Il est assez classique que les comparaisons internationales sur les organisations de la société civile ou de l’économie sociale et solidaire soulignent, dans de nombreuses situations africaines, leurs liens à la « débrouille » quotidienne et leur extraversion (voir Recma, n° 338, p. 115), quand ces dernières ne sont pas accusées de cautionner les stratégies de démantèlement d’un Etat bien mal en point, après des décennies d’ajustement structurel. Mais peu de travaux de recherche en sciences sociales offrent réellement l’occasion d’approfondir ces réalités. C’est le cas de cet ouvrage, fruit d’une longue enquête de terrain au Niger, qui permet d’aller plus loin et qui bouscule, à cette occasion, certaines grilles de lecture souvent déclinées par les acteurs institutionnels ou les chercheurs pour éclairer le rapport complexe entre politiques et pratiques. Les premiers chapitres éclairent, en lien avec l’histoire politique du pays, les dynamiques des organisations de type associatif au Niger, y compris les « fadas », espaces de discussion des jeunes urbains qui rassemblent des groupes de jeunes sans emploi, sur des bases de voisinage. « Au début des années 2010, le paysage de la “société civile organisée” nigérienne est composé d’une foule d’organisations de toutes sortes […]. Au milieu, émergent quelques organisations paysannes ayant une réelle base sociale ; quelques organisations très médiatisées, portées par d’anciens militants syndicaux, fortement présentes dans l’espace public et les médias ; quelques dizaines d’organisations ayant réussi à se consolider institutionnellement, principalement dans l’espace public et les médias, des ONG prestataires et de la lutte pour les droits de l’homme ; et quelques associations islamiques, occupant une place importante dans l’espace public à travers prêches et actions caritatives. Des milliers d’organisations locales formelles ou informelles, des centaines d’ONG vivotant plus ou moins, des dizaines de regroupements par profession, des dizaines de fédérations sectorielles ou intersectorielles au dynamisme variable et fluctuant coexistent à l’ombre de ces organisations visibles sur la place publique. La forte personnalisation du leadership, la multiplication d’organisations et de fédérations pour répondre aux opportunités thématiques ou financières, la multiplication des responsabilités des leaders les plus en vue, achèvent de complexifier le paysage » (p. 58). Dans un contexte de « post-ajustement » caractérisé par un marché du travail sinistré, la « modernité insécurisée » des petites associations et leurs rapports à l’Etat et à l’aide internationale sont approfondis (chapitre 2). Au-delà de la critique, généralisée, que proposent les chercheurs comme de nombreux responsables associatifs, qu’il s’agisse de dépendance à l’aide ou de stratégies personnelles de nombreux leaders, l’auteur s’est interrogé sur la question des conditions de consolidation des organisations associatives face à la double précarité des ressources humaines et des ressources financières, accentuée par la généralisation de la mise en concurrence et du financement par projet. Le chapitre 3 approfondit également, par l’analyse des tentatives successives pour définir une « charte de la société civile », la question de la régulation du secteur, notamment à partir des débats concernant la politisation et le caractère lucratif des associations nigériennes. A partir de cette « toile de fond », les trois derniers chapitres discutent des politiques des institutions vis-à-vis de l’accompagnement des organisations de la société civile (p. 30). Ils interrogent, suite aux Accords de Cotonou signés en 2000 par l’Union européenne, comment ses services ont « façonné » une intervention destinée initialement à appuyer les « acteurs non étatiques » (ou « ânes ») et comment cette dernière a été mise en oeuvre de façon tâtonnante, entre ambiguïtés des concepts politiques, jeux d’acteurs et poids des dispositifs bureaucratiques entre 2002 et 2008. Largement ouvert à la parole des …