La reconnaissance du harcèlement sexuel en milieu de travail comme problème social est assez récente. Autrefois qualifié « d’invisible » en raison des nombreuses lacunes sur la compréhension du sujet et du fait que le phénomène ne possédait pas de nom comme tel (Weeks, Boles, Garbin et Blount 1988 : 431; 444; 449), le harcèlement sexuel est aujourd’hui devenu l’objet d’intérêt de plusieurs chercheurs et chercheures et un enjeu pour les tribunaux canadiens et américains (Lippel et Demers 1998 : 9). De nombreux ouvrages se sont attardés non seulement à définir le problème, ses nombreuses composantes et ses différentes formes, mais ils ont, de plus, fait valoir le besoin de développer des stratégies pour en contrer les incidents en milieu de travail. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, la stratégie privilégiée par les entreprises a consisté à instaurer une politique spécifique contre le harcèlement ou les manifestations de sexisme en milieu de travail et à en confier la gestion à des agents des plaintes. Or, malgré la présence de ces politiques, le harcèlement sexuel en milieu de travail persiste. Encore récemment, des recherches ont nettement fait voir que ce type de harcèlement existe réellement en milieu de travail, que les taux en sont relativement élevés et que ce sont les femmes qui en demeurent les principales cibles (Welsh et Nierobisz 1997; Crocker et Kalemba 1999; Dupuis, 1998; Welsh, Dawson et Griffiths 1999a). Plusieurs études révèlent aussi que les femmes tendraient particulièrement à éviter leur offenseur plutôt qu’à dénoncer le harcèlement sexuel dont elles sont victimes dans les milieux de travail dominés par les hommes (Gutek et Koss 1993; Thacker 1994; Stanton 1992; Gauvin, Marcoccio et Guérette-Breau 1999; Rowe, 1990; VanRoosmalen et McDaniel, 1998). On peut donc penser que le nombre de plaintes déposées au sein des entreprises et des organismes publics par les victimes de harcèlement sexuel ne reflète pas la prévalence du phénomène. L’écart important entre cette prévalence supposée et les plaintes formelles déposées par les victimes est problématique et sert de point de départ à cette recherche. Selon nous, en effet, cet écart soulève deux questions importantes: (1) pourquoi les politiques instaurées dans les entreprises depuis les quinze dernières années n’arrivent-elles pas à éliminer le problème et (2) pourquoi les victimes sont-elles réticentes à témoigner lorsqu’il y a incident, qu’elles en soient victimes ou témoins, si elles sont protégées par une législation ou une politique? Des réponses partielles ont été apportées à ces questions. Ces réponses, généralement, portent sur une analyse des symboliques sexistes de notre société et sur les éléments indispensables devant assurer l’efficacité des politiques ou des programmes mis en place. Mais peu de recherches cependant ont porté sur la question de la mise en application de ces politiques et notamment sur les agents qui en sont responsables. La présente recherche a donc examiné de plus près les éléments entourant l’efficacité des politiques en vigueur dans des milieux de travail traditionnellement masculins et dans des syndicats de travail représentant ces milieux, en utilisant une approche féministe et organisationnelle — approche qui part de l’idée selon laquelle le harcèlement sexuel est le produit d’une société patriarcale et qu’il est, de plus, lié à la culture organisationnelle (masculine) des entreprises. La question générale de recherche se résume ainsi : y a-t-il congruence entre les énoncés de politiques contre le harcèlement sexuel et la perception des agents responsables de leur mise en application? Afin de répondre à cette question, il a fallu procéder à deux démarches analytiques : tout d’abord, établir une comparaison entre différentes politiques d’entreprises ou de syndicats représentant des milieux de travail non traditionnel pour les femmes; …
Parties annexes
Bibliographie
- CONNELL, Dana S. (1991a). « A Court-Mandated Sexual Harassment Policy ». Employment Relations Today, vol. 18, no 4, 433-442.
- CONNELL, Dana S. (1991b). « Effective Sexual Harassment Policies: Unexpected Lessons From Jacksonville Shipyards ». Employee Relations Law Journal, vol. 17, no 2, 191-206.
- CROCKER, Diane et Valéry KALEMBA (1999). « The Incidence and Impact of Women’s Experiences of Sexual Harassment in Canadian Workplaces ». The Canadian Review of Sociology and Anthropology, Novembre, vol. 36, 541-558.
- DRAPEAU, Maurice (1991). Le harcèlement sexuel au travail. Cowansville: Les Éditions Yvon Blais Inc.
- DUPONT, Natalie (2001). Politiques contre le harcèlement sexuel: comparaison et perception des agents et des plaignantes. Thèse de M.A., Université Laurentienne, juin. Non publiée.
- DUPUIS, Renée (1998). La Commission canadienne des droits de la personne et les plaintes de harcèlement sexuel. Rapport final remis à la Commission canadienne des droits de la personne. Ottawa: Commission canadienne des droits de la personne, mai.
- FITZGERALD, Louise F., DRASGOW, Fritz, HULIN, Charles L., GELFAND, Michele J. et Vicki J. MAGLEY (1997). « Antecedents and Consequences of Sexual Harassment in Organizations: A Test of an Integrated Model ». Journal of Applied Psychology, vol. 82, no 4, 578-589.
- FLAXMAN, Howard R. et Brian F. JACKSON (1994). « New Considerations for Hostile Working Environment ». HR Focus, mars, vol. 71, no 3, 18-19.
- GANZEL, Rebecca (1998). « What Sexual Harassment Really Prevents ». Training, October, vol. 35, no 10, 86-94.
- GAUVIN, Monique (1991). « Le harcèlement sexuel et sexiste comme pratique d’appropriation des femmes: la situation dans les universités canadiennes ». Égalité. Revue acadienne d’analyse politique, printemps, 189-233.
- GAUVIN, Monique, MARCOCCIO, Katherine et Alice GUÉRETTE-BREAU (1999). Le harcèlement sexiste, le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle à l’Université de Moncton. Rapport du sondage mené auprès des étudiantes et des employées au centre universitaire de Moncton. Moncton: Groupe de recherche et d’intervention sur le harcèlement sexuel et sexiste en milieu d’enseignement francophone, février.
- GIBSON, Paul C. et Kathryn PISCITELLI (1995). Sexual Harassment Manual for Managers and Supervisors. How to Prevent and Resolve Sexual Harassment Complaints in the Workplace. Second Edition, Chicago, IL: CCH Incorporated.
- GUTEK, Barbara A. et Mary P. KOSS (1993). « Changed Women and Changed Organizations: Consequences of and Coping with Sexual Harassment ». Journal of Vocational Behavior, vol. 42, 28-48.
- LIPPEL, Katherine et Diane DEMERS (1998). L’accès à la justice pour des victimes de harcèlement sexuel: l’impact de la décision Béliveau-St-Jacques sur les droits des travailleuses à l’indemnisation pour les dommages. Condition féminine Canada, mars.
- MATUSEWITCH, Eric (1998). « Developing and Publicizing Effective Sexual Harassment Policies». Andrews Sexual Harassment Litigation Reporter, Commentary, November 5th.
- RAGINS, Belle Rose et Terri A. SCANDURA (1995). « Antecedents and Work-Related Correlates of Reported Sexual Harassment: An Empirical Investigation of Competing Hypotheses ». Sex Roles, vol. 32, nos 7-8, 429-455.
- ROWE, Mary P. (1990). « People Who Feel Harassed Need a Complaint System With Both Formal and Informal Options ». Negociation Journal, avril, vol. 6, no 2, 1-12.
- SAVOIE, Dominique et Viateur LAROUCHE (1988). « Le harcèlement sexuel au travail. Définition et mesure du phénomène ». Relations industrielles, vol. 43, no 3, 509-528.
- SEV’ER, Aysan (1999). « Sexual Harassment: Where We Were, Where We Are and Prospects for the New Millennium. Introduction to the Special Issue ». The Canadian Review of Sociology and Anthropology, novembre, vol. 36, no 4, 469-497.
- SMITH, Deborah (1995). « Sexual Harassment in the Workplace. The Silent Oppression ». The Social Worker/Le Travailleur Social, Summer/été, vol. 63, no 2, 85-88.
- STANTON, Danielle (1992). « Harcèlement sexuel: alors on fait quoi? ». La Gazette des femmes, vol. 14, no 1, 13-20.
- TERPSTRA, David E. et Douglas D. BAKER (1988). « Outcomes of Sexual Harassment Charges ». Academy of Management Journal, vol. 31, no 1, 185-194.
- THACKER, Rebecca A. (1994). « Innovative Steps to Take in Sexual Harassment Prevention ». Business Horizons, janvier-février, vol. 37, 29-32.
- VAN ROOSMALEN, Erica et Susan A. MCDANIEL (1998). « Sexual Harassment in Academia : A Hazard to Women’s Health ». Women and Health, vol. 28, no 2, 33-54.
- WEEKS, Elaine L., BOLES, Jacqueline M., GARBIN, Albeno P. et John BLOUNT (1988). « The Transformation of Sexual Harassment from Private Trouble into a Public Issue ». Sociological Inquiry, vol. 54, no 2, 432-455.
- WELSH, Sandy, DAWSON, Myrna et Elizabeth GRIFFITHS (1999a). Les plaintes de harcèlement sexuel déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Condition féminine Canada, septembre. [document informatisé] www.swc-cfc.gc.ca/publish/research/chra-welsh-f.pdf.
- WELSH, Sandy et Annette NIEROBISZ (1997). « How Prevalent is Sexual Harassment: A Research Note on Measuring Sexual Harassment in Canada ». Canadian Journal of Sociology, automne, vol. 22, no 4, 505-522.