En préparant ce numéro de Reflets, je me suis demandé si les lecteurs seraient d’emblée convaincus de l’importance de traiter de la jeunesse dans une perspective d’intervention sociale. D’autant plus que la jeunesse dont il est question dans ce numéro n’est pas celle de l’enfance, mais plutôt celle engagée dans les multiples transitions — de l’école au marché du travail, par exemple — qui inscrivent le passage à la vie adulte dans la suite des âges de la vie. La société, en particulier les milieux du travail social, se préoccupe beaucoup des enfants, notamment dans une perspective de prévention de certaines conditions socio-économiques (dont la pauvreté) et de certains comportements (la violence, l’abandon scolaire, la consommation de drogues, etc.). Cette préoccupation pour la prévention est telle de nos jours qu’on a parfois l’impression qu’après un certain âge, il devient difficile de changer le cours de l’existence, comme si l’enfance laissait sa marque, indélébile, sur les trajectoires de vie. À quoi bon, alors, s’occuper de ces jeunes qu’on nomme adolescentes et adolescents ou jeunes adultes? À cette première réflexion sur l’accueil qui serait réservé à ce numéro, s’ajoutait le flot de « bonnes nouvelles » qui semblent, aujourd’hui, favoriser celles et ceux qui sont en voie d’« entrer » dans la vie adulte. Après des années de disette sur le plan de l’emploi, voilà que les taux de chômage des jeunes adultes de 15-24 ans sont à leur plus bas niveau depuis 15 ans (Statistique Canada 2004) et que les perspectives d’emploi des jeunes augmentent, même en milieu rural (Cross 2005). Selon certains observateurs, il pourrait même se produire une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée dans certains secteurs d’emploi où la structure d’âge laisse présager des départs massifs à la retraite. C’est le cas, entre autres, dans les secteurs de la construction, du transport, des services publics et des services d’enseignement, d’assistance sociale et de soins de santé (Shetagne 2001 : 5). Dans cette veine, des associations professionnelles en médecine brandissent aujourd’hui le spectre de la pénurie de médecins et de personnel infirmier. Elles s’interrogent ainsi sur la manière dont la société pourra, à l’avenir, s’occuper des personnes vieillissantes dont les problèmes de santé exigeront des ressources humaines et financières additionnelles. Et ce sont les jeunes, dans ce secteur d’emploi comme dans d’autres, qui sont les premiers conviés à répondre : on souhaiterait qu’ils soient plus nombreux à s’inscrire dans certains programmes de formation ou que ces programmes ouvrent plus grandes leurs portes pour former les travailleurs et les travailleuses dont la société a besoin. Dans un contexte où la société vieillit et la pyramide des âges s’inverse progressivement, on semble donc avoir de plus en plus « besoin » de jeunes : de celles et de ceux qui auront à occuper les emplois laissés vacants par leurs aînés, à soutenir leurs parents vieillissants et à renflouer les coffres de régimes de retraite qui pourraient tourner à vide sans leurs apports. Dans cette perspective, forte est la tentation de concevoir la jeunesse de manière purement utilitaire. Mais il s’agirait dans ce cas de lire la jeunesse et les rapports intergénérationnels sous un angle simpliste et sans aucun doute dommageable pour celles et ceux qui sont aux portes de la vie adulte et qui souhaitent avoir un mot à dire sur leur avenir. De surcroît, une telle lecture ne saurait constituer un reflet fidèle ni des rapports sociaux actuels ni des jeunes qui en sont partie intégrante. Le portrait à dresser est beaucoup plus nuancé, comme les contributions à ce numéro permettent de le constater. Avant de présenter le contenu de …
Parties annexes
Bibliographie
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