Corps de l’article
La gestion des associations : un titre un peu austère pour un ouvrage publié dans une collection de sociologie économique. Celui-ci n’est pas trompeur car c’est bien de gestion des associations qu’il est question, mais il pourrait laisser penser au lecteur qu’il va ouvrir un simple manuel rassemblant des conseils et des prescriptions à destination des responsables d’association. Or il n’en n’est rien. Au fil de cet ouvrage, les quatre auteurs s’engagent dans une réflexion argumentée à la fois analytique et pratique en faveur de la construction d’outils de gestion adaptés à la réalité associative afin d’éviter le transfert sans précaution des outils et des technologies de gestion élaborés pour des entreprises classiques.
La démonstration se fait en trois temps. Dans une première partie, correspondant au premier chapitre, les auteurs s’attachent à démontrer deux choses : d’abord, que les associations doivent être distinguées des entreprises même si elles en partagent plus ou moins certaines caractéristiques au cours de leur histoire ; ensuite, que les associations ont un réel besoin d’outils et de pratiques de gestion dans leur quête de légitimité et de crédibilité. S’inscrivant explicitement dans le prolongement des travaux de Renaud Sainsaulieu et de Jean-Louis Laville, les auteurs s’appuient sur un modèle de l’association construit autour de trois pôles inter-reliés : le projet, l’organisation et l’action. La gouvernance de l’association, pensée comme la « gestion de la gestion », met alors inévitablement en tension la double recherche de la performance et de la cohérence.
La seconde partie de l’ouvrage comprend trois chapitres consacrés à des observations empiriques à partir de l’histoire de trois associations relevant de secteurs d’activité très différents. La première histoire est une monographie sur une association de parents d’enfants inadaptés née comme beaucoup d’entre elles dans les années 1960. On est bien dans la longue durée (un demi-siècle). Les auteurs suivent un fil directeur qui leur permet de montrer comment les règles hétéronomes imposées de façon de plus en plus prégnante par les bailleurs de fonds en matière de gestion sont appliquées sans prendre en compte véritablement la nature particulière d’une association de parents. Cette manière de faire de la part des autorités de tutelle dans le cadre du nouveau management public (NMP) semble souffrir d’un déficit d’intelligence collective et ne peut conduire qu’à l’affaiblissement de ce type d’associations parentales et peut-être à terme à sa disparition. A un moment où les responsables de l’action publique sont de plus en plus convaincus qu’il deviendra de plus en plus difficile pour les pouvoirs publics d’intervenir efficacement sans la coopération de la société civile, la contre-performance engagée au nom de l’idéologie propre au NMP interroge.
La seconde histoire transporte le lecteur dans un autre monde : celui de l’action humanitaire internationale, notamment en situation d’urgence. Les acteurs principaux sont cette fois directement les responsables de deux associations : Handicap International (HI) et Atlas logistique (AL). Ces associations de taille et de culture différentes n’exercent pas les mêmes métiers. HI du fait de sa vocation originelle liée aux handicaps résultant des guerres s’inscrit à la fois dans le temps court de l’urgence et dans celui, plus long, du développement, pour favoriser l’intégration des victimes. AL, concentrée sur les métiers de la logistique et, moins directement, sur les personnes, intervient surtout en période critique. Les auteurs présentent principalement l’histoire de la fusion entre ces deux organisations au cours des années 2000. Celle-ci n’est pas imposée par les bailleurs de fonds, mais répond à des logiques stratégiques d’anticipation de chacune des deux associations. La fusion va se réaliser dans des conditions difficiles, induisant à la fois la souffrance des personnes impliquées et une perte d’efficacité des actions en cours. La suite de l’histoire démontrera heureusement que la coopération entre les deux équipes associées est possible et utile mais à condition de reposer sur l’implication active des parties prenantes.
La troisième histoire est celle d’un collectif d’associations et de syndicats regroupés sous le nom d’Ethique sur l’étiquette (ESE). Cette initiative rejoint un mouvement social international plus large, né à la fois en Europe (Clean Clothes Campaign au Pays-Bas, ONG No Sweat au Royaume-Uni) et en Amérique (Maquila Solidarity Network au Canada et au Mexique, et United Students Against Sweatshops aux Etats-Unis). Il s’agit pour ces militants de prendre en compte la situation créée par la mondialisation des échanges. Celle-ci conduit en effet à voir se développer sur la planète de nouvelles chaînes de valeur pilotées par les multinationales avec la délocalisation d’une partie de la production dans les pays du tiers-monde. Or, sans une Organisation internationale du travail (OIT) aussi puissante que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ces modes d’organisation voient se multiplier des « ateliers de la sueur » (sweatshops) au mépris des droits sociaux et syndicaux et avec des risques pour la santé des personnes. Le collectif ESE va naître en France en 1995. L’action connaîtra des succès mais les outils créés et les professionnels impliqués ne seront pas suffisamment ancrés dans la réflexion politique collective pour éviter les contradictions liées à leur mise en oeuvre. L’exemple présenté vise donc à montrer que les initiatives associatives durables s’appuient nécessairement sur une mise en cohérence en perpétuelle adaptation des trois pôles : du projet de l’organisation et de l‘action. Elles sont fragiles quand elles ressortent seulement du registre de l’action.
À la lumière du cadre analytique proposé, la troisième partie de l’ouvrage tire les leçons de ces trois voyages dans le monde associatif. Il s’agit d’ouvrir des pistes pour l’indispensable gestion avec professionnalisme de toute association, sans trahir pour autant sa nature profonde d’une part et d’inventer des modes de gestion innovants ouverts à de nouvelles dimensions (utilité sociale, gouvernance démocratique, etc.) d’autre part.
Les pistes de réflexion sont intéressantes mais demeurent relativement attendues. L’ouvrage éveille donc l’intérêt, donne des outils d’analyse et de compréhension pertinents, mais on peut se demander si la pratique de la gestion associative doit toujours être du « sur mesure », systématiquement reconstruit par chaque groupe de parties prenantes particulier, ou bien s’il est imaginable de dégager des constantes, voire des lois qui permettraient de capitaliser les expériences et les savoir-faire ? Dans cette perspective, les principes dégagés par acteurs engagés dans l’économie sociale et solidaire sont-ils susceptibles de constituer des références pertinentes pour la gestion associative ? La qualité de cet ouvrage propédeutique laisse espérer que ces chercheurs contribueront dans l’avenir à répondre à ces questions.