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Introduction

C’est parce qu’ils témoignent de l’incessante négociation entre l’humain et ses environnements de vie que les chercheurs en sciences humaines et sociales doivent rendre compte de leurs observations.

Camil Bouchard 1999

Le transfert des connaissances[1] est devenu un des éléments clefs de la recherche sociale. C’est en raison de cet intérêt que le Fonds québécois de la recherche sociale[2] a entrepris, en 1992, de subventionner des équipes de recherche réunissant des chercheurs universitaires, des chercheurs institutionnels et des praticiens. Un des objectifs de ce programme de subvention est de favoriser le transfert de connaissances. À cet égard, Marc Renaud (1999), un acteur de l’élaboration des politiques canadiennes de la recherche sociale subventionnée, transforme le célèbre «publish or perish» en «get public or perish» afin de souligner l’obligation pour les chercheurs de rendre public leurs résultats et de justifier ainsi les subventions que l’État leur accorde. Le transfert des connaissances s’inscrit également au coeur d’un débat en promotion de la santé qui met en évidence deux positions au sujet du rôle attendu de la recherche: produire des données probantes et servir de moteur aux transformations des pratiques professionnelles (Potvin et Gauvin 2000).

Le partenariat avec les milieux de pratique amène donc les chercheurs à repenser leur mode usuel de diffusion des connaissances, axé en grande partie sur un processus linéaire décidé par le chercheur (Gélinas et Pilon 1994) et sur l’efficacité (Lerner, Fischer et Weinberg 2000). Les chercheurs sont alors non seulement appelés à rendre compte à la communauté scientifique, le plus souvent en fin de recherche, de l’efficacité ou non d’interventions, mais il leur faut en plus favoriser l’appropriation des connaissances en même temps que les changements de pratiques en s’adaptant à l’expertise et au savoir des intervenants au moyen d’une démarche suivie et interactive avec eux (Backer 1991; Blackburn et Demers 1996).

Le présent article offre, à partir d’une expérience concrète, une contribution à la réflexion sur le rôle que peuvent jouer les chercheurs. Il rapporte d’abord les travaux d’une équipe de recherche dans le domaine de la promotion de l’engagement paternel. Il décrit ensuite les ateliers de formation Pères en mouvement / Pratiques en changement de même que leur processus d’élaboration et de diffusion dans des contextes institutionnel et politique particuliers. Il traite enfin de la formation comme moyen de transformation des pratiques professionnelles en promotion de la santé, de ses exigences pour les chercheurs et des opportunités qu’elle offre.

La promotion de l’engagement paternel

À la suite de l’entrée massive des femmes sur le marché du travail et des transformations de l’institution familiale, le rôle et la place du père dans nos sociétés sont en pleine mutation (Dulac 1993; Casper et O’Connell 1998). Les milieux de recherche reconnaissent de leur côté l’importance des pères dans le développement social, intellectuel et psychologique des enfants (Tamis-LeMonda et Cabrera 1999; Marsiglio 2001) et constatent que les pères ont une façon bien à eux d’interagir avec les enfants (Le Camus 1995; Dubeau, Turcotte et Coutu 1999).

Dans l’ensemble, les services et les organismes qui se consacrent à la famille sont encore peu adaptés aux besoins des pères. L’idée qui y prédomine veut que le jeune enfant a surtout besoin de sa mère et que les pères sont souvent absents de la vie de l’enfant, ou du moins très difficiles à rejoindre et à impliquer (Dulac 1998; Ménard 1999; Dudley et Stone 2000). L’intervention en faveur de l’engagement paternel se heurte, de plus, à la résistance d’intervenants qui se demandent pourquoi se préoccuper des pères alors que les besoins sont criants du côté des mères.

Un levier, une recherche-action dans deux communautés

Pendant six ans, de 1995 à 2001, ProSpère, un groupe de recherche-action formé de chercheurs et d’intervenants, a mis à l’essai et évalué[3] dans deux communautés à forte concentration de familles à faibles revenus, un modèle d’action locale consistant à agir dans les différentes sphères de la vie des pères de jeunes enfants et selon des stratégies diversifiées. Ce modèle, lui-même développé au Québec dans d’autres champs d’intervention (Ouellet, Paiement et Tremblay 1995), s’inspire de la perspective écologique et de la promotion de la santé. Le groupe est rattaché à une équipe en partenariat subventionnée par le CQRS, soit le Groupe de recherche et d’action sur la victimisation des enfants (GRAVE)[4] .

Dans chacun des deux territoires, le groupe de recherche s’est joint aux acteurs locaux de divers secteurs d’activités afin de former un comité de pilotage. Les deux comités ont pris le temps nécessaire pour se donner une culture commune sur le concept d’engagement paternel, sur ses principaux déterminants et pour établir un consensus de base sur la philosophie et les objectifs d’action. Ils ont ensuite mis en oeuvre chaque année un plan d’action comportant environ une quinzaine d’activités complémentaires et variées: développement d’outils de sensibilisation distribués dans les foyers et les organismes, organisation de fêtes et de journées de loisirs pour les familles, mise en place de petits groupes permettant aux pères d’interagir entre eux et avec leurs enfants, conférences publiques, adaptation aux pères des programmes périnataux, interventions individuelles auprès de pères vulnérables. Ces activités visent les pères, mais aussi leurs familles, les intervenants, les leaders locaux et la population en général. Elles misent sur des stratégies aussi diversifiées que l’influence, le renforcement du potentiel des individus et l’aménagement du milieu.

En plus de fournir une description de la mise en oeuvre d’une approche de promotion de la santé dans le domaine de la paternité (Ouellet, Turcotte et Desjardins 2003), cette recherche-action a donné des indications précieuses pour l’élaboration d’une formation d’intervenants. On en retient quatre.

  1. L’engagement paternel est un thème mobilisateur qui rejoint les intervenants dans leur vie personnelle et ne les laisse pas indifférent. Il s’inscrit dans le débat social sur les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. De là, l’importance de créer des occasions pour que les intervenants débattent entre eux de la question de l’engagement paternel et en arrivent à se donner une culture commune.

  2. Il est possible de susciter des changements de mentalités et de pratiques dans les organismes en regard de la paternité. Ainsi, dans les deux sites expérimentaux, dès la première année, à la faveur de discussions communes, les membres des comités de pilotage impliqués dans la recherche-action ont été «conscientisés» au rôle du père et à l’importance d’améliorer les services aux pères. De plus, ils ont modifié leurs façons de travailler auprès des familles. Puis, comme une onde de choc, les changements notés chez les membres des comités de pilotage ont pu se répercuter aux autres intervenants d’organisme et dans les communautés. Finalement, les intervenants constatent que les pères de jeunes enfants participent maintenant en plus grand nombre aux activités sociales de la communauté. Ils seraient plus présents aux cliniques de vaccination, plus actifs lors des visites à domicile. Ils fréquenteraient de plus en plus les services pour obtenir de l’aide pour eux-mêmes.

  3. Il importe de privilégier une action centrée sur la famille plutôt que sur les pères uniquement, ce qui cadre bien avec la mission des organismes à vocation familiale, et semble par ailleurs correspondre aux besoins exprimés par les pères. Il faut voir alors la famille comme un système où chacun des membres, le père y compris, apporte sa contribution. Encourager l’engagement paternel ne veut pas dire faire abstraction de la contribution des mères et des problèmes qu’elles vivent mais tenter de trouver un meilleur équilibre pour les parents et l’enfant, et développer une alliance pour que chacun des deux parents — en couple ou non — puisse remplir son rôle de parent.

  4. Il semble approprié d’adopter envers les pères une approche souple qui mise sur la spécificité des pères et sur la situation de chaque père, et qui s’intéresse aux progrès qu’ils font, si minimes soient-ils. La paternité est alors envisagée comme un besoin inhérent chez les hommes de préparer la génération à venir — c’est la définition que Hawkins et Dollahite (1997) donnent du père génératif —, un apprentissage relevant du développement des individus ou encore une relation que le père, comme individu, construit avec son enfant au jour le jour.

Deux des membres de ProSpère se sont donnés comme objectif d’élaborer à partir des constats de la recherche, une formation qui allait sensibiliser les intervenants à la valorisation du rôle du père, rendre les environnements et les pratiques sympathiques aux pères et créer une mobilisation autour de l’engagement paternel dans les différentes régions du Québec.

La formation, son contenu et la pédagogie utilisée

La formation Pères en mouvement / Pratiques en changement propose une formule souple de quatre ateliers de trois heures qu’on peut donner en continue ou non, et qui possèdent chacun un objectif distinctif. Les formateurs disposent d’un guide et les participants, de quatre cahiers correspondant à chacun des ateliers (Ouellet et Forget 2001).

Les objectifs des ateliers

Atelier 1

Avoir une meilleure compréhension de l’importance de l’engagement paternel.

Atelier 2

Pouvoir développer des services et organismes sympathiques aux pères.

Atelier 3

Disposer de pistes d’intervention concrètes pour favoriser des pratiques qui font davantage de place aux pères.

Atelier 4

Connaître des moyens permettant de développer des actions intersectorielles locales susceptibles de susciter, encourager ou maintenir l’engagement paternel au sein de la communauté.

Les ateliers ne proposent pas un modèle de pratique. Ce sont des ateliers de sensibilisation qui visent à familiariser davantage les participants avec le sujet de l’engagement paternel, à susciter des questionnements sur les pratiques et à donner le goût d’essayer de nouvelles façons de faire.

Une co-animation mettant en présence un homme et une femme est privilégiée. Les groupes comprennent 15 à 20 personnes d’une même communauté. S’y retrouvent en majorité des intervenants sociaux, de la santé et du communautaire, et aussi des gens de centres à la petite enfance et des écoles. La session est en soi une action locale puisqu’elle offre ainsi l’occasion à des partenaires d’un même territoire de se connaître davantage et de développer une vision commune de l’engagement paternel et des moyens de valoriser le rôle du père.

Les formateurs demandent aux directeurs d’organisme de déléguer en priorité des intervenants masculins afin que les groupes soient constitués d’une bonne proportion d’hommes. Cela représente un défi puisqu’en général 80 % du personnel des organismes visés est composé de femmes. Cette exigence a pour effet de faire valoir la présence des intervenants masculins au sein des organismes et de conférer à ces derniers une responsabilité par rapport à la paternité. Elle permet en outre de constituer des groupes mixtes dans lesquels les hommes comme les femmes font part de leurs points de vue et de leurs expériences.

Des connaissances à transférer

Les ateliers réservent une place importante aux connaissances scientifiques. Issues de ProSpère et des écrits, celles-ci sont transmises principalement par de brefs exposés. On y retrouve treize éléments liés tantôt à la thématique de l’engagement paternel, tantôt à l’intervention.

Selon qu’ils sont placés en début ou en fin d’activité, les exposés amorcent les activités de discussion ou servent à faire des synthèses. En plus, les formateurs apportent des textes de référence (livres, revues, énoncés de politique, rapports de recherche) et des outils (programmes, vidéos, brochures, dépliants, affiches, magazines, etc.). Certains de ces outils sont des moyens originaux de communication développés par ou avec les chercheurs de ProSpère[5] , et les autres ont été glanés ici et là au Québec ou ailleurs. En cours d’atelier, on incite les participants à consulter ces productions, et on leur demande d’apporter leurs propres références pour enrichir cette banque d’écrits et d’outils.

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Une animation inspirée de la pédagogie des adultes

Le plan de formation s’inspire des principes de la pédagogie des adultes (Dennery 2000). Il s’appuie sur une approche à l’horizontale, circulaire et interactive, qui amène les participants à bâtir leurs connaissances en interaction avec le savoir accumulé par la recherche, mais aussi à partir de réflexions individuelles et de travaux de groupes. Ainsi, au premier atelier, les participants sont invités à mettre en commun leurs opinions sur l’engagement paternel et sur l’évolution du rôle du père, ce qui entraîne inéluctablement des débats de fond sur les rapports hommes-femmes. Par la suite, plusieurs mises en situation sont proposées. Par exemple, au deuxième atelier, les participants font l’exercice de planifier le réaménagement d’un service, de préparer une opération de démarchage auprès des pères ou encore de réviser un outil de travail. À une autre occasion, au cours du troisième atelier, ils réfléchissent à la place accordée aux pères et aux façons de les soutenir dans des situations fictives de demande d’aide en lien avec un problème d’un enfant. On réserve des moments pour la présentation de projets ou d’interventions pour les pères, se déroulant dans leur communauté ou ailleurs. Enfin, des animations telles que la mise en train par un exercice en triade ou encore le questionnaire individuel sur les pratiques sont destinées à favoriser la réflexion personnelle.

Des exemples d’activité

Mise en train par un exercice en triade.

Nous sommes au début du premier atelier. Les participants viennent d’exprimer leurs attentes et de prendre connaissance des objectifs de la formation. Les formateurs leur demandent de se lever, d’aller vers des gens qu’ils ne connaissent pas, de se regrouper en triade, de se présenter et de parler d’un souvenir de leur père, de ce qu’il faisait ou fait encore à leur égard et qu’ils aiment bien. Les animateurs participent à l’une ou l’autre des triades. Après une dizaine de minutes, les participants regagnent leur place et les formateurs reviennent rapidement sur l’exercice en soulignant qu’il a été conçu comme une façon de faire un clin d’oeil à la vie et dans le but de réaliser que le sujet de l’engagement paternel n’est pas neutre, qu’il éveille des sentiments, des images et des émotions.

Questionnaire sur la place des pères dans les pratiques et organismes.

Au début du deuxième atelier, les participants sont conviés à remplir un questionnaire individuel qui les amène à faire le point sur la place que les pères occupent dans leur lieu de travail. Ce questionnaire, adapté d’un outil développé aux États-Unis par Levine, Murphy et Wilson (1993), comporte une quarantaine d’éléments. Par exemple, on leur demande si les locaux de leur organisme sont aussi invitants pour les pères que pour les mères; si, lorsque la mère vit seule avec ses enfants, ils s’informent de l’existence d’une figure paternelle dans la vie des enfants; si leurs dossiers contiennent des informations autant sur les pères que sur les mères. Les participants discutent ensuite de leurs réponses en grand groupe. Après l’atelier, les formateurs font une compilation de tous les questionnaires, en dégagent les points forts et les points faibles; puis, au début de l’atelier suivant, ils font part des résultats aux participants.

Le plan de formation comprend en tout une douzaine d’activités et propose un horaire. Dans les faits, il sert de guide et le formateur l’adapte en fonction de son expérience et des besoins de son groupe. Il importe que la formation demeure un chantier ouvert à l’initiative des gens. Les ateliers se déroulent dans une atmosphère de détente et de plaisir qui diffère de celle qui prévaut bien souvent dans les lieux de travail. L’accueil des participants est particulièrement soigné. À la première rencontre, les animateurs préparent la salle, disposent à chaque place un cahier du participant. À mesure que les participants arrivent, ils vont à leur rencontre, font connaissance avec eux et s’enquièrent de leurs expériences de travail. Les ateliers de l’après-midi commencent souvent sur une note amusante. Ainsi, il arrive qu’un participant masculin soit sollicité pour raconter une histoire de pêche ou de chasse. Ce type d’activité met de la vie dans le groupe en même temps qu’il imprègne le déroulement des ateliers d’une couleur masculine. Afin de favoriser les contacts et de resserrer l’horaire, on planifie les dîners sur place.

La production d’une formation en quatre temps

Les concepteurs de la formation ont, sur une période de cinq ans, réalisé quatre étapes de production. Le travail sur le contenu s’est fait en interaction avec celui sur la pédagogie. Le graphique suivant illustre le processus de production du plan de formation.

L'itinéraire de la formation, en quatre temps

L'itinéraire de la formation, en quatre temps

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Temps 1 — Essais préliminaires dans un contexte provincial plus ou moins favorable

En 1996, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, déjà sensibilisé à l’importance de la promotion du rôle paternel par le désormais célèbre rapport « Un Québec fou de ses enfants» (Gouvernement du Québec 1991), s’apprête à inscrire dans «Les priorités nationales de santé publique, 1997-2002» (Gouvernement du Québec 1997), un objectif visant à inclure systématiquement un volet sur la valorisation du rôle des pères et sur l’engagement de ceux-ci dans les programmes en périnatalité et en petite enfance. Les concepteurs de la formation contactent alors le service de formation du ministère afin qu’il assume les opérations et les coûts reliés à la production de guides de formation, à la diffusion et à l’évaluation de formations provinciales. Ils apprennent cependant que ce service est en voie de démembrement. Ne pouvant compter sur un appui gouvernemental, ils élaborent de leur propre chef un contenu à partir des premiers enseignements de ProSpère et le valident lors de trois essais préliminaires. Ces formations préliminaires d’une durée d’une journée contiennent déjà 30 % du contenu et 15 % des moyens pédagogiques utilisés dans le plan de formation final.

Temps 2 — Première expérience dans un contexte institutionnel régional favorable

Dès 1999, la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre qui vient d’hériter de la responsabilité de la formation dans sa région, accepte la proposition des concepteurs, eux-mêmes professionnels de santé publique au sein de cet organisme, d’inscrire l’engagement paternel au nombre de ses priorités de formation. Avec le soutien d’un andragogue et d’un comité aviseur composé de représentants des milieux de pratiques, soit les CLSC, Centres Jeunesse et groupes communautaires, un plan de formation plus étoffé est élaboré. Les concepteurs l’expérimentent en 1999 auprès d’une quinzaine d’intervenants d’un des sites de la recherche-action de ProSpère et font l’évaluation avec eux. Le contenu et les outils pédagogiques de cette expérimentation représentent respectivement 75 % et 65 % du produit final.

Temps 3 — Deuxième expérience à partir d’une opportunité institutionnelle provinciale favorable

Ayant désormais en leur possession un guide du formateur et quatre cahiers du participant, les concepteurs retournent auprès des instances provinciales de la santé publique, dont le tout nouvel Institut national de santé publique du Québec auquel on vient de donner un mandat de formation. À partir d’une modeste subvention provinciale, ils expérimentent en 2000 leur produit dans trois territoires: urbain, semi urbain et rural, auprès d’une cinquantaine de participants en tout. Dans deux cas, un intervenant local co-anime les groupes avec un des concepteurs de la formation. Le but de cette nouvelle expérimentation est de vérifier si le contenu est adapté aux réalités rurales ou urbaines des communautés qui recouvrent les territoires de CLSC du Québec et de voir si des intervenants locaux peuvent prendre la relève comme formateurs. L’évaluation auprès des participants combinée à des entrevues auprès des co-animateurs permet de bonifier un contenu qui est alors à 85 % de son état final.

Temps 4 — La formation des formateurs, une diffusion grâce à une alliance institutionnelle provinciale et régionale

Au printemps 2001, à partir d’un produit éprouvé et avec l’appui des instances provinciales et régionales de santé publique, une cinquantaine d’intervenants et professionnels de CLSC, de groupes communautaires et de directions de santé publique — 30 hommes et 20 femmes — en provenance de 11 des 16 régions du Québec sont initiés à devenir des formateurs dans leur propre région. À la fin de la formation, environ 90 % des participants se montrent satisfaits et 81 % se disent prêts à reproduire la formation.

Estimant qu’une formation ne peut à elle seule assurer la transformation des pratiques, les concepteurs développent par la suite des moyens destinés à créer un réseau provincial d’intervenants intéressés à la promotion de l’engagement paternel. Ainsi, les participants aux formations reçoivent depuis juin 2002 un bulletin de liaison «Pères en mouvement, pratiques en changement». Ce bulletin fait état des réalisations dans les régions et propose des pistes de réflexions. Ils peuvent en plus consulter une page Web (http://www.graveardec.uqam.ca). De plus, une journée de réflexion et d’échanges dont l’objectif est de faire un retour sur la formation et ses suites dans les régions est organisée en novembre 2002, et une cinquantaine de formateurs y participent.

La diffusion dans les régions et ses retombées

Durant l’année qui a suivi leur formation, une dizaine de formateurs ont organisé des ateliers dans leurs milieux, de telle sorte qu’à la fin de l’année 2002, environ 500 personnes en provenance de six régions différentes avaient participé aux quatre ateliers. Une de ces régions a formé à elle seule 125 personnes et compte maintenant un noyau de 25 intervenants intéressés à mettre en place des plans d’actions locaux et cinq comités sur la paternité à l’intérieur des CLSC. Deux autres régions se sont inspirées du contenu des ateliers pour organiser un colloque destiné à créer une mobilisation au sujet de la paternité, colloque qui a été, dans les deux cas, suivi de la mise en place de comités destinés à poursuivre l’action. À la journée provinciale de suivi de novembre 2002, l’ensemble des participants conclut que la formation avait contribué à sensibiliser un nombre important d’intervenants. Cependant, ajoutaient-ils, les contextes actuels de travail, souvent peu favorables à l’innovation, faisaient en sorte qu’ils n’avaient pas la chance d’aller aussi loin qu’ils le voulaient dans le changement de leurs pratiques. On convenait aussi de la nécessité de prévoir une deuxième étape de formation destinée à inspirer davantage les milieux de pratique sur les façons de rejoindre les pères, et d’élargir encore plus le partenariat aux autres secteurs d’activité que ceux de la santé, des services sociaux et du communautaire.

La formation comme outil de transfert des connaissances

Les chercheurs ont peu écrit sur les expériences de formation, et encore moins sur la formation comme moyen de diffuser les résultats d’une recherche. Cela s’explique peut-être par le fait que les chercheurs universitaires ne sont guère présents dans les programmes de formation s’adressant aux organisations et que ce sont plutôt les bureaux de consultants qui répondent à ces besoins (Deslauriers et Hurtubise 1997). La formation Pères en mouvement / Pratiques en changement s’est pourtant révélée être un moyen efficace de diffuser les connaissances de recherche vers les milieux de pratiques comme l’illustrent les suivis donnés dans les différentes régions du Québec.

Le processus de production de cette formation se rapproche lui-même de la démarche de recherche et, particulièrement, de celle de la recherche participative, lieu de construction des connaissances à partir d’un aller et retour entre le savoir théorique et le savoir d’expérience (Green et al. 1995). Les ateliers ont en effet été bâtis au fil des ans par des chercheurs qui ont donné l’occasion aux participants de divers milieux de faire valoir leurs connaissances basées sur la pratique quotidienne. Cette approche reprend le principe selon lequel l’humain intègre davantage l’information qu’il reçoit lorsqu’il peut la mettre en application (Abbott cité dans Torjman et al. 2001).

Il peut s’avérer acceptable pour les chercheurs de concentrer leurs efforts à informer la communauté scientifique puis, en revanche, de faire appel à des courtiers d’information, des professionnels dont c’est la spécialité de traduire les résultats à l’intention de publics cibles (Blackburn et Demers 1996; Lesemann 1997). Cette avenue n’est pas celle choisie par l’équipe de recherche ProSpère, sans doute parce que des chercheurs institutionnels en relation fréquente avec les milieux de pratiques en font partie (Bouchard et al., à paraître). La présente formation a exigé une grande disponibilité[6] de la part des chercheurs qui l’ont élaborée et diffusée. Elle a mis à l’épreuve leurs habiletés en éducation des adultes, en communication et en promotion. Ils ont eu en retour l’opportunité d’aller à la rencontre d’intervenants et de confronter des éléments théoriques à la pratique. Le contact rapproché avec les intervenants a permis de confirmer des données de recherche et d’ouvrir de nouvelles perspectives de travail. Ainsi, de sessions en sessions, à la question «en quoi les pères sont-ils différents des mères?», les participants répondaient que les pères sont plus physiques, plus tournés vers le jeu. «Le père, c’est celui qui lance son enfant dans les airs pour lui donner confiance en lui», disait un participant. Des bénévoles de groupes de pères ont attiré l’attention sur la nécessité de s’intéresser au concept de co-parentalité. Des intervenants masculins de CLSC ont signalé la difficile conciliation au sein de leurs organismes entre les objectifs des comités sur la violence faite aux femmes et ceux de comités sur la paternité.

Autre constatation, l’importance accordée au suivi de la formation et la mise au point de dispositifs favorisant la création d’un réseau correspondent à ce que des auteurs nomment une structure de soutien à la connaissance (Roy, Guindon et Fortier 1995).

Conclusion

La formation Pères en mouvement / pratiques en changement est un des moyens de diffusion mis en place par ProSpère, un groupe de recherche sur la promotion de l’engagement paternel qui a mis l’accent depuis le début de ses travaux sur le transfert des connaissances. En plus de rejoindre un nombre important de participants dans plusieurs régions du Québec, cette formation a réussi à constituer un réseau d’intervenants mobilisés, soit des travailleurs sociaux de CLSC, des intervenants de groupes communautaires qui se préoccupent de la famille, ou encore des professionnels en enfance-famille dans les directions de santé publique.

Ce noyau québécois de gens mobilisés autour de la promotion du rôle du père aura fort à faire dans les années à venir. Les moyens mis en place pour construire leur réseau (page web, bulletin, colloque annuel, etc.) devront être consolidés. La valorisation du rôle paternel n’est pas inscrite dans le «Programme national de santé publique 2003-2012», tant et si bien qu’il leur faudra saisir toutes les opportunités de faire progresser la préoccupation de la paternité à travers les orientations et programmes nationaux visant le renforcement de la famille et le développement des enfants. Enfin, il faut espérer qu’il leur sera possible de créer des alliances de recherche et d’action avec d’autres secteurs d’activités où les pères se retrouvent, soit les milieux de garde, le milieu juridique et les services de médiation familiale, le secteur de l’emploi, les gens des loisirs et des sports.