Éditorial

Le genre en contexte: pratiques sociales et représentations[Notice]

  • Christiane Bernier,
  • Cécile Coderre et
  • Jacinthe Michaud

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  • Christiane Bernier
    Université Laurentienne

  • Cécile Coderre
    Université d’Ottawa

  • Jacinthe Michaud
    Collège Glendon, Université York

Les chercheures féministes n’en finissent pas de tenter de mettre au jour — pour les déconstruire — les places inéquitables réservées aux femmes dans les structures sociales et les pratiques quotidiennes. Travail opiniâtre et incontournable. Parce que la légitimité octroyée à ces places et à ces pratiques réside d’abord dans la pensée, c’est-à-dire dans les représentations; et que celles-ci ont la vie dure, particulièrement en ce qui concerne l’idée que l’on se fait de la nature des hommes et des femmes et de ce que devraient être naturellement leurs rapports et donc, les espaces de chacun. On s’en rendra compte de nouveau dans ce numéro de Reflets qui présente des situations sociales où l’on peut voir, encore et toujours, comment les femmes sont exploitées au travail, comment leur présence dans les emplois non traditionnels se joue au risque de leur intégrité corporelle, comment on leur accorde peu d’espace de parole, même si elles sont des professionnelles de la santé, ou comment les représentations négatives que notre monde produit de la ménopause et des femmes ménopausées peuvent affecter leur façon d’intervenir sur leur corps. Pour ne souligner que ces questions. Mais pourquoi avoir choisi de regrouper l’ensemble des problématiques de ce numéro sous la question du genre plutôt que sous celle, plus fréquemment utilisée en français, de rapports sociaux de sexe ? Notre choix théorique, nous semble-t-il, demande explication. Ce qui nous oblige à prendre un peu de recul face à nos outils conceptuels. Depuis la fin des années soixante, les féministes ont déployé divers concepts théoriques permettant d’identifier et de nommer les constructions idéologiques relatives à la gestion sociale des différences sexuelles. Très tôt, elles ont compris que parler de « stéréotypes sexuels » ne faisait que décrire une situation de fait, sans l’expliquer réellement. Leurs analyses ont aussi très vite mis en évidence deux constats fondamentaux. Tout d’abord le fait que, s’il y a effectivement des différences sexuelles strictement biologiques, l’utilisation qui en est faite est, elle, inévitablement construite socialement (Delphy, 2001). En deuxième lieu, le fait que la notion même de nature, utilisée pour identifier le masculin et le féminin, renvoie nécessairement à une représentation et est donc, elle aussi, construite socialement (Guillaumin, 1992). Ce qui est alors apparu, c’est qu’il fallait développer un ensemble de concepts qui permettent de rappeler constamment le caractère social de cette construction, en distinguant le sexe « biologique » du sexe « social ». Comme le rappellent avec humour Gardey et Löwy: Cette production théorique s’est donc développée dans les années qui ont suivi en fonction de traditions universitaires différentielles (française et anglo-saxonne) et selon l’historicité propre à chaque lieu de réflexion. Du côté français, les féministes, dans la lignée de la critique marxiste, en arriveront à développer les notions de sexage, sur le modèle d’esclavage (Guillaumin, 1992), et celle de rapports sociaux de sexe, sur celui de l’analyse des rapports sociaux de classe (Daune-Richard et Devreux, 1992), l’un et l’autre concept voulant rendre compte de l’inégalité des rapports entre les hommes et les femmes. Toutefois, c’est la dernière terminologie qui s’imposera dans la suite de la production théorique sur le sujet. Du côté anglo-saxon, tant en Angleterre qu’aux États-Unis, apparaît, dans la foulée des réflexions « Black », le terme gender (on a ainsi eu tôt fait de transférer sur le genre les analyses développées lors de la dénonciation de la discrimination raciale). Le concept de genre avait également, tout comme la notion française de rapports sociaux de sexe, pour objectif de distinguer les différences biologiques de sexe, perçues comme innées, des attributs de sexe considérés comme acquis (Oakley, …

Parties annexes