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Les sociétés démocratiques ont en commun le principe de la liberté de parole et d’action des citoyens. Tout un chacun peut s’opposer à l’ordre établi, faire valoir son point de vue, revendiquer le droit à l’égalité qu’on lui refuse. Ainsi, au cours du dernier siècle, bon nombre de voix se sont élevées afin de réclamer justice. À ce titre, le mouvement des femmes et les diverses formes qui le composent, tout comme le mouvement ouvrier, celui d’émancipation des Afro-Américains, pour ne nommer que ceux-là, sont à compter au nombre des forces progressistes de nos sociétés.
Le Québec n’est pas en reste. Le mouvement féministe a aussi marqué de son empreinte la société civile, nous faisant progresser vers l’égalité entre les sexes. Un futur toujours incertain et précaire il va sans dire. Or, l’émancipation des femmes ne pouvant se faire sans les hommes, certains de ma génération ne l’on comprit (hélas souvent trop tard), que lorsque l’affidavit de divorce a abouti dans leur boîte aux lettres. D’autres ont su s’adapter bon gré, mal gré aux nouvelles exigences qui pesaient sur les hommes, y ont finalement trouvé leur compte et s’en félicitent aujourd’hui. Quelques-uns se sont même fait les chantres et défenseurs du féminisme, comme d’autres avant eux de la classe ouvrière et des thèses marxistes. Inévitablement, tous furent touchés de près ou de loin, à tel point que les hommes d’ici se mirent à questionner ouvertement ou en privée leur identité, socialisation et comportements.
Dès la fin des années 1970, les militants de la condition masculine et paternelle se mirent à Penser le masculin (Dulac, 1993), suite à la contre-culture, la révolution sexuelle et du féminisme radical des décennies précédentes. Or, tous ces hommes ne se limitèrent pas à participer aux groupes de croissance personnelle à la mode durant ces années là. Confortés par les découvertes issues de leurs introspections, à savoir que la masculinité est une construction contraignante, la socialisation de genre une aliénation; des hommes se mirent a leur tour à s’opposer à l’ordre et aux déterminations de genre et même, chose suspecte pour les féministes, à revendiquer des droits pour les hommes et les pères!
Trente ans plus tard qu’en est-il? C’est à cette question que tente de répondre les auteurs qui ont collaboré au livre dirigé pas Blais et Dupuis-Déri. Leur réponse se résume en quelques phrases : ces groupes ont fleuri, les technologies nouvelles (Internet) leur offrant une visibilité inespérée. De nouveaux gourous sont apparus, publiant livres, pamphlets, etc. Des intellectuels, journalistes, psychologues, universitaires se sont transformés en idéologues de ces masculinistes, fourbissant leurs armes. Tel est sommairement la réponse que l’on peut trouver à la lecture de ce livre composé de 12 courts essais et encadré d’une introduction et conclusion des deux directeurs.
L’objectif des auteurs étant comme le titre l’indique de démasquer l’antiféministe, caractéristique intrinsèque du masculinisme, le lecteur est en droit de s’attendre à quelques révélations instructives sur les acteurs du masculinisme, leurs actions et leur discours. Deux questions méritent qu’on s’attarde à cette publication : Qui sont les masculinistes? Qu’est-ce qui les caractérise pour qu’ils les qualifient d’antiféministes? Ainsi le travail de démasquage devrait-il faire oeuvre d’utilité publique ou à défaut d’apporter des réponses claires, être rangé au titre des oeuvres rhétorique.
Mais qui sont-ils? Deux ou trois psychologues réputés pour leur publication sur masculinité, trois journalistes qui on publié au cours de leur jeunesse quelques lignes sur la situation des hommes québécois, autant d’enseignants universitaires ayant émis une opinion sur le sujet, une paire d’essayistes, un ex-conseiller municipal, un député ministre et quelques militants (on en cite moins d’une dizaine) qui discutent de la question des hommes sur les forums de trois sites Internet, deux ou trois groupes de défense des droits des pères bien connus pour leur propension à grimper sur les ponts et autres lieux stratégiques, aux heures de pointe. Bref, bien peu de monde pour déclencher un tel branle-bas de combat. Or comme le souligne Catherine Foucault dans son texte : « malgré leurs faibles effectifs, leur influence ne cesse de s’accroître, autant dans les médias, qu’auprès des instances gouvernementales » (p.179). Pour les directeurs de la publication, le masculinisme est « un mouvement politique réel, conscient de lui-même (…) un vaste mouvement social, fonctionnant en réseau » (p.9). Cela nous donne froid dans le dos d’apprendre à la lecture du livre qu’il y aurait un complot antiféministe bien organisé!
Mais quelle forme prend donc cet antiféminisme? La forme d’un discours, répondent les auteurs : « un discours prétendant que les féministes et les femmes dominent une société dans laquelle les hommes sont efféminés et n’ont plus de rôles significatifs à jouer » (p.15). Et chaque chapitre de ce livre nous révèle un des indicateurs discursifs d’un tel antiféminisme. Ainsi, sont masculinistes et de ce fait antiféministes, les individus ou groupes qui de manière générale parlent des difficultés des hommes (p.19) ou des pères (p.23); ceux qui organisent des manifestations ou « escaladent la croix du Mont-Royal déguisé en Spideman (…) ou manifestent devant l’Hôtel de Ville de Montréal en appui à une demande d’instauration d’une Journée de l’homme » (p.27); et bien entendu leurs complices : « les médias qui se font d’ailleurs régulièrement le relais de l’idéologie et du discours » (p.28).
Mais les racines de ce mal qu’est le masculinisme sont profondes. Dans un essai surprenant Lampron (p.33-53) compare les propos du psychologue Dallaire aux diatribes antiféministes de nul autre que Jean-Jacques Rousseau. Elle vilipende, comme la plus part des auteurs, Gilles Rondeau, professeur émérite à l’Université de Montréal, pour sa participation au rapport commandé par le ministère de la Santé et des Services Sociaux sur la situation des hommes et compare celui-ci au Rapport Amar publié en 1793 par la Convention.
Pour sa part Dianel Lamoureux (p.55-72) considère que les germes du masculinisme étaient déjà présents dans le discours des Yvettes, discours antiféministe, il va s’en dire. Ce qui est l’occasion de pérorer sur les propos de Marc Laurendau dans les années 1960, ou de ceux de Roch Coté, Denise Bonbardier, Jean Paul Desbiens à propos des évènements tragiques de Polytechnique : « Polytechnique allait être l’occasion de mettre en branle un dispositif réactionnaire » (p.64). Réactionnaire et antiféministes dans le fait de suggérer que l’auteur de ces crimes souffrait peut-être de problèmes de santé mentale. Mélissa Blais (p.73-92) discourt longuement du drame collectif du 6 décembre 1989 et conclut que ceux qui « privilégient le discours psychologique, s’opposent aux analyses féministes (…) s’appuyant sur la psychologie du tueur, le discours masculiniste s’inscrit dans un continuum d’attaques antiféministes allant de la déresponsabilisation de Marc Lépine à une invitation à poursuivre on oeuvre » (p.80).
Ainsi, la banalisation de la violence envers les femmes serait au coeur du discours masculiniste comme tente de montrer Louise Brossard (p.93-126). Les discours de Dallaire, Coté, Dupuy, Ferrand et consorts sont pris pour cibles et plus particulièrement l’argument des fausses accusations ou de symétrie de la violence.
Mathieu Jobin tente une analyse de quelques sites Internet pour y déceler les mêmes thèmes de la négation ou banalisation de la violence faite aux femmes, de dénigrement des femmes et des féministes par l’utilisation de mots tels que : féminazisme, fémisexisme, féministant histérocentrisme, etc. (p.120). On découvre aussi que les masculinistes nient l’hypersexualisation des jeunes filles (p.121). Jobin ne se limite pas à l’analyse des sites Internet, il y va de ses recommandations : « Internet échappe à tout contrôle et à toute surveillance (…) le discours masculiniste tenu sur Internet peut constituer une forme de propagande haineuse envers les femmes. Pourtant, il n’existe présentement aucun moyen d’empêcher la prolifération de ce type de propos, parce qu’il n’existe pas de moyen de contrôle d’Internet (…) et que le Code criminel n’inclut toujours pas les propos haineux à l’égard des femmes dans l’article 319 qui condamne la propagande haineuse » (p.125).
Le texte de Charlebois s’acharne sans trop de succès à débusquer « l’homophobie sournoise des masculinistes » (p. 127). Alors que Dupuis-Déri (p.145-178) est outré des discours sur le suicide des hommes : « Rien de plus répugnant dans le discours antiféministes que la récupération du suicide des hommes à des fins politiques. Cette tactique qui consiste à blâmer les femmes pour les suicides des hommes (…) ».
Pour sa part Fouclault, (p.179-194) déplore l’influence des masculinistes dans les décisions gouvernementales et organismes de l’État et plus particulièrement que leurs idées se soient infiltrées jusqu’au coeur du Conseil du statut de la femme (CSF). L’indicateur étant le fait que le CSF constatait, entre autres « la surreprésentation numérique des garçons parmi les élèves en difficulté » « que les garçons manquent de modèles » (p.191) ou encore la tentative de transformer le CSF en Conseil pour l’égalité. De même, Lavoie (p.195-21) décrit l’activisme juridique des militants de la cause des pères et leur lobby politique en faveur de la garde partagée : revendication indiscutablement masculiniste aux yeux de l’auteur.
Surprenant (p.227-238) tente un parallèle entre l’antiféminisme tel que décrit par Suzan Faludi dans son livre Backlash et les discours et activismes masculiniste. Elle prend comme exemple le colloque tenu à l’UQAM, 2e Congrès international sur la condition masculine : Parole d’hommes, mais sans y analyser les propos tenus lors du colloque. Enfin, les deux directeurs de la publication concluent le livre par un texte qui se veut un véritable pamphlet politique dénonçant le masculinisme comme mécanique de contrôle des femmes (p.239-252).
Ce livre rassérénera les tenants du complot antiféministe dans leurs convictions, mais n’apporte pas grand-chose à la compréhension de la mouvance masculine au Québec et de ses diverses composantes. Nous regrettons que la publication effectue une jivarisation des débats sur la place des hommes dans le combat pour l’égalité en associant toutes paroles dissidentes du dogme à un antiféministe. Faute d’ancrage dans la réalité matérielle et vivante des groupes dits masculinistes, mais aussi la mise en perspective avec les autres groupes (il en existe plus d’une centaine au Québec) les auteurs génèrent des métadiscours (discours sur les discours dits masculinistes). Bien plus, ils réduisent tous les discours sur les hommes à un discours antiféministe. Ce procès d’intention ouvre la porte à toutes les dérives imaginables allant jusqu’à l’envie du pénal, la censure voire la répression; en cela, utilise les mêmes procédures qu’ils s’acharnent à dénoncer.