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Introduction
Idéalement, l’école se veut un endroit où les enfants apprennent des valeurs importantes telles que le partage et le respect de l’autre, un milieu sécuritaire qui prône l’intégration de tout un chacun. Cependant, le milieu scolaire est confronté à de nombreux défis faisant obstacle à l’atteinte de certains de ses objectifs. En effet, les recherches font état de la présence en milieu scolaire de différentes difficultés telles que la violence, le taxage et l’intimidation. En tant qu’institution, l’école n’est pas non plus à l’abri de manifestations d’intolérance, voire de racisme.
Cette réalité est d’autant plus présente en raison de la diversité culturelle croissante dans les grandes villes canadiennes où « la multiethnicité des écoles est devenue une réalité incontournable » (McAndrew 2001 : 14). Selon les données du recensement de 2001, la ville d’Ottawa comptait à ce moment « 12 375 enfants immigrants âgés de 0 à 14 ans » (Conseil de planification sociale d’Ottawa 2004 : 32). Ce qui amène à constater la présence d’une grande diversité culturelle dans les écoles élémentaires.
Comme le côtoiement de multiples cultures dans une institution telle que l’école peut y faire émerger certains enjeux et défis liés au racisme ou à l’intolérance ethnoculturelle, il est important de bien connaître les diverses facettes de ces problématiques pour être en mesure de mieux les régler. Nous avons donc élaboré une recherche visant à comprendre comment le racisme se manifeste entre les élèves à l’école élémentaire, et ce, selon la perception des intervenants.
Peu de recherches ont abordé les thèmes du racisme et de l’intolérance selon le point de vue des professionnels travaillant dans une école élémentaire. Travaillant quotidiennement avec une population étudiante multiethnique et devant faire face aux défis reliés à la diversité culturelle, ces derniers étaient bien placés pour partager leurs expériences et leurs perceptions face à l’intolérance ethnoculturelle.
Aux fins de cette étude, nous avons d’abord exploré le sens des termes « racisme » et « intolérance » pour comprendre les concepts auxquels se réfèrent les répondants. Cette exploration nous a amenée à privilégier la définition suivante du racisme, puisqu’elle reflète bien la réalité et que cette ambiance dont parle l’auteur peut très bien se manifester à l’école élémentaire et secondaire, même à l’université.
Il [le racisme] marque plutôt d’une manière diffuse et souterraine les relations sociales, les interactions et les inégalités. […] En fait, le racisme deviendrait peut-être une forme de liant social dans lequel baigneraient les interactions et les échanges, une atmosphère, une ambiance, un climat ou un milieu qui se passe principalement au travers des regards échangés, des murmures, des lapsus et des non-dits.
Renaud et al., 2004 : 25
L’intolérance, quant à elle, vise l’exclusion de personnes ou de groupes ayant des différences quelconques. L’intolérance dont il est question dans le cadre de cette recherche est basée sur le refus de reconnaître et de respecter l’autre dans ses caractéristiques socioculturelles.
La méthodologie
Les participants de cette recherche sont des professionnels travaillant dans des écoles francophones situées dans la ville d’Ottawa et ayant une forte population multiethnique. L’échantillon a été constitué à partir des critères suivants : avoir une expérience d’au moins deux ans dans une école élémentaire et parler français.
Huit intervenants travaillant dans des écoles élémentaires francophones ont participé à la recherche. De ces huit hommes et femmes, quatre étaient enseignants ou enseignantes, deux étaient travailleuses sociales. Les deux autres personnes occupaient un poste de direction d’école. Les années d’expérience en milieu scolaire de ces intervenants variaient de 6 à 39 ans. Lors des entrevues, ils travaillaient, ou avaient déjà travaillé, dans une ou plusieurs écoles ayant une forte population multiethnique, dans un contexte francophone ontarien.
La collecte de données s’est effectuée à l’aide d’entrevues individuelles semi-dirigées. Chaque répondant a participé à une entrevue d’une durée approximative d’une heure, portant sur les manifestations d’intolérance ethnoculturelle entre les enfants de l’élémentaire et sur sa perception de cette problématique.
Les résultats et l’analyse des données
Les répondants ont présenté plusieurs exemples d’intolérance dont ils ont été témoins au cours de leur carrière en milieu scolaire. Ils ont pris la peine d’expliquer, voire de nuancer, leurs propos selon leur perception personnelle, mais aussi pour tenir compte de l’âge des enfants fréquentant l’école élémentaire (de 4 ans à 11 ans). Il est important de souligner que l’intolérance ethnoculturelle des enfants ne peut selon eux être perçue d’une seule et unique façon. Non seulement il existe un continuum dans l’intensité des gestes posés par les enfants et dans la perception qu’ils en ont, mais l’intolérance se présente aussi sous différentes formes.
Par ailleurs, les intervenants semblent vivre une certaine ambivalence lorsqu’ils essaient d’expliquer la source du problème. Plusieurs hésitent à définir les comportements inappropriés des élèves comme étant du racisme. Ils tiennent à déresponsabiliser l’enfant de l’élémentaire ayant un tel comportement en exposant plusieurs facteurs ayant pu le causer.
Les formes d’intolérance ethnoculturelle
L’analyse des propos des répondants met en lumière la présence de diverses formes d’intolérance ethnoculturelles dans les écoles élémentaires. Aux manifestations verbales et physiques s’ajoutent des expressions plus subtiles d’intolérance, telles que les sous-entendus, l’incompréhension religieuse et des rivalités entre enfants d’ethnies différentes.
Les manifestations verbales et physiques
Tous les répondants ont affirmé que lorsqu’un conflit relié aux différences culturelles éclate entre des jeunes à l’école élémentaire, il se manifeste surtout verbalement. McAndrew et Potvin (1996 : 81), qui ont étudié le phénomène du racisme surtout à l’école secondaire, affirment que « la manifestation verbale du racisme apparaît le plus souvent à travers “l’humour” ou les insultes. Il s’agirait d’un premier niveau explicite pouvant déborder vers des actes de violence plus sérieux et des conflits entre gangs. »
Notre recherche démontre que la manifestation verbale de l’intolérance ethnoculturelle n’est pas exclusive aux adolescents. Bien que la majorité des répondants soutiennent que les enfants commenteront négativement les différences culturelles des autres à un stade plus avancé de leur scolarité de niveau élémentaire, une minorité affirme tout de même que l’intolérance verbale peut se manifester dès la maternelle.
« À l’école, d’après mon expérience, je pense que chez les petits, ils ne voient pas ça… 4 ans, 5 ans. 1re année, 2e année, là les jeunes commencent à faire des commentaires. »
« J’ai fait la maternelle; les 4 ans, les 5 ans. Et puis, non, ils ne veulent pas se donner la main. “Non, moi je ne donne pas la main à un Noir. Moi je ne joue pas avec les Noirs”. Ils vont le verbaliser et ne vont pas jouer avec. Et puis “Non, je ne joue pas avec toi parce que t’es Noir”. »
Alors que certains répondants perçoivent cette réalité comme étant un phénomène se manifestant de façon sporadique, d’autres perçoivent la fréquence de ces propos comme étant élevée. Concernant l’intensité et la fréquence des manifestations d’intolérance, un répondant explique que « dans une année de travail, peut-être que ça peut arriver… quelquefois, quatre ou cinq fois, pas tant que ça », alors qu’une seconde répondante maintient que « c’est un combat. Même encore aujourd’hui et encore plus cette année. C’est des explosions continuelles, ici. »
Malgré cette nuance que les participants apportent quant à la fréquence de ce type de manifestation et de l’âge où l’enfant prend conscience des différences des autres et les verbalise négativement, tous soutiennent que l’intolérance ethnoculturelle se manifeste surtout d’une façon verbale dans le contexte d’une école élémentaire. En général, la manifestation verbale prendra la forme d’insultes, comme le démontrent les deux témoignages suivants :
« J’ai trouvé ça incroyable, un petit garçon qui a appelé une petite fille d’une autre culture. Il disait : “Ah, t’es handicapée et votre culture vous êtes tous des handicapés”. Ça arrive beaucoup. Beaucoup d’insultes. Ils s’insultent les uns, les autres. »
« Ils vont dire comme telle nationalité “suck”. Des mots dans ce genre-là, ça peut arriver quelquefois. »
Même si selon nos répondants, l’intolérance se manifeste surtout d’une façon verbale à l’école élémentaire, une répondante constate néanmoins qu’elle peut aussi prendre la forme de violence physique (frapper, cracher et bousculer).
« Par exemple, on va ranger des choses : ils vont se l’arracher. Ils vont se bagarrer pour se mettre en file. Ce n’est pas juste bousculer, c’est donner des coups. […] Jusqu’à ce qu’ils se frappent. Cracher sur les autres. »
Les propos de nos répondants apportent une nouvelle nuance au Rapport du comité d’intervention contre la violence raciste qui explique que les participants à leur recherche « ont suggéré que l’âge et le moment les plus propices à l’expression de la violence raciste (à l’école) se situaient de 11 à 14 ans » (Fournier et al. 1992 : 15). Malgré un certain désaccord quant à la fréquence de l’intolérance ethnoculturelle entre les enfants, tous les répondants témoignent tout de même de sa présence dès les premières années de l’école élémentaire. Cette réalité indique l’importance d’intervenir tôt afin de prévenir l’émergence des formes d’intolérance et de racisme plus violentes et plus visibles que décrivent McAndrew et Potvin (1996) à l’école secondaire.
Une forme subtile d’intolérance : les sous-entendus
Dans d’autres occasions, les enfants ne verbaliseront pas leurs sentiments de méfiance ou de résistance. L’intolérance va plutôt se manifester de manière ni verbale, ni physique, mais d’une façon tout de même perceptible. Une répondante explique ce phénomène à l’aide de deux exemples : refus de se donner la main lors d’un jeu de ronde et refus de se placer en équipe avec un enfant d’une culture différente. Voici ce qu’elle relate à ce sujet :
« On pense qu’ils sont tous pareils, mais les Arabes et puis les Noirs et ceux qui sont mulâtres, ne sont pas tout à fait noirs, ils ont de la misère à se tolérer. Moi, je faisais beaucoup de rondes avant avec les enfants, […], c’est une façon de se regrouper, de sentir le lien entre les enfants. Mais avec eux, c’est impossible. Ils ne veulent pas se donner la main. »
Dans un contexte où les enfants doivent se placer en équipe, cette enseignante ajoute :
« Je dis “choisis ton chef d’équipe” […] Puis je vois la réticence. D’après moi, d’une certaine façon, c’est comme pas inconscient, mais c’est pas tout à fait… ils ne peuvent pas l’exprimer nécessairement. Sauf que, quand arrive une situation et qu’ils sont vraiment fâchés ou tu sais, tu vas voir qu’il y a beaucoup de résistance. Ils vont juste regarder, ils vont juste rester à l’écart. Regarder. »
Ce témoignage semble rejoindre la pensée de Renaud et de ses collaborateurs (2004) qui définissent le racisme comme une atmosphère sociale où s’échangent des regards, des non-dits et des sous-entendus.
Une répondante témoigne de ces sous-entendus d’une façon différente. En effet, elle les relie à l’utilisation de la langue maternelle par certains enfants. Elle explique ce phénomène de la façon suivante :
« L’autre jour, j’ai été témoin, j’ai entendu les jeunes. Aussitôt qu’ils sont en salle de classe, ils se parlent dans leur langue. Puis là, il y a des jeunes qui pensent qu’ils parlent d’eux autres, parce qu’ils ne comprennent pas la langue. Puis, honnêtement, on ne sait pas ce qu’ils se disent. […] Et d’après le non-verbal, je suis convaincue que ce n’est pas la vraie chose, ce n’est pas ce qu’il dit, ce n’est pas la vérité, bien souvent. »
Sans qu’elle l’interprète comme étant du racisme en tant que tel, la répondante explique tout de même que ce type de situation peut créer des malentendus, des interprétations (erronées ou véridiques) ainsi que le sentiment d’être mis à l’écart en raison d’une différence culturelle. Dans ce dernier exemple, il s’agit de l’utilisation d’une langue inconnue de la majorité.
Verhoeven (2002), qui a entrepris une recherche sur le « type d’intégration sociale qui peut être construite dans une société multiculturelle et du rôle de l’institution scolaire dans ce processus » (2002 : 7), a voulu connaître la perception des intervenants scolaires travaillant à l’école secondaire sur le sujet. Sur le plan de l’utilisation de la langue maternelle, elle affirme que pour les intervenants interviewés « l’usage des langues d’origine au sein de l’espace scolaire est rapidement perçu comme générateur de ségrégation entre les élèves » (Verhoeven 2002 : 53). Selon le témoignage présenté ci-dessus, ce n’est pas l’utilisation de la langue d’origine qui pose problème, mais bien l’impression qu’ont les élèves qui ne parlent pas cette langue que l’on parle d’eux à leur insu.
En conclusion, soulignons que cette ambiance créée par des regards échangés ou par des sous-entendus semble perceptible dès les premières années de l’élémentaire, selon les propos de nos répondants.
L’incompréhension religieuse
La diversité culturelle entend souvent aussi diversité religieuse. À ce sujet, Abdallah-Pretceille (2005) affirme qu’il faut reconnaître la présence de la religion dans les cultures. Selon cette auteure, la religion s’inscrit dans un espace social et relationnel présentant des informations ambiguës puisqu’elles sont manipulées par les individus qui portent en eux-mêmes leur religion (Abdallah-Pretceille 2005).
Les répondants de notre étude ont donné quelques exemples d’ambiguïtés reliées à la question des coutumes et des pratiques religieuses.
« Ils ne savaient pas qu’elle était de religion juive. À un moment donné, ça a sorti comme ça. J’ai vraiment senti qu’il y avait une réaction de la part de certains qui étaient considérés comme plus à droite dans le religieux. […] Ils ont réagi. Certains enfants : Uuuhhheeee. »
Ce répondant ajoute que le côtoiement des différentes religions à l’école peut aussi amener l’enfant à s’étonner lorsqu’il apprend qu’un camarade de classe ne suit pas les mêmes pratiques religieuses que lui. Selon Albert et Flécheux (1999), il n’est pas rare que les enseignants « constatent les difficultés que pose la cohabitation, au sein d’une même classe, d’enfants de religions différentes » (1999 : 45).
Mais lorsqu’il est question d’intolérance ou d’incompréhension face aux religions, les intervenants ont soulevé surtout des facteurs d’ordre alimentaire.
« Lorsque c’était le temps de manger, par exemple, des petits enfants somaliens disaient à des petits enfants haïtiens : “Tu peux pas manger ça, c’est du porc : tu vas aller en enfer”. Ce genre de choses. Jusqu’à un point où ça a fait pleurer une petite fille. En la questionnant, elle m’a avoué qu’elle avait très peur d’aller en enfer parce qu’elle mangeait du porc. Tandis que les petits enfants musulmans disaient aux enfants haïtiens : “Tu portes une croix, c’est mal, tu vas aller en enfer”. »
Ces témoignages illustrent que les enfants peuvent avoir des réactions spontanées lorsqu’ils comprennent que les autres enfants n’ont pas nécessairement les mêmes pratiques religieuses qu’eux. Les enfants sont donc exposés aux différences culturelles et religieuses des autres lorsqu’ils vont à l’école. Ils y amènent une grande diversité de valeurs, de coutumes et de rites issus de leur réalité familiale (Milot 1995). « Très concrètement, quand les enfants se côtoient à l’école, ils sont inévitablement en contact avec des symboles religieux diversifiés : les coutumes familiales, les fêtes religieuses, le jeûne de quelques enfants à certains temps de l’année, les prescriptions alimentaires ou le port de vêtements manifestant l’appartenance religieuse » (Milot 1995 : 241). Comme l’expriment les répondants de notre recherche, un tel contexte peut amener les enfants à se poser des questions face aux modes de vie de ses camarades et à réagir promptement face à cette situation.
Les rivalités entre enfants de même couleur, mais originaires de différentes ethnies
En lien avec les manifestations d’intolérance, les participants ont abordé un sujet rarement discuté lorsque le thème de racisme est débattu. Il s’agit de la « rivalité » entre personnes de même couleur, mais originaires de pays différents ou appartenant à différentes ethnies. Ce concept amène une nouvelle vision à l’image populaire du racisme qui est généralement décrit et perçu comme étant une question de discrimination des blancs envers les noirs ou des membres de la majorité envers ceux de la minorité. Sans nier cette réalité, nos répondants y ajoutent une autre dimension.
Ce qui a été expliqué à l’aide du terme « rivalité », par nos répondants, est conceptualisé par Laird (2004), qui s’est intéressé aux conflits interethniques surgissant en particulier dans l’Afrique subsaharienne; bien qu’il remarque une différence entre le racisme et le tribalisme, il précise que les relations entre personnes noires des pays africains peuvent être source de discrimination. Certaines formes de discrimination observées par nos répondants font écho aux propos de Laird.
Ainsi, certains affirment avoir été témoins de rivalité ou de tribalisme entre enfants de même couleur au cours de leur carrière : « entre les Noirs, par exemple, entre les Haïtiens et les Somaliens, sont tous de la même couleur, mais il y a encore de la rivalité ». Selon cette répondante, cette rivalité se manifeste d’une façon subtile : « c’est que les enfants se regardent puis ne s’acceptent pas ». Dans le même ordre idée, elle ajoute l’exemple suivant : « Je vois la réticence même d’une petite Haïtienne versus une petite Somalienne qui est chef d’équipe… l’attitude que les enfants vont avoir là! » Un autre répondant confirme :
« Quand ils savaient que tel enfant venait de tel clan… Oh! Là! Là! L’autre gang se mettait contre. Il ne pouvait plus être vu avec eux. Ils ne pouvaient plus jouer avec cet enfant-là parce qu’il venait d’un autre clan. […] Eux autres ont été très très durs au début. Mais entre eux. Pas envers les autres. […] J’ai rarement eu du racisme entre blancs et noirs, c’était toujours entre les ethnies. »
À ce sujet, Tapernoux (1997) explique qu’il est parfois difficile pour l’enseignant de comprendre l’animosité entre des personnes de cultures différentes lorsqu’il ne connaît pas l’histoire de leurs pays d’origine. Il donne l’exemple suivant : « Comment, ainsi, savoir sur quoi se fonde l’inimité d’un groupe de Zaïrois et d’un groupe de Sénégalais? » (Tapernoux 1997 : 9). Nous voyons donc que le concept des échanges et des interactions entre cultures est un phénomène pouvant dépasser le concept des différences physiques et être causé par une blessure historique, économique ou politique (Ouellet 1991).
L’intolérance envers les enfants de groupe minoritaire à l’école
Deux répondantes ont aussi amené une autre dimension aux manifestations d’intolérance se déroulant à l’école élémentaire. Selon ces dernières, ce n’est pas tant la couleur qui fait en sorte qu’un enfant sera, ou non, victime d’intolérance, mais bien le fait d’être en contexte de minorité. « Il y a quelques élèves qui sont vraiment Canadiens de souche et qui sentent beaucoup de pression à ce niveau-là. Il y a plus de racisme à leur égard. […] Ce sont eux la minorité blanche à l’école ». Bien que ce phénomène soit peu documenté, nous pouvons tout de même mentionner qu’il s’est avéré d’une certaine importance selon des intervenantes interviewées dans le cadre de cette recherche.
Des points de vue ambivalents face à la problématique
Témoins de ces multiples visages de l’intolérance, les intervenants scolaires se sont penchés sur la question en tentant d’y trouver une explication. Puisqu’il est question de jeunes enfants, ils perçoivent ces manifestations d’une façon particulière, propre à l’âge des enfants concernés.
La perception du problème
L’interprétation des manifestations d’intolérance entre les enfants en âge de fréquenter l’école élémentaire n’est pas la même pour tous les répondants. Alors que certains n’hésitent pas à parler de « racisme », d’autres se montreront indécis ou y apporteront certaines nuances. Cela est illustré dans ces témoignages de deux intervenants :
« Oui, des fois, il y a du racisme, je l’entends, je l’observe. J’ai des jeunes qui subissent de l’intimidation, ou je dis du racisme même. »
« Quand ils le partagent à l’école, d’après moi, ce n’est pas d’une façon raciste. C’est mal fait, c’est mal présenté de la part de l’enfant parce que c’est très catégorique, c’est un jugement de valeur sur l’autre. »
Certains intervenants hésitent à donner une référence raciale ou ethnique à l’intimidation dont certains élèves sont victimes à l’école, comme en témoigne cette intervenante scolaire :
« De là à dire qu’ils vont vivre de l’intimidation parce qu’ils sont Noirs, pas nécessairement. Ça va aller plus loin que ça. […] Les enfants qui vont vivre de l’intimidation, ça va être plus des enfants qui ont d’autres sortes de limites. Pas nécessairement à cause de leur race. »
Nous remarquons donc une certaine ambivalence chez quelques intervenants face à la catégorisation des comportements de l’enfant comme étant du « racisme ». L’innocence de l’enfant, son jeune âge, l’influence des adultes de son entourage, ou encore, des notions peu claires de ce qui constitue du racisme, sont à l’origine de cette ambivalence de la part des intervenants. À ce sujet, un répondant mentionne : « J’ai l’impression que c’est inconscient dans leur façon de voir ».
Bien que sa recherche ait eu pour contexte les écoles secondaires, Verhoeven (2002) a fait état d’une ambivalence semblable à celle décrite par les répondants de la présente étude. En effet, cette auteure précise qu’une « certaine ambivalence caractérise les représentations des enseignants des écoles à propos de la sociabilité entre élèves : d’un côté, ils reconnaissent une certaine “ethnicisation” des relations entre pairs; de l’autre, ils semblent sans cesse tenter d’échapper à une telle catégorisation, et sont réticents à admettre que cette dimension puisse régir la sociabilité scolaire » (Verhoeven 2002 : 56).
Les perceptions des intervenants face à l’intensité et à la cause du problème sont multiples. Ainsi, ils perçoivent les comportements intolérants comme étant le résultat d’un trouble de comportement, d’un manque d’estime de soi, d’une mauvaise éducation de la part de la société, de la peur de l’inconnu, de la spontanéité infantile, d’un déséquilibre de pouvoir ou de la ghettoïsation du quartier. Nous pouvons remarquer chez tous les intervenants questionnés (même pour ceux qui perçoivent le comportement comme étant « raciste ») un désir de déresponsabiliser l’enfant qui insulte ou qui pose ce type de gestes envers ses camarades de classe. Voici un commentaire illustrant cette attitude de « déresponsabilisation » :
« Les jeunes qui nous font des commentaires et qui manquent de respect envers un autre enfant, c’est des jeunes qui ne sont pas bien dans leur peau. Ce n’est pas des jeunes qui sont nécessairement racistes. »
Quant à la persistance des manifestations d’intolérance, les répondants offrent aussi divers points de vue. Alors que certains diront que les conflits interculturels persistent année après année, d’autres mentionneront la rapidité avec laquelle les enfants corrigent leur comportement intolérant, comme en témoignent les deux répondants suivants :
« C’est vraiment ancré. Je peux dire que depuis que je suis ici, chaque année a confirmé cette situation-là. »
« Mais la minute que l’on mentionne, ça arrête. Moi, c’est ce que j’ai vécu. Ce n’est pas quelque chose qui persiste. En tout cas, si ça continue dans leur tête, ça ne paraît pas. »
Les différents témoignages que nous avons exposés dans cette partie montrent bien la diversité des perceptions entourant la question de l’intolérance, en particulier lorsqu’il est question d’enfants plus jeunes. La prudence avec laquelle les répondants interprètent ce type de comportement montre bien leur volonté de déresponsabiliser l’enfant en exposant les différents facteurs externes pouvant expliquer une telle situation.
Par ailleurs, une des explications quant aux sources de l’intolérance qui est fréquemment abordée est liée aux modèles parentaux.
Une explication des comportements intolérants des enfants à l’élémentaire
Une forte majorité des répondants (7/8) sont d’avis que les enfants qui ont un comportement intolérant envers d’autres répètent un comportement provenant du monde des adultes. Selon eux, les enfants sont influencés par leur environnement immédiat, soit par le milieu familial.
Selon les répondants, l’école n’est pas la seule et unique responsable de l’intolérance ethnoculturelle des enfants. Les valeurs léguées par la famille et la réticence de celle-ci face aux personnes de différentes cultures auront un impact certain sur le comportement de l’enfant. Un enfant n’aura pas le réflexe de méfiance envers un autre enfant à moins que cette méfiance ne lui ait été inculquée par son entourage :
« Les enfants ne font pas des choses inventées. Ils font des choses qu’ils voient. Ils reproduisent des choses qu’ils voient. Ils disent des choses qu’ils entendent. Puis ils ont les sentiments bien ancrés de ce que leur famille leur lègue. »
« Mais je ne suis même pas sûre que c’est complètement de la méfiance. Je me demande si ce n’est pas une attitude… une attitude qui est véhiculée à la maison pis que là ils arrivent à l’école et continuent de véhiculer ça. Donc, ce n’est pas nécessairement comme pour le fun qu’ils vont attaquer un autre groupe, mais souvent c’est parce qu’à la maison, culturellement, c’est les valeurs et tout ça. Puis là ils arrivent à l’école c’est un “crash” de valeurs, un “crash” de croyances qui part souvent de la maison. »
« Faut pas se leurrer là; le racisme vient de la famille. C’est les adultes qui sont racistes, pas les enfants. C’est les adultes qui font ça. On ne naît pas raciste, on le devient. […] Ce n’est pas l’école qui crée le racisme. C’est la communauté, c’est le monde qui crée ça, c’est la famille qui l’entretient là où il y en a. »
Ces témoignages semblent corroborer la perspective de Baruth et Manning (1992) qui expliquent que parfois les parents peuvent enseigner des attitudes négatives à leurs enfants. Ils donnent un exemple dans le contexte américain, expliquant que les parents hispano-américains enseignent à leurs enfants qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux Anglo-Américains, qui ne sont pas bien intentionnés à leur égard (Baruth et Manning 1992 : 257). Selon les répondants, cette pensée négative peut aussi se refléter entre les enfants.
L’analyse de ces témoignages démontre à quel point la collaboration entre l’école et les parents devient centrale pour enrayer la problématique de l’intolérance ethnoculturelle. Les répondants ont relevé la nécessité de travailler avec le parent, non seulement avec l’enfant, pour enrayer le problème, et ce, en dépit des défis qui s’imposent.
Des pistes d’intervention et conclusion
Les données recueillies dans le cadre de cette étude laissent entrevoir la complexité des défis possiblement occasionnés par le côtoiement de différentes cultures, ethnies et religions dans le milieu scolaire élémentaire. Une intervention appropriée s’impose pour assurer l’intégration de l’enfant à l’école, pour favoriser une collaboration réelle avec la famille et pour prévenir l’émergence du racisme ou de l’intolérance entre les enfants.
Selon la perception de nos répondants, quelques professionnels, dont les travailleurs sociaux, détiennent un rôle clé auprès de la population étudiante multiethnique et de leurs parents. En effet, ils ont la responsabilité de travailler en étroite collaboration avec l’agent de liaison multiculturelle de l’école, de favoriser l’intégration des élèves issus de minorités visibles et de comprendre les impacts des facteurs culturels sur le processus d’apprentissage (Baruth & Manning 1992). Certains répondants ont même suggéré que ces intervenants soient présents à temps plein dans chaque école.
Les répondants témoignent aussi de l’importance de créer un lien de confiance solide avec les parents d’origines diverses pour que ceux-ci se sentent à l’aise de collaborer avec l’école et de s’impliquer dans le cheminement scolaire de leur enfant. Le lien de confiance permet de combattre le sentiment de méfiance que certains parents immigrants peuvent manifester face aux structures organisationnelles de l’école. La première étape dans la création de ce lien de confiance nécessite que les intervenants s’engagent dans un processus de décentration. La démarche de décentration consiste à « prendre une distance par rapport à soi-même en tentant de mieux cerner ses cadres de référence, d’en prendre conscience en tant qu’individu porteur d’une culture et de sous-cultures toujours intégrées dans sa trajectoire personnelle » (Legault 2000 : 175). Selon cette dernière, il est possible d’y arriver en reconnaissant ses propres valeurs en comparaison avec celles des autres. Les intervenants ont donc besoin d’outils leur permettant d’acquérir cette capacité de décentration.
Il est très important aussi de respecter le rythme des familles nouvellement arrivées au pays. Les répondants notent que c’est à ce moment qu’elles démontrent une plus grande méfiance envers le milieu scolaire et les intervenants qui y travaillent. Selon nos répondants, il faut accueillir, mais aussi sécuriser, les parents vivant leurs premières expériences avec le système scolaire canadien. En ce sens, il convient de se soucier des besoins particuliers des élèves de la maternelle ou de la 1re année et de leurs parents nouvellement arrivés en terre d’accueil.
Pour ce qui est de l’éducation et de l’intervention auprès des enfants issus de minorités visibles, les intervenants ont souligné l’importance de prendre en considération le contexte dans lequel ces enfants ont vécu les premières années de leur vie. Ainsi, l’importance du vécu de l’enfant ne doit pas être minimisée. La sensibilisation aux enjeux de l’interculturel comporte plusieurs facettes exigeant qu’on s’y attarde dans le cadre de forums réguliers sur la question et de formation continue pour tous les membres du personnel.
En résumé, il s’avère important de se questionner et de réagir par rapport à l’intolérance ethnoculturelle dans les écoles élémentaires puisqu’elle s’y présente sous différentes formes. Bien qu’une certaine ambivalence se présente chez les répondants lorsqu’ils tentent d’expliquer la source des comportements inappropriés sur le plan socioculturel ou de les définir, tous s’accordent à dire que le multiculturalisme des écoles est synonyme de défis.
Les propos de nos répondants nous ont permis de formuler différentes pistes d’intervention. Cette recherche a fait ressortir quelques éléments d’une problématique peu discutée lorsqu’il s’agit d’enfants, celle de l’intolérance et du racisme. Selon nos intervenants, il s’agit d’une réalité dans les écoles élémentaires et l’institution scolaire a le rôle d’éduquer au respect de tout un chacun.
Parties annexes
Note
-
[1]
Cet article a été rédigé à partir du mémoire déposé à l’École de service social de l’Université d’Ottawa comme exigence pour l’obtention d’un diplôme de maîtrise en service social. La direction du mémoire a été assumée par Madeleine Dubois. L’auteure de cet article, Véronique Cloutier, a reçu la bourse d’études du Regroupement des intervenantes et des intervenants contre les agressions sexuelles (RIFAS); cette bourse vise à promouvoir la recherche portant sur la violence.
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