Éditorial

Travail et mieux-être[Notice]

  • Marc Charron et
  • Marie-Luce Garceau

La société industrielle a érigé le couple travail et sécurité comme grand compromis de la question sociale. Aujourd’hui, nous assistons à la métamorphose de ce couple pour laisser place aux désaffiliations et aux exclusions. Pour ce numéro, en faisant écho aux propos de Castel (1994), nous cherchions à explorer le lien entre le travail et l’insertion ou l’intégration sociale. Dans le contexte économique actuel, marqué par la mondialisation des marchés, l’âpreté de la concurrence internationale, la progression des nouvelles technologies, la remise en cause des interventions de l’État dans les domaines social, de santé et communautaire, il faut se demander si le travail demeure au centre des stratégies d’insertion et d’intégration en vue de favoriser le mieux-être des collectivités. Dans notre monde, l’idéologie dominante de la réussite économique met de l’avant l’épanouissement de l’homme grâce au travail. Pourtant, la souffrance au travail existe et si le travail peut être source de bonheur, il semble bien que sa face cachée y figure aussi. Deux exemples nous viennent immédiatement à l’esprit pour illustrer les difficultés d’intégration au marché du travail qu’éprouvent de nombreuses personnes. Récemment, le gouvernement ontarien annonçait qu’il augmenterait le salaire minimum. En 2003, le taux horaire de 6,85 $ permet à une personne seule travaillant quarante heures semaine, de disposer d’un revenu annuel avant impôt de 14 248 $. Ce revenu est déjà inférieur de près de 700 $ au seuil estimé de faible revenu avant impôt pour une personne seule dans une agglomération de moins 30 000 habitants, soit 14 940 $ en 2001 (Conseil national de bien-être social 2002: 161), faut-il le souligner. Et même en haussant le taux horaire à 7,15$ en 2004 et en l’amenant graduellement à 8,00 $ l’heure en 2007, le gouvernement sait très bien, que le fossé entre le revenu réel de base et le seuil de faible revenu se creusera davantage. Ainsi, cette augmentation du salaire horaire réduit à la pauvreté les travailleurs. Aux dires du Conseil national du bien-être social, «le fait d’occuper un emploi est loin de constituer une pleine garantie contre la pauvreté. Plus de 40 pour cent des familles canadiennes vivant dans la pauvreté en 1999 […], avaient comme chef de famille une personne qui occupait un emploi. Les mères seules travaillant à temps plein et à l’année avaient un taux de pauvreté de 19,7 pour cent » (2002: 8). Le processus de marginalisation est déjà bien visible à ce niveau. Selon Castel (1994), dans une typologie qui distingue un processus de décrochage comportant trois zones (intégrée, vulnérable, désaffiliée), nous serions ici dans une zone de vulnérabilité. «Cette zone de vulnérabilité, en particulier, occupe une position stratégique. C’est un espace social d’instabilité, de turbulences, peuplés d’individus précaires dans leur rapport au travail et fragiles dans leur insertion relationnelle. D’où le risque de basculement dans la dernière zone, qui agit ainsi comme une fin de parcours. C’est la vulnérabilité qui alimente la grande marginalité ou la [zone de] désaffiliation», caractérisée par l’absence de travail et l’isolement relationnel» (Castel 1994: 16). Un programme comme Ontario au travail vise particulièrement cette dernière «clientèle». Sans rappeler les origines d’un tel programme, que la revue Reflets a évoqué à plusieurs reprises, soulignons que la réforme de l’aide sociale, initiée par le gouvernement Harris, établissait une distinction entre les aptes et les inaptes au travail. Pour les personnes aptes au travail, on les obligeait pour recevoir des prestations, à prendre part à certaines mesures d’employabilité propres à favoriser leur intégration rapide au milieu du travail, d’où le nom évocateur du programme Ontario au travail . Cela dit, le but politique de la réforme …

Parties annexes