défense des droits individuels et collectifs à travers des actions citoyennes visant le changement social pour le mieux-être de toutes et tous. Ces pratiques et valeurs transcendent les activités quotidiennes de l’organisme tant dans sa gestion humaine des ressources que dans la répartition égalitaire du pouvoir entre l’ensemble des membres y oeuvrant : entre autres, participation aux instances formelles de décision — assemblée générale annuelle, conseil d’administration, …
Parties annexes
Bibliographie
- DE GAULEJAC, Vincent (2005). La société malade de la gestion, Paris, Éditions du Seuil, 275 p.
- DUVAL Michelle, et collab. (2004). Les organismes au Québec : pratiques et enjeux, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur, 176 p.
- LAMOUREUX, Henri (2010). La pratique de l’action communautaire autonome, Québec, Presses de l’Université du Québec, 132 p.
- SHRAGGE, Éric (2006). Action communautaire : dérives et possibles, Montréal, Les Éditions Écosociété, 242 p.