Presque trente ans ont passé depuis la parution des premiers textes sur l’intervention féministe, dix ans depuis la tenue du premier colloque sur l’intervention féministe en Ontario et sept ans depuis le premier colloque franco-ontarien sur l’agression à caractère sexuel. De tels délais commandent un regard renouvelé sur les modèles d’intervention féministe. Qu’est-il advenu de ces modèles d’intervention? Comment ont-ils évolué? Les intervenantes féministes ont-elles défini des pratiques d’intervention spécifiques au contexte d’intervention minoritaire? Et quels sont les défis auxquels elles sont confrontées? C’est à ces questions que nous tenterons brièvement de répondre, en les appliquant plus particulièrement, mais non exclusivement, aux interventions liées à l’agression à caractère sexuel. Après avoir présenté quelques définitions ainsi que les fondements de l’intervention féministe dans les situations d’agression sexuelle, nous analyserons certains modèles de pratique présents en Ontario français. En effet, la problématique de l’agression sexuelle est l’une des premières thématiques à avoir regroupé les militantes féministes de la première heure dans l’Est ontarien. Ce texte cherche ainsi à franchir les frontières de la culture orale et à mieux documenter les pratiques d’intervention. Car, comme le soulignaient (déjà en 1992) Maria De Koninck et Sylvie Savard, pour le contexte québécois : Dans ce but, nous avons eu recours à des sources d’information diversifiées. Nous avons dépouillé des documents produits par divers organismes dont la mission première est d’offrir des services aux femmes victimes d’agression sexuelle. Nous nous sommes aussi appuyées sur des entrevues de groupe auprès de six (6) intervenantes féministes oeuvrant au sein d’organismes communautaires et institutionnels de l’Est ontarien, réalisées par une des auteures dans le cadre de son mémoire. Toutefois, nous ne prétendons pas documenter l’ensemble de la réalité des pratiques en Ontario français; notre intention est plutôt de jeter les premières bases pour faciliter leur analyse. En effet, cette recherche vise à dépasser la simple description pour s’inscrire dans une démarche de consolidation de l’intervention féministe. Car, comme De Koninck et Savard (1992) notaient que la recherche théorique sur l’intervention féministe était trop souvent absente, sans vouloir l’enfermer dans « une orthodoxie », il est essentiel de démontrer son évolution, de la situer dans sa mouvance et dans cette dynamique qui fait son originalité, le lien théorie/pratique. Il s’agit donc de « dépasser le descriptif et de lui donner les assises nécessaires à sa poursuite et à son raffinement » (p. 60), de dépasser le côté technique de l’intervention féministe pour la situer dans une perspective politique, celle de la dynamique de la transformation des rapports sociaux de sexe. Et comme Helen Levine (1989, in de Koninck et Savard (1992)), le souligne : Mais tout d’abord, situons brièvement les origines des approches féministes d’intervention. Dès leur origine, dans les années soixante-dix, les modèles féministes d’intervention s’inspirent de trois lieux d’ancrage : les critiques, souvent universitaires du sexisme en psychothérapie, l’expérience des groupes féministes de réflexion aussi nommés consciousness-raising groups et, enfin, l’intervention radicale, elle-même fille du courant critique de l’anti-psychiatrie. Dans la mouvance de la renaissance du mouvement des femmes dans les années soixante-dix, des spécialistes s’interrogent sur la pertinence de la psychothérapie traditionnelle auprès des femmes. La multidisciplinarité est à l’ordre du jour. Psychologues, psychiatres et sociologues inscrits dans divers milieux de recherche et d’intervention aux États-Unis publient une somme intitulée Women in Therapy (Franks et Burtle 1974). Ils ouvrent de nouvelles pistes d’intervention sur des thèmes aussi diversifiés que l’alcoolisme, l’homosexualité féminine, le divorce, la santé mentale, et jettent un regard critique sur plusieurs approches traditionnelles que ce soient la thérapie cognitive, la gestalt ou encore la théorie freudienne. La thérapie féministe, terme utilisé alors aux …
Parties annexes
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